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Tuesday, January 29, 2013

Lettre ouverte à Monsieur le ministre des Affaires étrangères



Lettre ouverte à Monsieur le ministre des Affaires étrangères du Gouvernement provisoire tunisien !

« Qu’il n’y ait aucun doute à ce propos, aucune ambivalence ni aucune compromission, nous frapperons les intérêts de celui qui frappe l’Irak, partout dans le monde, nous détruirons les intérêts de tout pays qui agressera l’Irak partout où ils se trouvent, il ne restera aucune présence occidentale dans la nation musulmane, si l’Irak est frappé […]
Ils ne partiront pas par une résolution des Nations Unies, ils ne partiront pas par nos discours ou des négociations, ils ne partiront que si on brûlait la terre sous leurs pieds, au-dessus de leurs têtes, par devant et par derrière eux[…]
Rached Ghannouchi: Août 1990


Lettre ouverte à Monsieur Rafik Abdessalem,  Ministre des Affaires étrangères du Gouvernement provisoire tunisien !

Objet : Je vous invite à réviser votre position vis-à-vis de la République arabe Syrienne, pour les nombreuses raisons que voici !
Monsieur le ministre ;
Lors de votre point de presse tenu à l’issue des travaux de la conférence des prétendus « amis de la Syrie », le 24 février 2012, vous avez été interpellé, par le journaliste Kamel Ben Younes, au sujet des manifestations de protestation ayant accompagné ladite conférence et vous lui avez fait cette réplique en guise de réponse : « mais qui sont donc  ces manifestants et où étaient- ils avant la révolution ? » Réplique dédaigneuse et méprisante, s’il en fût, vis-à-vis de concitoyens que vous ne connaissez pas et auxquels  vous devez respect et égards et que je me permets de vous présenter, puisque j’étais parmi eux ce jour  là, et que je connais nombre d’entre eux.
La majorité des jeunes, garçons et filles, qui manifestaient, ce jour là, contre la tenue de cette conférence de la honte, sur le sol tunisien, avaient déjà manifesté, plus d’un an plus tôt et tout au long des semaines qui ont conduit à faire « dégager » le tyran, alors que vous-mêmes étiez absent de Tunisie.
Ils n’étaient, cependant pas seuls, mais ils étaient accompagnés par d’autres tunisiens, jeunes et moins jeunes, et dont certains étaient en exil comme vous-mêmes et nombre de vos cheikhs, pas toujours pour les mêmes motifs. Au nombre de ces manifestants pour la dignité de la Tunisie, il y avait encore, des vieux, comme le vénérable professeur Ahmed Chabbi, patriote et militant nationaliste de la première heure. Cet « absent, avant la révolution », comme vous avez osé le dire à la volée, pour stigmatiser les « manifestants » contre la tenue de la conférence de la honte, n’a certainement aucune leçon de militantisme à recevoir de quiconque, et pour cause, il a fait sa première manifestation en septembre 1951 à Mahdia. Plus modestement, l’auteur de cette lettre n’a fait sa première manifestation qu’un an plus tard, au mois de décembre 1952, à Ouardanine, au lendemain de l’assassinat de Farhat Hached.
