Alors
que toutes les options sont censées être toujours sur la table, Barack
Obama s’éloigne clairement de l’éventualité d’une implication plus
profonde en Syrie maintenant qu’il est évident que rien, à part une
intervention militaire directe, ne fera tomber le régime de Damas. Au
cours des derniers mois seulement, les groupes armés ont perdu des
milliers d’hommes. Même si le conflit va perdurer un certain temps
encore, l’armée syrienne est en train de réduire progressivement
l’insurrection.
Ceux
qui sont derrière cette aventure sont en plein désarroi. Comme le
Conseil national syrien avant elle, la Coalition nationale syrienne a
implosé. Muadh al Khatib [ex chef de la coalition] est maintenant une
voix en marge. Ghassan Hitto [en passe d’être limogé] est la seule
personne au monde à être premier ministre d’un comité. Ces personnes
sont une cause complètement perdue.
Dans
le monde réel, et non pas le monde des illusions, on est horrifié par
la vidéo qui montre un chef « rebelle » arracher le cœur du corps d’un
soldat mort et mordre dedans. Ou peut-être étaient-ce les poumons ou le
foie. Si les médias semblent hésiter là-dessus, ils semblent considérer
important assez important de savoir de quel organe il s’agit exactement.
Loin de nier cet acte sanguinaire, son auteur l’a revendiqué avant de
se vanter de la façon dont il avait découpé en morceaux le corps de
shabihas [shabiha : désignation habituelle des milices pro
gouvernementales] faits prisonniers.
Le
cannibalisme semble être une première mais sinon, il n’y a pas grand
chose que les psychopathes des groupes armés n’ont pas encore fait en
Syrie. Mais peut-être ne doit-on pas appeler psychopathes les gens qui
font ce genre de choses ? Ce sont après tout exactement le genre de
personnes qu’il faut pour faire une guerre aussi sauvage. La soi-disant
Armée Syrienne Libre (ASL) a dit qu’elle allait rechercher l’homme qui a
découpé le cœur du soldat. Très bien. Elle pourrait aussi partir à la
recherche des égorgeurs et des ‘rebelles’ qui ont décapité des gens.
Elle
pourrait aussi traquer les hommes qui ont tué des fonctionnaires avant
de balancer leurs corps du toit du bureau de poste à Al Bab. Elle
pourrait pourchasser leurs frères d’armes qui ont visé délibérément des
civils avec des voitures piégées. Elle pourrait aussi traquer les
assassins de l’imam et des 50 fidèles de la mosquée de Damas et elle
pourrait pourchasser tous les violeurs et tous les ravisseurs, dont les
Tchétchènes qui ont enlevé deux évêques qui restent détenus à Alep
tandis que les dirigeants Chrétiens des gouvernements occidentaux
regardent ailleurs. Dans cette traque de tous les individus qui ont sali
sa glorieuse réputation, l’ASL n’aura pas à aller chercher bien loin
parce que beaucoup d’entre eux viennent de ses propres rangs. Ce ne sont
pas les preuves qui manquent. Les médias regorgent de séquences vidéos
sanguinolentes à la gloire des hauts faits de ces hommes qui sont fiers
de leur bravoure et veulent la donner à voir au monde. Ce sont ces gens
que le Qatar et l’Arabie Saoudite ont armés et financés pour prendre le
contrôle de la Syrie.
Telle
est la réalité derrière le récit bidon qu’ont refilé les médias pendant
les deux dernières années. Les médias ont régurgité tous les mensonges
et toutes les exagérations des ‘activistes’ et du soi-disant
Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH), selon qui la chute du
‘régime’ syrien était imminente et toutes les atrocités étaient du fait
de l’armée syrienne. A l’exception de quelques reportages récemment
publiés par Robert Fisk, pratiquement aucun média grand public n’a
rapporté les combats vus de la perspective du gouvernement syrien et de
son armée. Les journalistes passaient les frontières avec les groupes
armés et rapportaient uniquement leur version des événements. C’est
comme compter sur les journalistes ‘embedded’ avec l’armée des Etats
Unis pour avoir un récit fiable de ce qui se passait en Irak. Et, encore
comme en Irak, la même propagande se répète au sujet des armes
chimiques.
