De la guerre chimique à la guerre médiatique
Par Louis Denghien, le 4 décembre 2012
Les menaces proférées lundi par Barack Obama à l’encontre
de Bachar al-Assad et du gouvernement syrien à propos de l’utilisation
éventuelle par Damas de gaz sarin dans sa lutte contre les rebelles nous
revoient irrésistiblement au précédent irakien, Bush Jr et Colin Powell
ayant en leur temps inquiété la galerie occidentale avec des canons
géants et autres armes de destruction massive. Obama s’est même fait
menaçant Bachar en des termes qui rappellent que le président américain,
pour être noir et démocrate, n’en est pas moins un cow-boy. Sa
secrétaire d’État, Hillary Clinton, infatigable belliciste et
insoupçonnable sioniste, en a remis une couche sur le même sujet.
Obama nous refait le coup de l’Irak
Un cow-boy et un désinformateur : toute cette nouvelle
offensive médiatique reposerait sur de mystérieux renseignement parvenus
à Washington et selon lesquels, selon la formulation technique de l’AFP, « Damas serait en train de mélanger les composants nécessaires à la militarisation du gaz sarin« ,
utilisé dans le conflit irako-iranien des années 80. Qui sont les
informateurs de la Maison-Blanche ? Des opposants basés à Doha au Qatar,
peut-être ?
Le ministre jordanien des Affaires étrangères, Nasser
Judeh, qui se trouvait justement en visite chez le protecteur – ou
donneur d’ordres – américain, a rebondi avec servilité sur la
déclaration du président américain, estimant que l’usage par Damas
d’armes chimiques « changerait la donne » et justifierait une intervention internationale.
Le gouvernement syrien n’a pu que répéter que ce qu’il
avait précédemment déclaré sur le même sujet, à savoir qu’il
n’utiliserait jamais de telles armes contre son peuple, les réservant à
des agresseurs étrangers.
Comment analyser cette nouvelle escalade déclamatoire
américaine ? Comme une continuation, bien sûr, de la guerre contre la
Syrie (et l’Iran et le Hezbollah). Mais par d’autres moyens que la
guerre réelle. Tout ceci – qu’on pourrait résumer par la formule « de la
fumée sans feu » – s’inscrit dans le même processus de pression –
psychologique autant que diplomatique – sur les milieux militaires et
politiques syriens, pour leur signifier qu’ils ont toujours dans le
collimateur de l’axe occidental, avec une épée de Damoclès, judiciaire
sinon militaire, au-dessus de leurs têtes. Mais nous pensons que les
milieux dirigeants ne se laisseront pas impressionner, d’autant qu’ils
savent qu’ils n’ont rien à espérer de leurs ennemis.
Leurs ennemis qui, sur le terrain, font certes chaque jour
des dégâts, mais n’avancent pas, ni géographiquement, ni militairement,
ni politiquement. Et ce patinage sanglant explique sans doute en partie
les menaces médiatiques de l’administration Obama. Qui n’enverra pas les
boys en Syrie, alors qu’elle doit le retirer d’Afghanistan et que le
souvenir de l’Irak, de la Somalie, et aussi du Viet-Nam reste prégnant
dans l’opinion américaine.
Une fois de plus, Washington et ses
relais, incapables de passer à l’acte, se réfugient dans la guerre
psychologique à la petite semaine, histoire de maintenir un minimum
syndical de pression – et de sauver la face. C’est à ce
registre qu’appartient la dernière déclaration du secrétaire général de
la Ligue arabe, Nabil al-Arabi, selon qui l’opposition progressait « chaque jour politiquement et militairement » et le régime syrien pouvait tomber « à n’importe quel moment« .
N’importe quand, ça peut donc aussi être dans un avenir lointain. On ne
poussera pas plus loin l’exégèse et on se contentera de rappeler que M.
al-Arabi n’est, après tout, qu’un salarié de l’émir du Qatar.
Poutine visé par les Patriots
D’une importance plus immédiate pour l’indépendance et la
sécurité de la Syrie, les entretiens Poutine/Erdogan à Ankara, lundi, se
sont conclus, au-delà des formules de politesse diplomatique e par-delà
les réalités économiques liant les deux pays, par un franc constat de
désaccord. Que Poutine a exprimé sans fards au cours d’une conférence de
presse commune avec le Premier ministre turc. Certes, a-t-il assuré,
Moscou et Ankara ont les mêmes objectifs (de paix et de démocratie) pour
la Syrie. Mais, évidemment, la manière diffère : « La Russie et la Turquie ne peuvent trouver pour le moment une approche mutuelle sur les moyens de régler la situation en Syrie »
a sobrement dit le président russe. Qui a critiqué une nouvelle fois le
projet de déploiement de quatre ou six batteries de missiles
euro-américains Patriot par les Turcs sur leur frontière avec la Syrie,
déploiement qui devrait être avalisé par l’OTAN réuni aujourd’hui à
Bruxelles. Les missiles devraient être opérationnels au premier
trimestre 2013.
Sergueï Lavrov, chef de la diplomatie russe, présent au
sommet de l’OTAN, exprimera cette désapprobation russe. Mais on peut
penser qu’au-delà des protestations diplomatiques, Moscou devrait (le
verbe « devoir » est ici employé aussi bien au sens d’obligation
politique que de possibilité factuelle) travailler à des contre-mesures
techniques, pour soutenir le gouvernement syrien. Nous pensons qu’ils le
feront. Parce qu’il n’est toujours pas de leur intérêt que Bachar perde
et que le Qatar et l’OTAN gagnent. Et qu’il leur est difficile de
laisser déployer des Patriot si près de leurs frontières. Après tout,
ces missiles sont aussi dirigés contre les Russes, autant que contre les
Syriens – et les Iraniens.
Un certain nombre des lecteurs d’Infosyrie
trouvent Poutine « mou du genou » sur la Syrie. C’est faire bon marché
de l’action diplomatique – fondamentale - – et de l’aide technique et
militaire – non négligeable – des Russes en faveur de la Syrie depuis un
an et demi. La manière russe, dénoncée globalement comme brutale par
essence par les milieux atlantistes de France et d’ailleurs, privilégie
la forme, une forme respectueuse des procédures internationales de
négociation, qui souligne a contrario l’activisme et l’agressivité des Occidentaux sur le dossier syrien.
Au fond toute l’action de Poutine et de
Lavrov depuis un vingtaine de mois consiste à démontrer au monde que
Washington et ses alliés ne veulent ni la paix, ni la démocratie, ni le
dialogue, pas plus que n’en veulent la majorité des rebelles sévissant
en Syrie. Cette stratégie doit évidemment être complétée par une aide
militaire et économique concrète. Elle existe,même si elle et peu
médiatisée. Poutine, considéré comme un cosaque par nos « élites », veut
corriger cette image, et rappeler à l’opinion internationale qu la paix
dans le monde – et au Proche-Orient – est d’avantage menacée par les
cow-boys que les cosaques.
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