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Tuesday, April 02, 2013

Séminaire de doctorat Économies du monde musulman


Séminaire de doctorat
Économies du monde musulman

 
Coordonné par :
Fatiha TALAHITE  Économiste, HDR, chargée de recherche au CNRS, CRESPPA-GTM (UMR 217 CNRS/ Universités Paris 8).
Saïd SOUAM Économiste, Professeur Université Paris Ouest Nanterre La Défense, chercheur à ECONOMIX (UMR CNRS/Université Paris Ouest Nanterre La Défense), chercheur associé au CREST.
Jean-Yves MOISSERON Économiste, HDR, Chargé de Recherche à l’IRD, UMR 201 « Développement et sociétés »,  IRD/Université Paris 1 Panthéon Sorbonne,  directeur-adjoint du collège international des Sciences du Territoire.
 
 
 
Séance 4
Economie politique islamique : l’hypothèse de justice
Noureddine El Aoufi Université Mohammed V, Rabat
 
Discutante : Fatiha TALAHITE
 
 
Vendredi 26 avril 2013, 16h-18h, salle S/18
Maison des Sciences Économiques, 106 - 112 boulevard de L'Hôpital, 75013, Paris
Métro Campio Formio, ligne 5
Le séminaire est ouvert au public, sans inscription, et a lieu tous les derniers vendredis du mois (sauf vacances et jours fériés)
 
 
 
Noureddine el Aoufi est professeur d’économie à l’Université Mohammed V de Rabat, où il dirige le Laboratoire Economie des Institutions et Développement (LEID). Il est membre résident de l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques, président de l’Association Marocaine de Sciences Economiques (AMSE) et directeur de la revue Critique économique.
Ses travaux de recherche portent sur l’économie du développement, l’économie industrielle, l’économie du travail, l’économie de l’entreprise, dans une perspective institutionnaliste.
 
Parmi ses publications :
             « Islam, institutions et développement », Revue Tiers-Monde, n° 212, octobre-décembre.
             Le Maroc solidaire. Un projet pour une société de confiance, Editions Economie critique, Rabat, 2011 (sous la direction de).
             « L’évolution économique  du Maroc indépendant», in  ouvrage collectif Histoire du Maroc, Institut Royal pour la Recherche sur l’histoire du Maroc, 2012.
             « Théorie de la régulation : la perspective oubliée du développement », Revue de la régulation [En ligne], n°6 | 2e semestre 2009, mis en ligne le 08 décembre 2009. URL : http://regulation.revues.org/index7641.html
             « Le rôle des croyances dans le processus du développement économique. Arguments pour une recherche », Actes de la session plénière solennelle 2008, Académie Hassan II des sciences et Techniques, Royaume du Maroc, 2009.
             Les jeunes, mode d’emploi. Chômage et employabilité au Maroc (2008), Economie critique, Rabat (avec M. Bensaid)
             L’agriculture marocaine à l’épreuve de la libéralisation (2008), Economie critique, Rabat (avec N. Akesbi et D. Benatya) 
             Economie des organisations (2007), Editions Economie critique, Rabat/L’Harmattan, Paris (avec M. Bensaid et M. Hollard).
 
 
Les longs développements consacrés par Ibn Khaldûn, dans sa Muqaddima (prolégomènes), aux conditions du développement économique et aux causes du déclin des « cités » font ressortir le rôle incombant à la qualité des institutions. Les « bonnes institutions » favorisent le développement et, à l’inverse, les trajectoires d’involution correspondent à des dispositifs institutionnels incohérents, inadaptés et incapacitants.
Cette optique rejoint en partie les conclusions dégagées par Douglas North dans les quelques passages de son ouvrage qu’il a consacrés au monde musulman (North, 2005) : l’échec du développement dans le monde musulman s’expliquerait, outre la prédominance des transactions personnelles et informelles sur les transactions impersonnelles et formelles, par l’inefficience des institutions et la trop faible assomption des changements, liés au développement du capitalisme, intervenus notamment dans les modes de « gouvernance. »
 
La perspective proposée par Ibn Khaldûn est, toutefois, plus essentialiste dans la mesure où elle a trait aux formes d’exercice du pouvoir et aux dispositifs de la domination. C’est le concept de gouvernementalité,  dû à Michel Foucault (2004), qui rend bien compte des intuitions khaldûniennes quant à l’extension des enjeux de la politique à l’ensemble des conditions d’existence (économiques, sociales, culturelles, biologiques, mentales, comportementales, spirituelles, etc.) des individus, des groupes et des populations.
 
