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Thursday, August 02, 2012

Editorial, The Guardian: absence de diplomatie et destruction

Syrie : absence de diplomatie et destruction
 
Les puissances extérieures, Russie et Etats Unis en particulier, doivent envisager de relancer des discussions si on veut éviter la ruine du pays.
2 août 2012
Editorial, The Guardian (UK) 27 juillet 2012
Traduit de l’anglais par Djazaïri

La décision du président Obama d’appeler l’an dernier à la chute du régime d’Assad, appel qui sera repris par la Grande Bretagne et d’autres alliés, a été, on peut l’affirmer, une erreur. Les raisons d’Obama étaient compréhensibles.
Premièrement, le régime se comportait de manière effroyable.
Deuxièmement, les Etats Unis ne voulaient pas rester à la traîne dans une autre phase du Printemps arabe, étant donné en particulier que le régime de Damas était, à la différence de celui de Moubarak en Egypte, un de ceux qu’il a toujours détesté et qui est lié aux ennemis des Etats Unis dans la région que sont le Hezbollah et l’Iran.
Troisièmement, Israël était favorable à tout ce qui pouvait affaiblir la Syrie et nuire à l’Iran, un sentiment partagé par l’Arabi saoudite et d’autres pays du Golfe.
Quatrièmement, Obama, et ses conseillers, avaient sans doute la conviction que Assad s’en serait allé bien avant le moment où il aurait pu faire partie d’une quelconque solution. C’était pourtant une chose de croire que Assad, sa famille et ses associés seraient à un moment donné contraints de s’en aller, et autre chose de le dire publiquement sur un ton irrévocable.
Le résultat malheureux a été de couper court à toute possibilité de négociations entre les protagonistes et de claquer la porte à une coopération étroite entre les Etats Unis et la Russie, les deux pays qui pourraient en théorie, s’ils agissaient ensemble, faire la différence pour un résultat en Syrie. On peut bien entendu soutenir que le régime syrien a rejeté toute suggestion laissant entendre qu’il devrait discuter avec ceux qu’il qualifie de terroristes, et que c’est ce qui a bloqué le plan Annan dès le début. Mais le temps, et le désespoir, ont peut-être changé les choses. Le régime d’Assad est maintenant dans une situation différente et pire qu’il y a quelques mois. Certes ; mais pourquoi el-Assad devrait accepter des discussions sur sa propre liquidation comme premier thème de l’agenda ?
De la même manière, pourquoi des organisations d’insurgés envisageraient-elles un quelconque compromis alors qu’elles se rendent compte que les puissances occidentales ainsi que de nombreux gouvernements de la région sont derrière elles ?
Et enfin, pourquoi la Russie devrait-elle se satisfaire d’une politique de changement de régime en Syrie, prêtant ainsi le flanc à l’accusation de laisser tomber un allié tout en se rendant elle-même complice d’un plan, c’est certainement ainsi que Vladimir Poutine voit les choses, qui vise à réduire l’influence et le prestige de la Russie au Moyen Orient ?
Comme plus personne ne peut avancer sur le terrain diplomatique, la flamme guerrière a été attisée au point qu’elle risque de ruiner un pays de 24 millions d’habitants.
Aujourd’hui, Alep, une charmante ville historique qui avait largement été épargnée jusqu’à présent, est peut-être sur le point d’être écrasée. Le conflit, soyez-en assuré, déchire aussi le tissu social de la Syrie. Non seulement les relations entre les sectes et les confessions, mais aussi celles entre les classes sociales, avec une paysannerie souvent militarisée qui rejoint, et souvent dirige, le combat. La possibilité que des extrémistes, al Qaeda et d’autres, tenteront de s’immiscer est évidente. Les tristes nouvelles qui nous arrivent d’Irak, où une nouvelle série d’attentats a tué de nombreuses personnes, suggèrent que les extrémistes sunnites pourraient être en train d’élaborer un front commun dans le but de restaurer une domination sunnite dans les deux pays. Tout cela augure très mal de l’avenir, y compris un éventuel avenir sans Assad.
Il y a encore ceux qui, comme la petite mais courageuse opposition syrienne non violente, qui pensent qu’il existe une autre voie, ainsi que nous le rappelle une déclaration après une réunion récente de Sant’Egidio à Rome. Les puissances extérieures ont deux options désormais.
L’une est de rester spectateur pendant que la Syrie brûle, avec certains gouvernements qui soutiennent les rebelles en leur livrant des armes et attendent des défections, des assassinats ou des mutineries dans les forces armées pour abattre le régime. Si nous pouvions être assurés que cela va se produire rapidement, ce serait une chose. Mais que se passera-t-il si Assad continue à tenir ? Pendant des semaines, des mois voire même plus longtemps ?
C’est pourquoi la deuxième option, un retour à la diplomatie et en particulier, une relance du traitement de ce terrible problème par l’Amérique et la Russie, doit absolument être prise en considération.
Sont-ils sur des positions inflexibles ; ou trop impuissants devant les conséquences de leurs propres décisions pour seulement essayer ?
Si c’est le cas, ils porteront une lourde responsabilité.
The Guardian (UK) 27 juillet 2012

