Cérémonie de réhabilitation des militaires
de Barraket Essahel
Une joie tronquée
Le 10
décembre 2012 était une journée historique pour les militaires de Barraket
Essahel car Le président de la République a organisé en leur honneur une
cérémonie pour les réhabiliter de la grande injustice dont ils ont été l’objet
du temps de Ben Ali.
L’émotion
était forte dans la salle des cérémonies du Palais, qui regroupait les 244
officiers et sous officiers de cette affaire
ainsi que leurs familles. Marzouki, accompagné par le Général Rachid
Ammar, Samir Dilou, ministre des droits de l’homme et de la Justice
transitionnelle et de Noureddine Bhiri, ministre de la Justice, avait prononcé
un discours émouvant où il a demandé pardon au nom de l’Etat tunisien pour «ce
crime commis par l’ancien régime à l’égard de l’institution militaire». Il a
procédé ensuite à la décoration des anciens militaires des insignes de la
République tunisienne, tout en offrant à l’Association Insaf pour les anciens
militaires, le blason de la République.
A quand, la réhabilitation matérielle ?
Néanmoins
et malgré ce geste important qui survint, de surcroit, le jour de la
célébration de la Déclaration universelle des Droits de l’homme, la joie était
tronquée. La réhabilitation morale s’est faite en partie, puisque les
militaires espéraient être honorés, en portant leurs uniformes et leurs grades
dont-ils ont été spoliés depuis 91. Quant à la réhabilitation matérielle, elle
tarde à venir, puisque le ministère des Droits de l’Homme insiste à trouver un
règlement à cette question dans le cadre de la loi sur l’amnistie générale,
laquelle concerne la compensation de tous les prisonniers politiques et qui n’a
pas encore vu le jour. «C’est un grand évènement, mais la blessure reste
grande, assure le Commandant pilote, Hédi Tlijani. Nous avons des sous-officiers qui sont dans
des situations précaires, ils ont besoin de soutien matériel d’urgence.
Pourquoi nous faire attendre, alors notre affaire est spécifique et que nous
sommes apolitiques, s’interroge-t-il ?
Même
son de cloche de la part du colonel Moncef Zoghlami, président de l’association
Insaf, qui, tout en considérant le geste
de Marzouki comme une satisfaction sur le plan
moral, il a précisé qu’il faut concrétiser au plus vite les mesures de
réhabilitation matérielle dont la reconstruction de carrière et la prise en
charge sanitaire et psychologique. Il a aussi attiré l’attention à la réticence
du ministère de la Défense à régler la situation des anciens militaires et a
déploré une certaine crispation dans sa gestion de l’affaire de Barraket
Essahel, en cherchant à clore le dossier au plus vite. «Or, l’idéal, c’est de
reconnaitre les erreurs commises par le commandement de l’époque, afin de ne
plus les refaire», souligne-t-il.
La
vérité, toute la vérité
Le
Capitaine Mohsen Kaâbi, secrétaire général de l’association a été parmi ceux
qui ont beaucoup critiqué le traitement de l’affaire par le ministère de la
Défense, demandant à chaque fois, que le commandement soit jugé. Il estime que
le procès ouvert, depuis mai 2011, contre les coupables, a épargné les hauts
responsables militaires de l’époque. Il continue à plaider dans ce sens,
considérant que le dévoilement de la vérité complète est un élément fondamental
pour la réhabilitation morale.
Quant
à la réhabilitation matérielle, Kaâbi affirme avoir eu une entrevue avec le
président de la République, suite à la cérémonie, où ce dernier a précisé qu’il
y a tout un projet dans ce sens qui est actuellement entre les mains de Samir
Dilou, lequel devrait le passer devant le conseil de ministres prochainement.
