Lettre au journal Le Monde
Objet : Le Monde daté du 26 octobre 2012 et son traitement de l’affaire syrienne.
5 novembre 2012
Monsieur Pascal Galinier
Médiateur
Journal Le Monde
80 bd Auguste-Bianchi
Médiateur
Journal Le Monde
80 bd Auguste-Bianchi
75707 PARIS cedex
Objet : Le Monde daté du 26 octobre 2012 – traitement de l’affaire syrienne
Monsieur le Médiateur,
Comme beaucoup des lecteurs du journal, Le Monde
a accompagné mes études il y a quelques décennies, et j’ai pris à sa
lecture beaucoup de plaisir, c’est-à-dire d’informations pour penser par
moi-même. Après bien des exaspérations ces dernières années – disons au
moins depuis 2005, j’en viens au point où je ne peux plus me taire. Le
traitement de l’affaire syrienne par le journal interpelle trop ma
conscience. Les écrits publiés dans l’édition datée du 26 octobre ne
sont que la continuation du même discours, mais sans doute la goutte qui
fait déborder le vase.
Que nous y rabâche-t-on sous différentes signatures ? Que de sympathiques « rebelles » viennent « libérer » un pays victime de son « régime criminel » qui bombarde les femmes enceintes dans les hôpitaux. Je passe sur les contradictions qui émaillent le reportage sur Selma, « vidée de ses civils » et où un médecin traite « 20 000 civils, des bébés, des vieillards, des femmes enceintes… »
On nous redit qu’il faut absolument et d’urgence livrer des armes
lourdes à ces rebelles – sans doute pour consolider la trêve. Que
l’attentat à la voiture piégée est « l’une des techniques préférées des services syriens », que 24 964 civils ont péri depuis le début des manifestations en Syrie selon l’« Observatoire Syrien des Droits de l’Homme », que les Djihadistes qui combattent parmi les « rebelles »
ne sont pas si méchants que cela, et que plus vite l’État syrien aura
été écrasé, plus facile sera la gestion de l’ère post-Assad.
Mais tout cela est-il de l’information ? Ce « journalisme », embarqué « avec l’ASL », sert-il le projet d’un « journal de référence »,
ou bien avant tout le dessein de la coalition emmenée par les États
Unis d’Amérique, financée par l’Arabie saoudite et le Qatar ? Nous
savons pourtant que l’invasion de l’Irak, après des années d’embargo
meurtrier, a été basée sur un mensonge éhonté relayé par les medias
dominants, et a causé des centaines de milliers de morts,
essentiellement des civils, et des millions de déplacés, aux existences
ruinées. Pourquoi, par ailleurs, la rédaction ne s’embarquerait pas « avec les rebelles du Nord Mali », ou « avec les salafistes tunisiens » ?
Dans le cas de la Syrie, et notamment ce
26 octobre 2012, nous aurions aimé savoir de quelles nationalités sont
les rebelles ? Quelles langues ils utilisent ? Quel projet ont-ils pour
la société syrienne ? Pour la femme syrienne ? Quels droits pour les
minorités ? Nous aurions souhaité plus de nuances sur les attentats, que
les rédacteurs ont réussi le tour de force d’attribuer aux services
d’un État, alors que depuis des années nous avons constaté que les
attentats aveugles et sanglants à Londres, Madrid, New-York, Istanbul,
Alger, Bagdad, etc., etc. sont la carte de visite des Djihadistes ! Aux
détours de phrases, seulement, nous avons décelé que ces « rebelles » considèrent leurs morts comme des « martyrs », ont une intention génocidaire à l’endroit des Alaouites, sont pour beaucoup le produit d’un tribalisme structuré par les « jeunes salafistes disciplinés », sont étrangers à la société syrienne - empreinte de laïcité – qu’ils ne connaissent pas, et sont financés par les « mystérieux bienfaiteurs du golfe. »
Nous aurions voulu aussi apprendre ce
que fait l’État syrien, pour réparer les écoles, fabriques de
médicaments, installations de production d’eau potable et d’électricité,
silos à grains, prioritairement détruits par les « rebelles »
pour organiser le chaos et une situation de catastrophe humanitaire à
l’entrée de l’hiver. Nous aurions voulu savoir pourquoi ce régime
forcément haï par son peuple résiste depuis si longtemps. Nous aimerions
connaître la position de l’opposition démocratique en Syrie, qui prend
part au fonctionnement d’institutions profondément réformées depuis mars
2011 par un processus démocratique et en particulier référendaire –
les référendums se faisant rares en Europe, soit dit en passant.
Par-delà ces investigations de terrain
plus équilibrées, le journal devrait aussi s’intéresser à l’histoire de
la Syrie, depuis les émeutes de Damas en 1860, le bombardement de la
même ville par De Gaulle en 1945, en passant par les promesses du Front
populaire en 1936, et jusqu’à la création d’Israël en 1947, les
résolutions de l’ONU…
Pour finir, comment ne pas souligner le
risque moral que prennent la rédaction et les signataires d’articles qui
s’apparentent à une propagande de guerre ? Si un génocide – dont le
risque est reconnu, se produisait après la destruction de l’État syrien,
ces auteurs seraient coupables de complicité. De même si la charia
exigée en Syrie depuis les années 1970 par les Frères musulmans venait à
y être instaurée : la rédaction du journal Le Monde serait-elle invitée aux lapidations ?
J’apprécierais de connaître votre point de vue sur cette très grave dérive du journal.
J’espère qu’il vous sera possible
d’obtenir un sursaut de conscience. Il en va aussi de l’avenir de votre
profession, une condition fondamentale de la démocratie réelle.
Je vous prie de bien vouloir recevoir, Monsieur le Médiateur, l’expression de mes salutations les meilleures.
Guy - docteur en géographie
31 octobre 2012
31 octobre 2012
URL de cet article :
http://www.silviacattori.net/article3887.html
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