Vendredi,
13 Avril 2012
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Un président de la république provisoire, sans réels
pouvoirs, mais très coûteux pour le budget de l'Etat, et qui se comporte
comme un éléphant dans un magasin de porcelaine…
Par Béchir
Turki*
Mohamed
Moncef Marzouki était un militant sincère pour la démocratie et un défenseur
acharné des droits de l’homme. Il était l’une des grandes victimes de la
dictature novembriste qui s’acharnait sur lui, lui déniant le droit d’exercer
ses compétences de professeur en médecine et le forçant à émigrer.
Sa
virulente dénonciation de la dictature tunisienne dans les médias
occidentaux, principalement français, a sans doute contribué à ternir la
réputation du régime de Ben Ali à l’étranger. Et bien que la révolution du 14
janvier fût spontanée et dépourvue de toute espèce de direction, on ne peut
passer sous silence la contribution, aussi modeste fut-elle, de M. Marzouki
et de son parti, le Congrès Pour la République (Cpr) au travail de sape de la
dictature.
Une
portion congrue du pouvoir
Voici donc
quatre mois que le président provisoire habite le Palais de Carthage, prenant
une belle revanche sur celui qui l’a pourchassé des années durant. Toutefois,
sa présence à la tête de l’Etat, M. Marzouki ne la doit ni à la stature
d’homme d’Etat dont il est dépourvu, ni à son parti politique, plutôt
minuscule et dont les membres sont à couteaux tirés, ni à un raz-de-marée
électoral.
Sa
présence au Palais de Carthage, en tant que «premier président élu
démocratiquement» comme il se plaît à le répéter, il la doit à un marchandage
avec le parti majoritaire, qui a raflé l’essentiel et consenti des miettes au
Cpr et au parti Ettakattol de Mustapha Ben Jaâfar.
La tâche
d’Ennahdha dans le partage du «butin électoral» a été largement facilitée par
l’incroyable prédisposition du Cpr et d’Ettakattol à avaler autant de
couleuvres qu’exige Ennahdha dans le seul but d’assouvir leur désir
incontrôlable d’exercer ne serait-ce qu’une portion congrue du pouvoir issu
des élections du 23 octobre 2011.
Et de
fait, l’essentiel du pouvoir est détenu par les gens d’Ennahdha. Quant aux
responsables d’Ettakattol et du Cpr, y compris Moncef Marzouki, ils sont
réduits à des rôles de figurants dans la grande scène de théâtre politique
que connaît le pays depuis le renversement de la dictature.
M.
Marzouki n’est pas «le premier président élu démocratiquement» pour la bonne
et simple raison qu’il n’a pas élu domicile au Palais de Carthage grâce au
suffrage populaire, mais plutôt par la volonté d’un parti politique:
Ennahdha.
On ne sait
pas encore quel genre de Constitution et quelle sorte de régime politique nos
élus vont décider pour nous. En attendant, l’institution de la présidence de
la république en Tunisie a balancé d’un extrême à l’autre. De la surpuissance
aux temps de Bourguiba et Ben Ali, à l’insignifiance sous Marzouki.
L’insignifiance a été poussée à son paroxysme quand un avocat – avec ou sans
le consentement de M. Marzouki – a eu l’idée déroutante de saisir la justice
dans le but d’interdire aux médias d’appeler ce dernier par ce qu’il est
réellement : président provisoire…
Une
présidence provisoire, sans pouvoir et très coûteuse
Avant
d’aller plus loin, il faut relever ici l’important paradoxe entre les prérogatives
extrêmement limitées du président de la république et le salaire exagérément
élevé dont il bénéficie. En effet 30.000 dinars par mois, c’est trop pour un
président qui n’a pas grand-chose à faire, l’essentiel des responsabilités
étant assumées par le gouvernement et son chef Hamadi Jebali. Ce salaire est
d’autant plus choquant que ses besoins sont payés par l’Etat pour lui assurer
un luxueux train de vie, alors que les moyens financiers du pays se réduisent
dangereusement chaque jour un peu plus, et que le smicard tunisien n’arrive
plus à nourrir sa famille.
Lors de
son séjour parisien (2002-2011), M. Marzouki tempêtait à propos du budget de
la présidence et le trouvait «exorbitant». Il reprochait à Ben Ali de
«remplir ses poches avec l’argent du peuple» et dénonçait le prix
faramineux de ses costumes à 8.500 euros l’un. Il promettait une rupture avec
le régime corrompu… Et voilà Si Moncef Marzouki président! Il retourne la
veste et ne trouve plus le budget exorbitant.
Actuellement
le budget de la présidence est de plus de 76 millions de dinars* avec un
effectif en personnel de 3.014 dont 2.579 sont chargés d’assurer la sécurité
du président. C’est du délire. Un énorme budget et un effectif
cauchemardesque, plusieurs fois celui de la Maison Blanche américaine; tout
cela, et pour quel résultat et pour quelle efficacité? Pour une présidence
provisoire sans pouvoir!
L’Assemblée
nationale constituante (Anc) aurait dû, dès son installation, prendre
l’initiative d’annuler les lois scélérates qui fixaient les salaires
insultants et avantages en nature servis à Ben Ali, à ses proches, avec en
prime une immunité totale, et à instituer des émoluments honnêtes aux
ministres, au président et aux membres de l’Anc, au Premier ministre et au
chef de l’Etat. Le régime de vie de ceux qui nous gouvernent doit être en
harmonie et en symbiose avec celui des citoyens et en fonction des
possibilités budgétaires de la Tunisie.
A notre
époque, l’ère des rois et des empereurs est révolue. Dans une république,
tous les privilèges sont abolis. Le président doit renoncer à continuer à
occuper des palais et vivre au milieu d’une cour obséquieuse.
Si
vraiment il fait preuve d’un patriotisme sincère, il doit résider chez lui,
conduire sa voiture, refuser l’usage de cortèges pompeux et onéreux lors de
ses déplacements avec une protection par des unités spécialisées. Il
doit percevoir un salaire équivalent d’un haut cadre tel un grand magistrat
ou un grand professeur. Il doit renoncer à l’emploi d’un jet privé et montrer
sa pudeur. Le budget de la présidence doit être laminé au profit des besoins
de notre peuple, pour ne plus faire appel aux aides et prêts étrangers et
garantir ainsi notre indépendance.
Le jour
même de sa désignation par l’Assemblée constituante, dont la mission consiste
à doter le pays d’une Constitution plutôt que de choisir un président, M.
Marzouki a déménagé au Palais de Carthage. Il y a dans le monde des présidents
de grande envergure, mais de grande modestie aussi, qui ont boudé les palais.
L’ancien président français, François Mitterrand, élu directement par la
majorité des Français, a continué à habiter son appartement dans le quartier
latin à Paris, allant chaque matin à son bureau à l’Elysée. Le président de
l’Iran, réside dans sa villa et mène une vie de citoyen ordinaire. Les
dirigeants des pays scandinaves vivent dans une grande discrétion exemplaire.
Le président de la Confédération Suisse se fait allouer une indemnité
forfaitaire annuelle, ne reçoit aucun avantage en nature et paye son parking
et ses frais de péage tout comme chaque citoyen.
M.
Marzouki, devenu président par la volonté du parti islamiste Ennahdha, n’a
pas perdu un instant pour s’installer au Palais de Carthage comme s’il était
toute sa vie dans l’attente de cet événement.
A suivre…
*- En
1987, du temps de Bourguiba, le budget de la présidence était de l’ordre de 3
millions de dinars, y compris les émoluments de Bourguiba qui s’élevait à
2.000 dinars par mois.
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