Rappelons
que la cérémonie intervient après le discours de Marzouki lors de la fête de
l’armée (24 juin 2012), où il a rendu pour la première fois hommage aux
militaires de Barraket Essahel. Ces derniers avaient été accusés injustement
d’avoir planifié un coup d’Etat contre Ben Ali en 1991. Le Président déchu
avait ordonné leur emprisonnement et leur torture au ministère de l’Intérieur
avant de reconnaître leur innocence. Mais depuis, les 244 officiers ont été mis
à la retraite d’office. Il a fallu 20
ans pour que l’opinion publique connaisse cette affaire.
Hanène Zbiss
L’Armée Tunisienne sinistrée
ReplyDeleteSeptembre 1992- Paris
Par Ahmed Manai, « Vérités » N°1
Au mois de mai 1991, Ben Ali annonça avec fracas aux tunisiens et au monde médusés, la découverte d’un vaste complot fomenté par le mouvement Ennahda et dans lequel auraient trempé, outre des éléments des forces de la sécurité intérieure et de la douane, de nombreux cadres de l’armée nationale.
Un colonel et dix commandants d’active ainsi qu’un colonel de réserve et de nombreux sous officiers, d’active et de réserve furent ainsi officiellement et hâtivement inculpés. Leurs noms figuraient en bonne place, à l’époque, à côté des dirigeants d’Ennahda, à la une des journaux tunisiens, pour attester, si besoin est, de l’existence d’un bras armé de ce mouvement politique.
Les deux procès instruits à cet effet par les tribunaux militaires étant aujourd’hui terminés et le verdict rendu, il serait utile de s’interroger sur l’impact laissé par cette mascarade sur l’armée tunisienne et sur le sort réservé aux nombreux militaires, déshonorés et souillés à jamais.
Un complot contre l’armée.
Dans son projet d’éradication du mouvement Ennahda, Ben A li n’a pas hésité à la tentation d’impliquer une armée, qui, sans jamais se départir de son traditionnel loyalisme, l’a toujours traité avec un total mépris tout au long de sa carrière militaro-policière et davantage encore depuis son coup d’Etat.
D’autre part un complot aux ramifications militaires, avec à sa tête des jeunes commandants d’unités, intègres et compétents, passerait pour être plus crédible aux yeux d’une opinion quelque peu incrédule.
L’histoire retiendra la réplique que Ben Ali fît à son ministre de l’intérieur, Abdallah Kallel, venu s’enquérir de l’importance à attribuer à l’armée dans son scénario : « qu’on la détruise », lui lance-t-il.
En fait le démantèlement de l’armée tunisienne était déjà largement avancé dès le lendemain du coup d’Etat de 1987. De nombreux officiers supérieurs, appartenant aux premières promotions, des colonels et parfois des généraux, ont été mis à la retraite d’office. Les plus chanceux parmi eux, liés à Ben Ali par le copinage, les affaires, la corruption ou plus simplement la « complotite », se virent attribuer de juteuses situations à la tête d’ambassades ou de sociétés d’Etat. D’autres choisis parmi les plus serviles, furent tout simplement bombardés ministres. Les moins performants investirent le corps des gouverneurs ou se retrouvèrent en compétition avec leurs collègues de la police à la tête de consulats à l’étranger, ou tout simplement délégués dans des sous-préfectures du bled.
La fin de 1989 connut une nouvelle purge de l’armée. Des colonels mais surtout de nombreux jeunes commandants et capitaines se virent mettre à la retraite et pour certains expulsés sans ménagement, sans autre perspective que le chômage.
Les élèves officiers, parfois en fin de scolarité, payèrent aussi leur tribut.
Tout ce monde se retrouve à partir de mai 1991 dans les geôles du ministère de l’intérieur ou à l’ile de Zembra, livrés aux spécialistes de la question sous l’œil vigilant du maitre des céans. Ils étaient plus de deux cents quarante. Nombre d’entre eux y laissèrent la vie, d’autres en sortirent avec des traces indélébiles, pour se faire condamner à huit clos et en l’absence de toute assistance juridique et dans l’anonymat total, à de lourdes peines de prison.
Les plus chanceux enfin iront faire de la figuration dans les deux procès pour attester, en face du monde, de la crédibilité du scénario imaginé par un fou.
