Le texte intégral de la dernière révolte de
Aminata Traoré : rendez-nous notre pays !
« Toute
société impérialiste voit dans l’Autre la négation de l’idéal qu’elle
s’efforce, elle-même, d’atteindre. Elle cherche à le domestiquer en
l’attirant dans le champ d’application de son idéal et en l’y situant au
degré le plus bas » Wolfgang Sachs
QUE SOMMES-NOUS DEVENUS AU MALI ?
« A qui allons-nous rendre les clés ? »
est la question posée par Pierre Lellouche, député UMP et Président du
groupe Sahel de la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée
Nationale française à propos du Mali. C’était le 22 avril 2013, lors du
débat parlementaire qui a précédé le vote de la prolongation de
l’opération Serval. Comme pour lui répondre, Hervé Morin, ancien
ministre (UMP) de la Défense dit « Mais il n’y a personne
à qui passer la main ». Comme une lettre à la poste, la
prolongation demandée a été adoptée à l’unanimité. S’agissant de
l’organisation de l’élection présidentielle en juillet 2013. La France
officielle est non seulement unanime mais intransigeante
Je
serai « intraitable » a prévenu le Président François Hollande. Ce mot
est dans toutes les têtes ici et nous a blessés. Le ministre de la
Défense Jean Yves Le Drian estime à ce sujet qu’ « il faut dire les
choses fortement » (RFI). Les Maliens qui ont accueilli le Président
François Hollande en libérateur s’imaginaient que l’Opération Serval
débarrasserait rapidement leur pays de Al Qaeda au Maghreb Islamique
(AQMI) et ses affiliés d’Ansar Dine et du MUJAO et que la vie
reviendrait comme avant. L’intervention militaire a incontestablement
réduit la capacité de nuisance des djihadistes en en tuant quelques
centaines et en détruisant d’énormes stocks d’armes et de carburant.
Mais les villes de Gao et
Tombouctou sont libérées sans
l’être totalement puisque des groupes que le discours officiel qualifie
de « résiduels » opèrent dans ces localités et y commettent des
attentats. Fait plus préoccupant, Kidal est entre les mains du Mouvement
National de Libération de l’Azawad (MNLA) qui interdit à l’armée
malienne d’y accéder.
De
peur de s’enliser, la France revoit ses effectifs à la baisse sans pour
autant se retirer. Sa coopération avec la Communauté Economique des
Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dans la mobilisation des troupes
africaines de la Mission Internationale de Soutien au Mali (MISMA) étant
loin d’être satisfaisante. La Mission multidimensionnelle intégrée des
Nations unies au Mali (MINUSMA) entrera en action en juillet.
La
France ne s’enlisera pas. Mais dans quelle aventure a-t-elle embarqué
notre pays alors qu’il ne s’y était pas préparé ? Et quel Mali
laisserons-nous aux générations futures ? Celui où le départ du dernier
soldat français a été l’un des temps forts de sa décolonisation et qui
aujourd’hui perd ce qui lui restait de souveraineté ?
Confiant
dans son rôle de libérateur, le Président Hollande nous a promis lors
de son passage à Bamako une nouvelle indépendance, « non pas contre le colonialisme, mais contre le terrorisme ».
Comme s’il appartenait à la France de nous sauver d’un péril auquel
elle n’est pas étrangère si l’on remonte à son intervention en
Libye.
L’Homme
malien est-il suffisamment entré dans l’histoire ? Est-il sujet de son
propre devenir de manière à jouir de son droit de dire « non » aux choix
et aux décisions qui engagent son destin ?
La
militarisation comme réponse à l’échec du modèle néolibéral dans mon
pays est le choix que je conteste. Interdite de séjour dans les pays de
l’espace Schengen, je regarde avec admiration et respect, la
mobilisation et la détermination des peuples d’Europe à lutter contre le
même système qui en toute quiétude nous broie, ici en Afrique.
L’EFFONDREMENT DU CAPITALISME MALIEN « GAGNANT »
Le
Mali ne souffre pas d’une crise humanitaire et sécuritaire au nord du
fait de la rébellion et de l’islam radical et d’une crise politique et
institutionnelle au sud en raison du coup d’Etat du 22 mars 2012. Cette
approche réductrice est la première et véritable entrave à la paix et la
reconstruction nationale. Nous avons assisté surtout à l’effondrement
d’un capitalisme malien prétendument gagnant au coût social et humain
fort élevé.