C’est tout ce vaillant monde de militants, que vous ne pouviez voir et qui fut l’objet de votre mépris, qui était là, pour exprimer sa colère en voyant que la Tunisie, qui fut, de tout temps, engagée dans le soutien aux causes justes, à la souveraineté des peuples et à l’indépendance des nations se soit subitement transformée, à travers ses nouveaux dirigeants, en un outil docile et domestiqué, au service de l’impérialisme, voire même, de ses suppôts, méprisables et puérils, que sont les émirs du Golfe arabe.
Monsieur le ministre ;
J’ai vainement cherché, dans vos écrits personnels, un texte ou quelque chose de semblable qui pourrait m’expliquer ce revirement total dans les positions du mouvement Ennahdha auquel vous appartenez, mais hélas, il semble que vous êtes resté tout au long de vos années d’exil, au-dessus de la mêlée, préoccupé davantage par les problèmes dogmatiques et théoriques, comme les rapports de la laïcité avec l’islam, ceux de l’Islam avec la démocratie ou l’inverse. Mais bien entendu, vous appartenez à un mouvement politico-religieux qui a souvent créé l’événement en Tunisie, tout au long des quarante dernières années, et c’est tout naturellement dans les positions de son chef, Cheikh Rached Ghannouchi, que je trouve les preuves matérielles de vos contradictions flagrantes entre, d’une part, votre extrémisme politique, d’hier, et votre honteuse soumission d’aujourd’hui, d’autre part.
Je me permets de vous rappeler ces quelques extraits de la déclaration de Rached Ghannouchi, le 3 août 1990, au grand meeting organisé ce jour là, à l’Université de Khartoum, au Soudan, en réaction aux préparatifs de guerre contre l’Irak, après que ce dernier ait envahi le Koweït:
« Qu’il n’y ait aucun doute à ce propos, aucune ambivalence ni aucune compromission, nous frapperons les intérêts de celui qui frappe l’Irak, partout dans le monde, nous détruirons les intérêts de tout  pays qui agressera l’Irak partout où ils se trouvent, il ne restera aucune présence occidentale dans la nation musulmane, si l’Irak est frappé […]
Ils ne partiront pas par une résolution des Nations Unies, ils ne partiront pas par nos discours ou des négociations, ils ne partiront que si on brûlait la terre sous leurs pieds, au-dessus de leurs têtes, par devant et par derrière eux[…]
Prêtons serment devant Dieu, de mener un combat continu contre les Américains jusqu’à ce qu’ils quittent définitivement le dernier pouce de la terre d’islam, ou alors, nous mettrons le feu et nous détruirons tous leurs intérêts dans tout le monde musulman […]
Allumons aujourd’hui le feu de la guerre contre le Taghout sous la conduite des Américains… »

