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Saturday, July 14, 2012

Gilles Munier : "J'ai rencontré

Gilles Munier : "J'ai rencontré Saddam Hussein à cinq reprises
 
 
En 2002, le Rennais Gilles Munier a traduit en français « Zabiba et le Roi », conte philosophique écrit par Saddam Hussein. Sacha Baron Cohen s'en est inspiré pour son film parodique « The Dictator », sorti cette année.
Paru en Irak en 2000, traduit en français en 2002, Zabiba et le Roi, premier livre de Saddam Hussein, est un conte philosophique autocritique, qui appelle à l’ouverture démocratique. Un an après les printemps arabes, le livre, qui a inspiré The Dictator, film parodique signé Sacha Baron Cohen, vient d’être réédité en France (éditions Encre d'Orient). Le Rennais Gilles Munier, spécialiste de l'Irak, ex-lobbyiste moyen-oriental et traducteur du livre, a rencontré Saddam Hussein à cinq reprises. 

Le Mensuel : Comment avez-vous été amené à rencontrer Saddam Hussein? 

Gilles Munier : J’avais déjà fait plusieurs voyages en Irak pour promouvoir les relations économiques avec la Bretagne après le choc pétrolier de 1974, en lien avec les chambres de commerce et d’agriculture. La première fois que j’ai rencontré Saddam Hussein, c’était dans les années 1980, au début de la guerre avec l’Iran. Avec une association d’amitié franco-arabe, on était invités au festival d’archéologie de Babylone. Saddam Hussein avait mis à disposition son hélicoptère privé pour qu’on arrive à l’heure à l’inauguration, à une centaine de kilomètres de Bagdad. Je l’ai rencontré à cinq reprises, toujours dans le cadre de missions culturelles ou politiques, avec des universitaires ou des députés. La dernière fois, c’était en 1996, seul à seul, pour discuter de la situation politique, en plein embargo international. J’étais envoyé par le quai d’Orsay pour porter un message à Tarek Aziz, le vice-premier ministre de l’époque. 

Comment est née l’idée de traduire Zabiba et le Roi, conte philosophique écrit par Saddam Hussein, en français ?

Entre 1990 et 2003, j’allais six à huit fois par an à Bagdad, donc je connaissais pas mal de responsables politiques là-bas. Peu après la sortie du livre en Irak, en 2000, j’ai discuté avec le ministre de la Culture irakien, qui m’a demandé si c’était possible de le publier en français, pour pouvoir ensuite le faire traduire en anglais, en portugais, en espagnol… Il fallait faire vite car il y avait beaucoup de gens intéressés : des Russes, des Japonais, des Roumains… C’était la guerre, on parlait de Saddam tous les jours dans les journaux, c’était un sujet porteur. L’édition, c’est aussi du commerce . On a également discuté d’une possible adaptation au cinéma, une coproduction franco-irakienne, mais la guerre a éclaté en mars 2003 et le projet n’a jamais abouti. La version française du livre est sortie juste avant, en janvier 2003.

Dans ce livre, un monarque absolu prend le chemin de l’ouverture démocratique. Cette évolution reflète-t-elle les aspirations de son auteur? 

Ce livre a été écrit sous les bombes. Dans cette situation-là, on ne sait pas de quoi demain sera fait. Mais quand il y a une volonté populaire, ou le régime suit le peuple, ou le régime tombe. J’ai eu des discussions avec l’entourage de Saddam Hussein sur la démocratisation du régime, mais avec l’embargo et la guerre, il fallait d’abord défendre le pays. Quand on se prend des bombes sur la tête tous les jours, les réformes démocratiques, ce n’est pas une priorité. Surtout quand l’opposition préfère faire tomber le régime en s’associant avec des pays étrangers plutôt que de s’associer au régime en place pour faire bouger les choses. D’ailleurs, on voit ce que ça donne : depuis dix ans, la situation n’est toujours pas stabilisée. Il y a des attentats tous les jours, les prisons sont pleines et on y pratique toujours la torture. 

Vous voulez dire que la situation de l’Irak était préférable sous Saddam Hussein ? 

Certes, c’était une dictature, mais il y a dictateur et dictateur. Il y a celui qui cherche à opprimer son peuple, et celui qui essaie de développer son pays. Il y avait eu une évolution sociale, les femmes n’étaient majoritairement pas voilées par exemple. L’invasion américaine a provoqué un retour en arrière, avec l’arrivée au pouvoir des partis religieux. On est passé d’un pays laïc à un pays gouverné par des obscurantistes islamistes, avec toutes les conséquences que cela implique, non seulement pour les femmes, mais dans bien d’autres domaines comme l’enseignement. Non seulement il n’y a pas eu d’amélioration, mais il y a eu une véritable régression sociale. 

Dans Zabiba et le Roi, Saddam Hussein semblait anticiper les printemps arabes. S’il avait toujours été au pouvoir en 2011, pensez-vous qu’il aurait réformé son régime avant d’être renversé par un soulèvement populaire ? 

Si la communauté internationale avait levé l’embargo, le régime aurait pu mener les réformes nécessaires, car les moyens financiers étaient là, la stabilité aussi. Mais avec la deuxième guerre du Golfe, plus d’un million de cadres ont fui le pays pour se réfugier au Yémen, en Syrie... Avec eux, le pays aurait pu se développer. A la fin de la première guerre du Golfe, tout le pays était détruit : les routes, les ponts, les usines… Tout a été reconstruit en six mois. Aujourd’hui, c’est très difficile de reconstruire le pays sans eux. Au bout de dix ans, l’électricité n’a toujours pas été rétablie. Habiter dans des immeubles en béton sans air conditionné, vu le climat, c’est invivable.

Vous critiquez The Dictator, film parodique de l’humoriste anglais Sacha Baron Cohen, librement inspiré de Zabiba et le Roi. Que lui reprochez-vous ? 

Sacha Baron Cohen est un spécialiste du burlesque. Il s’est servi du livre, ça lui a donné une idée, et il en a fait ce qu’il en voulait. Il avait déjà commencé à tourner quand il y a eu la chute de Kadhafi. Pour attirer le plus de spectateurs possibles, il a décidé de coller à l’actualité en rajoutant des références à Kadhafi. Le problème, c’est que le film ne montre que l’aspect diabolique, le côté dictateur du personnage. Dans le conte, le roi est convaincu par une jeune fille d’instaurer la démocratie, ce qui arrive à la fin du livre. Ce n’est pas du tout ce qui se passe dans le film. Mais Baron Cohen reste un grand cinéaste.

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