Commentaire du traducteur
Le journal anglais The Guardian est peut-être en train de tourner casaque sur la Syrie. Alors que depuis le début des troubles dans ce pays, il a été vigoureusement anti-gouvernement syrien, voilà qu’il demande en quelque sorte comment on en est arrivé là en Syrie, avec un pays au bord de la ruine totale, des milliers de morts et de nombreux réfugiés, entre les déplacés de l’intérieur et ceux qui sont à l’étranger...
The Guardian parle clairement de la responsabilité de Barack Obama et de ses suiveurs habituels (en France Nicolas Sarkozy, puis François Hollande).
Effectivement, ainsi que le reconnaît l’éditorial, en fixant comme préalable le départ du chef de l’Etats syrien, les Etats Unis et leurs amis ont bloqué toute possibilité d’avancer de manière négociée vers une solution de la crise.
Tout bonnement parce que ce préalable est évidement inacceptable, et même Laurent Fabius le sait bien. Tout comme les prétendus rebelles qui ont bien compris que l’occident et les monarchies (démocratiques) du Golfe en posant ce préalable les encourageaient à adopter une posture maximaliste.
L’article pose bien le problème même s’il renvoie indûment dos à dos la Russie et les Etats Unis. Or, chacun a pu constater que le gouvernement russe avait pris langue avec tout le monde, régime syrien comme opposition quand les Occidentaux n’ont adressé la parole au président Bachar al-Assad que pour lui intimer l’ordre de vider les lieux.
En Libye aussi, l’Occident avait soigneusement veillé à écarter toute démarche politique qui ne comportait pas comme préalable le départ du colonel Mouammar Kadhafi.
Comme en Libye, les Occidentaux arment de plus en plus ouvertement les prétendus rebelles qui viennent par exemple de recevoir des missiles sol-air qui ont transité par la Turquie. Les Etats Unis s’abstiennent pour l’heure de livrer directement des armes aux “rebelles,” ils procèdent indirectement comme ils l’ont souvent fait dans les opérations de subversion.
On voit en ce moment fleurir des articles dans la presse où on parle déjà du chef de l’Etat syrien au passé.
On nous dit par exemple :
- qu’Obama et Erdogan vont accélérer la transition en Syrie, sans Assad
Ou que :
- le général [Manaf] Tlass appelle à “l’unité” post-Assad
On nous dit aussi :
- Comment les Etats Unis préparent l’après-Assad
Joschka Fischer lui se risque à évoquer
- le Moyen Orient après Assad
Joschka Fischer est l’ancien chef du parti écologiste en Allemagne ; il a été ministre des affaires étrangères et vice-chancelier. Il s’est reconverti dans les gazoducs, avec des émoluments qui récompensent son passage du pacifisme au bellicisme atlantiste bon teint.
Ce qu’il pronostique n’est d’ailleurs pas très engageant et ce qu’il y voit de plus positif, ce serait un affaiblissement de l’Iran et, par contrecoup suppose-t-il, du Hezbollah.
En fait, c’est peu de temps après le début des troubles que l’objectif d’écarter par tous les moyens Bachar al-Assad a été formulé, dans des termes voisins de ceux qui avaient été employés pour le colonel Mouammar Kadhafi.