Près de vingt trois ans se sont passés depuis ces déclarations, au cours desquels l’Irak a été détruit une première fois, puis subi un boycott international aussi long que ravageur. Puis il fut envahi, occupé et détruit une seconde fois, sans que Cheikh Rached n’allume l’incendie dont il menaça les Américains. Il semble même, qu’il a fini par s’excuser des propos tenus à l’encontre du Taghout d’hier, devenu par miracle, aujourd’hui, un allié stratégique !
Si j’ai tenu à rappeler ces propos d’une extrême violence et d’un rare extrémisme, en soutien à l’Irak en 1990, c’est pour signaler que les positions officielles tunisiennes à propos de la crise syrienne sont elles aussi, empreintes d’un extrémisme d’un genre nouveau.
En effet, si au cours de l’été 1990, quand le président du mouvement Ennahdha a fait ses déclarations à Khartoum, à propos de l’Irak, lesquelles se situaient, faut-il le rappeler au passage, aux antipodes de la position de la direction de ce même mouvement en Tunisie, l’Irak était, c’est vrai, menacé d’une intervention étrangère et d’une guerre destructrice. Mais il était aussi, incontestable, que l’Irak a pris l’initiative d’agresser et d’envahir le Koweït, pays voisin et frère. Cette faute stratégique du régime irakien, a fourni l’alibi à l’intervention étrangère, qui s’est ainsi prévalue du vote d’une douzaine de résolutions du Conseil de sécurité et donné une assise légale à l’agression qui a détruit ce pays.
Or, dans le cas de la Syrie, il n’y a rien de tel, qui justifierait que la Tunisie s’empressa de voter l’exclusion de ce pays, de la Ligue arabe, alors qu’elle en fut l’un des sept membres fondateurs. Pire, la Tunisie a aussi pris les devants, en rompant ses relations diplomatiques avec la Syrie et en décidant de la boycotter économiquement, et cela, bien avant tous les pays arabes, y compris les boutefeux du Golfe et de la péninsule arabique, affidés traditionnels aux intérêts américains ; et le plus incompréhensible, en s’engageant dans une logique de fourriers de l’invasion coloniale.
Pourtant, la République arabe syrienne n’a agressé, ni menacé aucun pays et encore moins des voisins, alors qu’elle en est tout simplement victime. Pour résumer la crise qu’elle traverse, disons tout simplement que ce pays a connu une révolte populaire, comme celles qui ont éclaté dans de nombreux pays arabes, pour réclamer plus de liberté et plus de participation populaire dans la gestion des affaires du pays. Cette révolte s’est vite armée et elle a opté pour la violence et le terrorisme, car elle a très vite été récupérée, armée, financée et soutenue matériellement et médiatiquement, par des puissances étrangères qui voulaient s’ingérer dans les affaires internes de la Syrie dans l’objectif clair, de la détruire, et de régler leur contentieux avec le monde arabe.
Il aurait été plus convenable et plus sage pour la Tunisie, dans de telles conditions, qu’elle aide la Syrie à surmonter ses difficultés en lui apportant le conseil fraternel dont elle aurait eu besoin, ce que la Tunisie a toujours fait depuis son indépendance et son premier gouvernement légitime, et non en usant de procédés extrêmes ou de recours ultimes, comme la rupture et le boycott.
Je n’ai pas besoin de vous rappeler l’histoire de la Syrie et son rôle dans la civilisation humaine. A l’instar de l’Égypte et de l’Irak détruite, la Syrie, fut son berceau incontestable à un moment de l’histoire où l’homme de la presqu’île arabique n’avait pas encore domestiqué le dromadaire. Je n’ai pas non plus, à vous rappeler son rôle dans la longue histoire de la Tunisie, mais je vous rappelle cependant son rôle dans l’histoire immédiate de la Tunisie.
La Syrie a reçu et formé des générations d’étudiants tunisiens qui n’ont pu réaliser leurs vœux dans leur propre pays, et je me souviens que Cheikh Ghannouchi a été lui-même formé à l’Université de Damas. Bien plus, il raconte souvent, qu’il avait pris les armes pour défendre Damas lors de l’agression israélienne en Juin 1967. La Syrie avait reçu aussi, en 1999, de nombreux membres d’Ennahda, civils et militaires, qui avaient quitté la Tunisie en 1991, après l’échec de la tentative de coup d’Etat, pour se réfugier au Soudan, lequel s’en débarrassa sous la pression des autorités tunisiennes. Ils y vécurent en paix et en sécurité jusqu’à ce que le HCR leur trouva des pays d’accueil en Europe du nord en 2003. Sommes-nous donc à ce point, si  ingrats, envers ce même gouvernement syrien qui a accueilli fraternellement, nos étudiants et nos compatriotes persécutés et pourchassés alors ?
