Sortie de crise en Syrie : quel rôle pour Manaf Tlass ?
Selon des sources américaines bien informées à Washington, dont les propos cités par l'agence de presse Asia sont reproduits par All4Syria,
la "solution pour la Syrie" dont devrait discuter les deux présidents
américain et russe au cours du mois de juin prochain, en marge du G 8,
comporte les éléments suivants :
1 / Etablissement d'un cessez-le-feu entre l'Armée Syrienne Libre (ASL) et l'armée régulière.
2 / Fixation de la date des négociations
entre les parties syriennes en conflit. Durant la période de
préparation à cette conférence, l'ASL désignera un Conseil militaire
supérieur dont la direction sera assurée par un officier acceptable par
le régime et par les Américains, le général déserteur Manaf Tlass. Il
prendra donc le commandement de l'ASL. Le général Sélim Idriss, qui a
démontré son incapacité lors des récents combats, se mettra sous ses
ordres. Le général Tlass est en effet bien considéré par les soldats
comme par les officiers ayant déserté de l'armée régulière. Ceux-ci
auront la possibilité de réintégrer la carrière militaire après la mise
en œuvre de la situation politique.
3 / Avec l'ASL, le général Tlass se chargera de liquider les groupes radicaux, Jabhat al-Nusra et Ahrar al-Cham,
mais aussi les autres groupes terroristes inacceptables pour les
Etats-Unis. L'armée régulière aura pour mission de faciliter la mission
de l'ASL dans les régions désignées comme "lignes de contact".
4 / Une fois les groupes terroristes
supprimés, le Haut Conseil Militaire présidé par le général Manaf Tlass
composera une délégation militaire. Elle sera accompagnée lors des
négociations par une délégation politique mise sur pied par le Conseil
Coalisé des Forces de l'Opposition et de la Révolution.
Les négociations entre les parties
syriennes se dérouleront sous l'égide des Etats-Unis et de la Russie.
Les deux Etats participeront à la Conférence de dialogue prévue. Tous
les points de divergence seront négociés entre les parties en présence.
Russes et Américains exerceront sur elles les pressions nécessaires pour
parvenir à une solution. Le président syrien fera des concessions sans
caractère fondamental : il cédera au gouvernement temporaire, auquel il
reviendra d'organiser des élections démocratiques, des prérogatives
n'entrant pas en opposition avec celles du chef de l'Etat. Pour les
Russes, le transfert de la totalité des pouvoirs n'est pas nécessaire,
le gouvernement temporaire pouvant se contenter de prérogatives
n'incluant ni les Affaires étrangères, ni l'Intérieur, ni la Défense.
Les Américains négocient actuellement ces points, qu'ils n'ont pas
encore approuvés.
Au cours des négociations, des
commissions seront constituées pour mener sur le terrain l'opération de
désengagement entre l'ASL et l'armée régulière. Le général Manaf Tlass
devra réprimer ceux qui ne respecteront pas les consignes de
cessez-le-feu. Il devra aussi regrouper sous son autorité, dans des
régions aux mains de l'ASL, les armes et les hommes armés, de manière à
donner à la délégation d'opposition dans les négociations la capacité de
le faire au nom de la révolution.
Les Américains font confiance à Tlass.
Ils estiment qu'il est capable de réaliser ce qui lui sera demandé.
L'administration russe est encore plus confiante. Elle considère que
l'intéressé pourrait faire de nouveau allégeance au régime, aussitôt
stabilisée l'équilibre des forces sur le terrain. Une fois les moujahidin arabes anéantis, il pourrait pencher à nouveau en faveur du régime.
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Ce n'est pas la première fois que la
propagande du régime, dont l'originalité n'est pas au niveau des sommes
investies pour égarer les opinions publiques, dévoile des plans secrets
purs produits de son imagination.
A la fin du mois de mars 2011, la revue
"Abiyad Aswad", propriété d'un fils de l'ancien ministre de la Défense
Hasan Tourkmani, et de ce fait unique hebdomadaire syrien autorisé à
traiter de questions "politiques", avait reproduit un "Plan" attribué
au prince saoudien Bandar bin Sultan et à l'ambassadeur des Etats-Unis à
Beyrouth, Jeffrey Feltman. Il était destiné, mais les responsables
syriens s'en sont eux-mêmes chargés, à "ramener la Syrie à l'âge de
pierre". Sa divulgation par le site Filkka Israël n'était destinée qu'à
lui donner du crédit. Quelque temps plus tard, à la mi-avril, un "Plan
détaillé de stabilisation" visant à empêcher les protestations de se
développer, attribué aux Renseignements généraux, était à son tour jeté
en pâture aux lecteurs dans divers médias.