Cette forme de gouvernement exercé « sur les corps et sur les âmes », que Michel Foucault appelle « biopouvoir et qu’il situe au XVIIIè siècle, se fonde sur un « dispositif de pouvoir » conjuguant souveraineté, discipline, sécurité et normalisation ou homogénéisation sociale. Ne  se résorbant pas dans « l’instance de la loi », la gouvernementalité, dans le monde moderne, «a pour forme majeure de savoir l’économie politique.» Il s’agit pour Foucault d’une inflexion majeure opérée dans le principe du pouvoir en relation avec la « grande transformation » du capitalisme (Polanyi, 1983).
 
Dans la Muqaddima, Ibn Khaldûn décrit pour le monde arabo-musulman une gouvernementalité ayant pour « forme majeure de savoir » les « sciences traditionnelles » (tafsîr ou exégèse, fiqh, ‘ilm al-kalâm ou scolastique) où la raison (‘aql) cède la place à la récitation et à la transmission (naql). Les prescriptions d’ordre économique, éclatées dans le vaste corpus du fiqh et procédant des mêmes registres traditionnels, demeurent dédiées aux « moyens de gagner sa vie » et ne définissent, par conséquent, qu’une « forme mineure » de gouvernementalité. Un « bio-pouvoir » non pas politico-économique mais théologico-politique : le gouvernement des corps par le biais et le dispositif du gouvernement des âmes. 
 
Dans la présente communication, on tente d’expliquer la cohérence d’une telle forme de gouvernementalité et sa relative stabilité historique en explorant les fondements de l’économie politique islamique.
 
Celle-ci, à la différence des autres paradigmes économiques, notamment néo-classique et marxiste, semble avoir pour fondement essentiel le principe de justice. En effet, c’est sur la base de ce principe que, dès l’origine, s’est formée à Médine la « nouvelle société » inspirée des versets, coraniques, à tonalité constructiviste ou politique, de la période médinoise. Le calife Omar Ibn Al-Khattâb ira même jusqu’à faire de la justice une variable d’ajustement en période de crise (famine survenue en 638), transgressant ainsi les « limites » (houdoud) imposées par la Charia.
 
Dans la hiérarchie des catégories fondatrices (liberté pour le modèle standard, égalité dans la théorie marxiste), la valeur de justice (notamment sociale) occupe, au sein de l’économie politique islamique, une position transcendantale, déterminante en dernière instance. La justice est première, en d’autres termes c’est par elle que les libertés négatives (juridiques) deviennent positives et que les individus peuvent traduire leurs positions formelles en dispositions réelles et en fonctionnements, c’est-à-dire en capabilités (Sen, 2009). C’est aussi en vertu du principe de justice que l’égalité (justice commutative), prenant la forme d’équité (justice distributive), peut retrouver sa congruence avec le « naturalisme méthodologique » islamique (ordre naturel).
 
En mettant en avant, dans le même registre, la liberté, la dignité et la justice sociale, les « révolutions arabes » n’ont fait que révéler un paradoxe radical entachant la configuration du mulk (pouvoir) dont le fondement est la norme de justice. En effet, cette dernière renvoie à un double principe de justification : elle octroie une légitimité transcendantale au pouvoir (théologico-politique), mais, en cas de défaillance du dispositif de justice, le refus de se soumettre devient un impératif tout aussi transcendantal, comme en témoigne l’événement de la « grande discorde » (Djait, 1989) sous le règne du troisième calife Othmân Ibn ‘Affân (644-656).
 
L’hypothèse de justice ainsi suggérée débouche sur l’énoncé, à grands traits, d’une pragmatique du développement économique incorporant, sur une base institutionnelle, irréductiblement politique, l’exigence de justice sociale.     
 
-- 
Fatiha TALAHITE
Directrice adjointe du CRESPPA 
Centre de recherches sociologiques 
et politiques de Paris 
UMR 7217 CNRS
59-61, rue Pouchet
75849 Paris Cedex 17

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