Ceux-ci seront acquittés, mais comme à son accoutumée, leur distingué hôte les retiendra à perpétuité.
Ahmed Manai,
L’Armée Tunisienne sinistrée
ReplyDeleteSeptembre 1992- Paris
Par Ahmed Manai, « Vérités » N°1
Au mois de mai 1991, Ben Ali annonça avec fracas aux tunisiens et au monde médusés, la découverte d’un vaste complot fomenté par le mouvement Ennahda et dans lequel auraient trempé, outre des éléments des forces de la sécurité intérieure et de la douane, de nombreux cadres de l’armée nationale.
Un colonel et dix commandants d’active ainsi qu’un colonel de réserve et de nombreux sous officiers, d’active et de réserve furent ainsi officiellement et hâtivement inculpés. Leurs noms figuraient en bonne place, à l’époque, à côté des dirigeants d’Ennahda, à la une des journaux tunisiens, pour attester, si besoin est, de l’existence d’un bras armé de ce mouvement politique.
Les deux procès instruits à cet effet par les tribunaux militaires étant aujourd’hui terminés et le verdict rendu, il serait utile de s’interroger sur l’impact laissé par cette mascarade sur l’armée tunisienne et sur le sort réservé aux nombreux militaires, déshonorés et souillés à jamais.
Un complot contre l’armée.
Dans son projet d’éradication du mouvement Ennahda, Ben A li n’a pas hésité à la tentation d’impliquer une armée, qui, sans jamais se départir de son traditionnel loyalisme, l’a toujours traité avec un total mépris tout au long de sa carrière militaro-policière et davantage encore depuis son coup d’Etat.
D’autre part un complot aux ramifications militaires, avec à sa tête des jeunes commandants d’unités, intègres et compétents, passerait pour être plus crédible aux yeux d’une opinion quelque peu incrédule.
L’histoire retiendra la réplique que Ben Ali fît à son ministre de l’intérieur, Abdallah Kallel, venu s’enquérir de l’importance à attribuer à l’armée dans son scénario : « qu’on la détruise », lui lance-t-il.
En fait le démantèlement de l’armée tunisienne était déjà largement avancé dès le lendemain du coup d’Etat de 1987. De nombreux officiers supérieurs, appartenant aux premières promotions, des colonels et parfois des généraux, ont été mis à la retraite d’office. Les plus chanceux parmi eux, liés à Ben Ali par le copinage, les affaires, la corruption ou plus simplement la « complotite », se virent attribuer de juteuses situations à la tête d’ambassades ou de sociétés d’Etat. D’autres choisis parmi les plus serviles, furent tout simplement bombardés ministres. Les moins performants investirent le corps des gouverneurs ou se retrouvèrent en compétition avec leurs collègues de la police à la tête de consulats à l’étranger, ou tout simplement délégués dans des sous-préfectures du bled.
La fin de 1989 connut une nouvelle purge de l’armée. Des colonels mais surtout de nombreux jeunes commandants et capitaines se virent mettre à la retraite et pour certains expulsés sans ménagement, sans autre perspective que le chômage.
Les élèves officiers, parfois en fin de scolarité, payèrent aussi leur tribut.
Tout ce monde se retrouve à partir de mai 1991 dans les geôles du ministère de l’intérieur ou à l’ile de Zembra, livrés aux spécialistes de la question sous l’œil vigilant du maitre des céans. Ils étaient plus de deux cents quarante. Nombre d’entre eux y laissèrent la vie, d’autres en sortirent avec des traces indélébiles, pour se faire condamner à huit clos et en l’absence de toute assistance juridique et dans l’anonymat total, à de lourdes peines de prison.
Les plus chanceux enfin iront faire de la figuration dans les deux procès pour attester, en face du monde, de la crédibilité du scénario imaginé par un fou.
Ceux-ci seront acquittés, mais comme à son accoutumée, leur distingué hôte les retiendra à perpétuité.
Ahmed Manai,