Ce nouveau plan est rendu public au
moment où - dit-on une nouvelle fois... - le général Manaf Tlass, qui a
fait défection et fui la Syrie sans avoir rallié la révolution, serait
sur le point de dévoiler son "projet politique" et d'entamer sa mise en
oeuvre. Il était donc tentant pour le régime de s'employer à le
déconsidérer en mêlant le vrai au faux et d'instiller ou de conforter le
doute sur la réalité de ses intentions.
Il n'est plus guère un secret pour
personne que l'ancien camarade de Basel puis de Bachar Al Assad a
l'intention de rentrer bientôt dans son pays. Il pense être en mesure de
réunir rapidement autour de lui, d'une part, les déserteurs de haut
rang regroupés dans l'Armée Syrienne Libre et, d'autre part, les
officiers toujours en poste dans l'armée régulière mais acquis au
changement. Ils sont restés à la tête de leurs unités pour des raisons
différentes : soumis à une surveillance de tous les instants, les uns
n'ont pas eu l'occasion ou le courage de déserter ; d'autres ont pensé
être plus utiles à la révolution en coopérant depuis l'intérieur de
l'institution avec le mouvement et en lui fournissant quand ils le
pouvaient armes et renseignements ; d'autres n'ont pas voulu exposer à
des représailles les membres de leur famille qu'ils auraient été
contraints d'abandonner derrière eux en fuyant ; d'autres encore n'ont
jamais eu confiance, ni dans l'organisation et les capacités d'une Armée
Syrienne Libre sous-équipée, ni dans la personne de ses commandants
successifs ; d'autres ont craint d'être marginalisés, si ce n'est
suspectés, en rejoignant une révolution dont la majorité des acteurs
appartenaient à la communauté sunnite majoritaire ; d'autres enfin ont
été inquiétés par l'apparition des jihadistes et par leur affirmation progressive au détriment des unités d'inspiration nationaliste.
Ancien de la Garde Républicaine, qui
vient d'être durement châtiée par les raids israéliens en raison de son
rôle dans la livraison au Hizbollah libanais de matériels
sensibles, Manaf Tlass estime être le seul officier supérieur sunnite
capable d'inspirer confiance à ses anciens camarades alaouites. Il est
convaincu qu'ils le rejoindront dès son retour en Syrie, pour mettre un
terme à des tueries qui n'aboutissent à rien d'autre qu'à accroître
chaque jour les souffrances, les démolitions et les haines. Ensemble,
ils écarteront Bachar Al Assad et poseront les bases d'une solution.
Elle prendra, dans un premier temps, la forme d'un conseil présidentiel
intérimaire composé d'un nombre égal d'officiers supérieurs et de
personnalités civiles des deux bords.
Le régime a donc pris les devants.
Informé des grandes lignes de ce projet, il lui a ajouté des détails de
son cru ou en a modifié les priorités, faisant de Bachar Al Assad le
vainqueur, de Manaf Tlass l'instrument, des jihadistes les victimes et des révolutionnaires... les dindons.
Certes, il est à craindre désormais que des affrontements soient inévitables avec les groupes jihadistes
qui refuseraient de quitter la Syrie pour aller se battre ailleurs
après le renversement de Bachar Al Assad. Ils pourraient l'être aussi
avec les salafistes, s'ils veulent mettre en place par la force
un Etat islamique rejeté par la majorité des Syriens. Mais, si le
général Tlass fait de cette confrontation une priorité, il ne sera pas
suivi par les révolutionnaires. Ceux-ci n'ont aucune responsabilité, à
la différence du pouvoir, dans l'apparition des jihadistes en
Syrie, et le phénomène n'aurait pas pris cette ampleur si la communauté
internationale n'avait pas joué le pourrissement, certains pays par
intérêt et cynisme, les autres par frilosité et indécision. Les
révolutionnaires syriens ont dit et redit qu'ils n'avaient rien de
commun avec ces combattants, dont ils ne partageaient ni les méthodes,
ni les projets, mais auxquels ils n'avaient pas les moyens de s'opposer.
Le seul objectif qui les rapproche est le renversement du chef de
l'Etat et des piliers militaires et sécuritaires de son régime, qui
reste pour tous la priorité.
La divulgation de ce plan et son
imputation aux Américains entrent donc dans une stratégie de discrédit
de Manaf Tlass. Qu'elles soient exactes ou pas, ses différentes étapes
et composantes - priorité donnée à l'affaiblissement et à la division
des forces opposées au régime, assujettissement du général aux
Américains et aux Russes, autonomie des militaires vis-à-vis des
politiques... et ralliement final au régime avec lequel le déserteur
n'aurait pris ses distances que pour servir ses desseins - sont en effet
de nature à susciter le trouble et à provoquer la suspicion.
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