La
réalité devait finalement l’emporter. Ce n’est pas le ‘régime’ ou
l’armée qui sont sur le point de s’effondrer mais l’insurrection. Seule
une intervention militaire directe peut la sauver et, au vu des succès
de l’armée syrienne et du ferme soutien apporté par la Russie au
gouvernement syrien, elle est extrêmement improbable. Obama est exhorté à
‘faire plus’ mais il ne semble guère montrer d’inclination à se laisser
aspirer plus avant dans ce bourbier. Les autres ne feront rien sans les
Etats Unis à leur tête. L’Allemagne est opposée à une implication et
l’Autriche a déclaré que fournir des armes aux ‘rebelles’, ce que la
Grande Bretagne voulait faire, quand l’embargo de l’UE arrivera à terme
le 31 mai, serait une violation du droit international.
Cette
semaine, les projecteurs se sont tournés vers le Premier ministre turc,
Recep Tayyip Erdogan, avec son voyage à Washington pour discuter de la
Syrie avec Barack Obama. La Turquie a joué un rôle central dans
l’évolution du conflit syrien. L’Arabie saoudite, le Qatar et la Libye
ont fourni l’argent et les armes, mais c’est la Turquie qui a ouvert son
territoire à la mobilisation des hommes armés qui passent la frontière
pour faire tomber le « régime ». Erdogan n’a pas reculé d’un pouce de la
position qu’il a prise contre Bachar al Assad il ya plus de deux ans.
Le seul cas démontré d’une attaque à l’arme chimique à été celle faite
avec un mélange à base de chlore placé dans une ogive et tiré sur un
barrage de l’armée syrienne à Khan al Assal, tuant un certain nombre de
soldats et de civils. Erdogan, cependant, maintient que c’est l’armée
syrienne qui a utilisé des armes chimiques et, ce faisant, a franchi la
« ligne rouge » tracée par Obama. Interrogé peu avant son départ pour
Washington pour savoir s’il soutiendrait la mise en place d’une zone
d’exclusion aérienne, il a répondu :« Nous dirions oui tout de suite ».
La
semaine dernière, des voitures bourrées de plus d’une tonne de C4 et de
TNT ont explosé dans la ville frontalière de Reyhanli dans la province
de Hatay. Au moins 51 personnes ont été tuées. Les destructions ont été
énormes. L’immeuble de la mairie et des dizaines de commerces ont été
rasés. Dans les heures qui ont suivi l’attentat, des voitures
immatriculées en Syrie ont été détruites et des réfugiés Syriens ont été
attaqués par des habitants fous de rage. Tout en s’affairant autour des
décombres, ils maudissaient Erdogan. Cet attentat atroce suivait un
modus operandi familier aux Syriens : une bombe explose suivie d’autres
une fois que les gens se sont rassemblés autour du lieu de la première,
ce qui permet de maximiser le nombre de victimes.
En
dépit des accusations du gouvernement turc pour qui l’attentat est
l’oeuvre d’une organisation terroriste collaborant avec les services
secrets syriens, seuls les groupes armés ou un des gouvernements qui les
soutient pouvait avoir un mobile évident de commettre ce crime. L’armée
syrienne est en train d’écraser l’insurrection, le conseil des
« traîtres » basé à Doha a implosé et les Russes et les Américains se
sont assis pour discuter. L’attentat était clairement conçu pour attirer
la Turquie à entrer directement dans le conflit de l’autre côté de la
frontière.
L’attentat
de Reyhanli est intervenu une semaine après qu’Israël a lancé une série
d’attaques aériennes sauvages contre la Syrie. Ce n’était pas une
frappe avec un seul missile. Deux attaques en trois jours, qui ont duré
des heures avec un largage massif de bombes sur la périphérie de Damas,
ce qui donne à penser que le but était de provoquer une riposte
syrienne, ouvrant la voie à une guerre générale dans laquelle l’Iran
pourrait être attaqué. Israël a prétendu que la cible était un
chargement de missiles destiné au Hezbollah, mais alors qu’un centre de
recherche militaire et une usine alimentaires de l’armée ont été
touchés, rien n’indique que des missiles auraient été détruits. Ces
attaques se sont avérées par la suite avoir été un échec politique et
stratégique. Poutine a passé un savon à Netanyahou et l’a puni en
fournissant ou en menaçant de fournir à la Syrie des missiles
anti-aériens évolués de type S300. On peut mesurer l’arrogance d’Israël à
son insistance pour dire qu’il lancerait d’autres attaques si
nécessaire et qu’il détruirait le régime syrien s’il osait riposter.