On le sait, tout était fin prêt en occident pour traiter le cas syrien.
Il y a juste eu quelques ratés.
Le premier raté, c’est que la population syrienne ne s’est pas soulevée contre son gouvernement et que l’armée régulière reste globalement unie.
Certes, il y a eu des défections d’officiers supérieurs, mais ce n’est pas la première fois que des gens haut, voire même très haut, placés se détournent du régime en Syrie.
Il y eu ensuite le véto chinois et russe qui n’a pas permis d’obtenir l’adoption d’une résolution comme en Libye. Une résolution que la coalition contre Kadhafi avait interprétée d’une manière pour le moins élastique et tendancieuse. A défaut d’avoir la loi avec elles, les puissances font valoir la loi du plus fort.
Déjà, l’Occident avait fait en sorte que toute issue politique, autre que sa reddition, soit refusée au pouvoir libyen.
Et puis, l’armée syrienne, si elle n’est pas la quatrième armée du monde, possède une organisation et une puissance de feu sans commune mesure avec ce dont disposait le gouvernement libyen. Même si son équipement est en partie obsolète (souvenez-vous de ce pilote qui a fait défection à bord d’un Mig 21, un avion complètement dépassé), elle est très loin d’avoir déchaîné toute sa puissance contre les prétendus rebelles et il n’est guère douteux qu’elle ferait payer un prix élevé aux puissances qui agresseraient la Syrie.
Je ne dis cependant pas qu’elle en sortirait victorieuse, ça me paraît quand même difficile.
Donc Bachar al-Assad n’est pas encore tombé et on voit que, à Alep par exemple, de larges pans de la population lui sont soit fidèles, soit sont tout simplement hostiles à cette prétendue Armée Syrienne Libre.
Tiendra-t-il ou pas ? Et au-delà de sa personne, le régime tiendra-t-il ? Qui peut le savoir ?
On voit bien à quel défi la Syrie est confrontée, face à des adversaires impitoyables et tenaces qui s’appellent Hillary Clinton, Alain Juppé, Laurent Fabius ou David Cameron.
Il ne leur manque qu’un alibi juridique pour s’engager plus à fond. Faute de cet alibi, ils en sont réduits à étrangler le pays économiquement et à une tentative d’assassinat, qu’ils ont laissé à d’autres le soin de revendiquer. Cette tentative a manqué sa cible même si elle a emporté plusieurs ministres. Ignorant si le chef de l’Etat avait été touché ou s’il était en fuite, comme la presse aux ordres l’a abondamment seriné, ils ont néanmoins déclenché la suite du plan en actionnant les bandes terroristes à Damas, ce qui se soldera par un échec.
Suite à cet échec dans la capitale, ils espèrent à nouveau aujourd’hui une résolution onusienne qui leur permettrait de sanctuariser une partie du territoire syrien et, pourquoi pas, d’y installer un gouvernement provisoire.
Tel est l’objectif poursuivi à Alep comme il l’avait été à Homs…
C’est en réalité un retour à leur plan initial ; un plan qui avait été mis en pratique avec succès en Libye mais que le gouvernement syrien avait immédiatement compris et s’était donné les moyens d’empêcher.
On l’espère, qu’Alep ne sera pas Benghazi...

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