Que s’est-il donc passé pour que la Tunisie, gouvernée par le parti Ennahdha, son obligé humainement, prenne cette position hostile à la Syrie et s’allie aux colonisateurs d’hier, à la Turquie et aux pays arabes les plus hostiles à la démocratie et à la liberté, dans le dessein de la détruire ?
Monsieur le ministre,
Les pays arabes qui ont décidé l’envoi en Syrie de la mission d’observateurs de la ligue arabe sont, ceux-là même qui avaient fait échouer cette mission. Les pays réunis sous la bannière des « amis de la Syrie » sont précisément, ceux qui avaient décidé de l’envoi de la mission Kofi Anane et des observateurs internationaux en Syrie. Pourtant, ce sont toujours, eux qui essaient par tous les moyens de faire échouer cette mission, dans le but manifeste d’y trouver matière et justification à une intervention militaire dans ce pays. Il est navrant et insupportable, pour les patriotes que nous sommes, de constater que la Tunisie ait renié ses valeurs d’indépendance et se soit fourvoyée comme membre de cette coalition satanique ; ce qui ne peut que me remémorer l’humiliante et navrante aide des pays du Golfe et de la Péninsule arabique, qui se sont transformés en bases logistiques, pour les bombardements de leurs frères d’Irak, et le génocide qui s’en est suivi.
La Syrie est en butte à une vague de terrorisme, sans précédent, de la part d’unités spéciales, issues des pays de la coalition, venus selon leur dire, secourir un peuple menacé dans son existence. Hélas, la conduite affichée, par ces pays impliqués militairement, logistiquement, diplomatiquement, et financièrement, tels que la Turquie, quelques pays arabes et la coalition occidentale, est patente, elle est bien entendu, soutenue, de façon à peine occulte par Israël voisin. Ils prétendent tous, chercher un arrêt des hostilités, tout en ignorant superbement les réformes introduites entre-temps dans le pays, du fait qu’elles desservent leur propagande. Les miliciens, les mercenaires étrangers engagés contre la République arabe syrienne, et les « révoltés » en Syrie, refusent tout dialogue, poussés en cela par leurs mécènes arabes, et leurs « appuis » occidentaux. Ne sont-ce pas ces mêmes pays qui soutiennent Israël, ne le sanctionnent jamais, malgré les centaines de résolutions du Conseil de sécurité et son refus obstiné de s’y conformer, et la situation concernant les violations constantes aux droits de l’homme, dont sont victimes les Palestiniens ? Comment faire confiance à ces pays, passés maîtres dans l’instrumentalisation des « négociations de paix », imposées aux Palestiniens, depuis des décennies, avec pour résultats des « chiffons », jamais respectés par l’ennemi israélien, qui est stratégiquement, le seul bénéficiaire de l’affaiblissement et du délabrement de la situation syrienne, avec comme victime collatérale, la Palestine, évidemment ?
C’est pour ces nombreuse raisons et considérations, pour préserver nos liens fraternels avec le peuple syrien et pour le respect de la souveraineté de la Syrie, et les intérêts supérieurs de la nation arabe, que je vous invite, Monsieur le ministre, à rompre avec  cette « coalition satanique, ennemie de la Syrie », et de mettre tout votre poids, en vue d’essayer de rétablir les relations diplomatiques que vous avez pris l’initiative de rompre avec la Syrie, et dénoncer la reconnaissance du prétendu « Conseil national syrien » par la Tunisie, ne serait-ce que parce qu’il a appelé à l’usage de la violence et a réitéré ses appels pour une intervention militaire étrangère en Syrie, ce qui constitue, indéniablement, un acte délibéré de trahison, conformément à toutes les lois , toutes les traditions et tous les usages.
Je vous prie d’accepter, Monsieur le Ministre mes salutations.
Ahmed Manai
Président de l’Institut tunisien des relations internationales
Conseiller auprès du BrusselsTribunal pour l’Irak
Membre de la mission des observateurs arabes en Syrie
N.B. : Cette lettre ouverte a été publiée par le journal tunisien Ach-chourouk en date du 5 mai 2012.
Depuis, l’engagement tunisien en faveur du CNS et de la coalition internationale contre la Syrie s’est développé, allant jusqu’à reconnaître la nouvelle coalition fantoche née à Marrakech comme seul représentant du peuple syrien. Entre temps des centaines de tunisiens, chauffés à blanc par un discours haineux, s’étaient engagés dans la guerre en Syrie et des dizaines d’entre eux y ont trouvé la mort sans que le gouvernement tunisien ne lève le petit doigt. Le président provisoire pour sa part, a continué ses élucubrations sur la nécessité du départ du Président Bachar Assad et pour l’envoi d’un corps militaire arabe en Syrie….  
Traduit de l’arabe par Hadj Abdel Majid Aït Sâadi : Paris 29 Janvier 2013


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