Obama
subit en ce moment aux Etats Unis des pressions pour “faire plus”. A
Washington, les mêmes personnes qui appelaient à la guerre contre l’Irak
appellent maintenant à un élargissement du conflit en Syrie. Le
Sénateur Bob Menendez, un chaud partisan d’Israël, comme presque tous
les élus au Congrès, a introduit un projet de loi pour que
l’administration Obama fournisse des armes aux ‘rebelles’ (comme si elle
ne le faisait pas déjà secrètement ou par son soutien aux livraisons
d’armes effectuées par le Qatar et l’Arabie Saoudite).L’ancien rédacteur
en chef du New York Times Bill Keller qui soutenait la guerre en Irak
veut aussi que les Etats Unis arment les ‘rebelles’ et ‘défendent les
civils qui sont massacrés dans leurs maisons’ en Syrie. Il ne parle bien
entendu pas des civils qui ont été massacrés par les groupes armés.
Le
Washington Post a été forcé de reconnaître que l’armée syrienne est en
train de gagner cette guerre mais reste déconcerté par la tournure
défavorable des évènements. ‘Que se passera-t-il si les USA
n’interviennent pas en Syrie ?’ demande-t-il avant de donner les
réponses. La Syrie se fracturera selon des lignes sectaires, avec le
Jabhat al-Nosra contrôlant le nord et les ‘résidus du régime’ contrôlant
des bandes de territoire à l’ouest. La guerre sectaire s’étendra à
l’Irak – comme si elle n’était pas déjà une des conséquences de
l’intervention américaine – et au Liban. Les armes chimiques seraient un
des enjeux, ‘forçant probablement à une nouvelle intervention
israélienne pour empêcher leur acquisition par le Hezbollah ou al
Qaïda.’. Si les Etats Unis n’interviennent pas pour empêcher tout ça, la
Turquie et l’Arabie Saoudite ‘pourraient conclure que les Etats Unis ne
sont plus un allié fiable.’
Il
existe une autre réponse plus plausible à la question sur “ce qui va
arriver”. Cette réponse est que l’armée syrienne finira par expulser du
pays les ‘rebelles’ survivants et que Bachar al-Assad en sortira plus
populaire que jamais parce qu’il aura vaincu la plus grande menace de
son histoire pour l’Etat syrien. Des élections se tiendront en 2014 et
il sera élu président avec 75 % des suffrages. C’est du moins ce que
prédit la CIA.
Erdogan
est venu à Washington pour avertir lui aussi Obama de ‘faire plus’,
mais il est clair que le président US ne veut pas faire grand-chose de
plus. Les médias turcs ont rapporté qu’Obama a dit qu’Assad « doit
partir » mais ce n’est pas ce qu’il a dit. Obama a choisi ses mots avec
soin. Dans sa conférence de presse avec Erdogan, il n’a pas dit qu’Assad
‘doit partir’ mais que « he needs to go » et que « he ‘needs ‘to
transfer power to a transitional body. (transférer le pouvoir à une
autorité de transition) [effectivement on traduirait de la même façon
‘he must’ et ‘he needs’ par ‘il doit’ alors qu’il existe une nuance
intraduisible me semble-t-il]. La différence est des plus importantes. A
titre personnel, Obama ne voudra pas terminer sa présidence englué dans
une guerre ingagnable et impopulaire, une guerre qui pourrait en outre
rapidement évoluer d’une crise régionale vers une crise mondiale.
Un
sondage récemment conduit par Pew montre que le peuple américain en a
assez des guerres au Moyen Orient et les discussions entre Kerry et
Lavrov indiquent que cette fois, après avoir permis à l’accord de Genève
de juillet 2012 de tomber à plat, les Etats Unis sont sérieux dans la
recherche d’une sortie négociée de la crise même si d’autres [pays] ne
le sont pas [sérieux]. S’il existe un danger de déraillement de la
position des Etats Unis, il viendra plus probablement des rangs de leurs
amis et alliés.
Jeremy Salt
The Palestine Chronicle, 18 mai 2013 .
*Jeremy
Salt est professeur associé d’histoire politique du Moyen orient à
l’université Bikent d’Ankara. Il a enseigné auparavant à l’université du
Bosphore d’Istanbul et à l’université de Melbourne dans les facultés
d’étude du Moyen Oriens et de science politique. Le professeur Salt a
écrit de nombreux articles sur les problèmes du Moyen orient et a été
journaliste pour le quotidien australien The Aga lorsqu’il résidait à
Melbourne.
Traduit de l’anglais par Djazaïri (19.05.2013) :
http://mounadil.wordpress.com/2013/05/19/pour-jeremy-salt-une-seule-option-en-syrie-la-victoire-de-larmee-et-du-gouvernement-syriens/
No comments:
Post a Comment