Ajustement
structurel, chômage endémique, pauvreté et extrême pauvreté, sont notre
lot depuis les années 80. La France et les autres pays
européens ont juste une trentaine d’années de retard sur le Mali, et
ses frères d’infortune d’Afrique, soumis depuis plus de trois décennies à
la médecine de cheval du Fond Monétaire International (FMI) et de la
Banque mondiale.
Selon
le CNUCED (rapport 2001), l’Afrique est le continent où la mise en
œuvre des PAS a été la plus massive, la plus poussée et la plus
destructrice le long des décennies 80 et 90 au cours desquelles les
institutions internationales de financement ne se sont préoccupées que
de la correction des déséquilibres macro-économiques et des distorsions
du marché en exigeant des Etats des documents de stratégie de réduction
de la pauvreté (DSRP).
Le credo
de Margaret Thatcher « There Is No Alternative »
(TINA) marche à merveille sous nos cieux. Il revient à dire au plan
économique « libéralisez vos économies à tout prix », au plan politique
« Démocratisez selon nos normes et nos critères » et dans le cas du Mali
« votez en juillet ». A cet agenda, suffisamment périlleux, s’ajoute, à
présent, le volet militaire « sécurisez vos pays selon nos méthodes et
conformément à nos intérêts ».
Sacrifié
sur l’autel du commerce dit libre et concurrentiel, mais parfaitement
déloyal comme l’illustrent les filières cotonnière et aurifère, et sur
celui de la démocratie formelle, le Mali est en
train de l’être, également, dans le cadre de la lutte contre le
terrorisme.
La
rébellion du Mouvement Nationale de libération de l’Azawad (MNLA), le
coup d’Etat, et le recrutement des jeunes chômeurs et affamés au nord
comme au sud du pays par AQMI, Ansar Dine et MUJAO s’inscrivent dans un
environnement national explosif. Il a été marqué en fin 2011 et début
2012 par des marches de protestations contre la vie chère, le chômage,
la précarité, le référendum constitutionnel, la question foncière, la
corruption et l’impunité.
Mis
à part la petite minorité des nouveaux riches, c’est le peuple malien
qui est le grand perdant de l’ouverture de l’économie nationale aux
forceps. Il est diverti par le discours mensonger et soporifique sur
l’exemplarité de notre démocratie et de nos performances économiques qui
étaient semble-t-il les meilleures de l’UEMOA. Les voix discordantes
sont ostracisées.
DENI DE DEMOCRATIE
Démocratique
à l’intérieur de ses frontières, lorsqu’on considère la teneur et la
vivacité du débat dans l’hémicycle et dans la rue sur le mariage pour
tous, par exemple, elle se montre intraitable dans ses relations avec le
Mali. Ne pas voir le moindre mal dans son retour en force. Ne rien
savoir de ses desseins ou faire semblant de
ne pas savoir. Chanter et danser à sa gloire si l’on veut être dans ses
bonnes grâces, exister politiquement et
circuler librement en Europe. S’y refuser, reviendrait à ne pas être
avec elle, donc contre elle. On se croirait au lendemain des attentats
du World Trade Center aux Etats-Unis d’Amérique en 2001, au moment où le
Président américain Georges W Bush déclarait : « Ou bien on est avec
nous, ou bien on est avec les terroristes ». Dans mon cas ce sont les
idées de gauche sur les ravages de la mondialisation néolibérale en
Afrique qui sont devenues subversives. Elles m’avaient pourtant valu
d’être l’invitée du Parti Socialiste à son université de la Rochelle en
2010.
Pour
brouiller le sens de mon discours et de mon combat j’ai été qualifiée
d’abord de pro-putschiste et d’anti-CEDEAO, avant l’étape actuelle de
mon assignation à résidence. Je suis redevable à Karamoko
Bamba du mouvement N’KO de
cette pensée africaine selon laquelle « celui
qui a le fusil ne s’en sert pas pour prendre le pouvoir. Et celui qui
détient le pouvoir l’exerce dans l’intérêt du peuple et sous son
contrôle ».
Pourquoi
devais-je faire porter l’entière responsabilité de l’effondrement de
l’Etat aux laissés-pour-compte d’une armée gangrenée, comme les autres
institutions de la République, par la corruption, le népotisme et
l’impunité ?
Il
ne peut être reproché aux militaires de ne pas savoir défendre un pays
dont les élites politiques et économiques, non seulement
acceptent de l’ouvrir au marché dans les pires conditions mais en
profitent pour
s’enrichir. Le naufrage est d’abord le leur pour avoir revendiqué un
modèle économique qui rime avec le désengagement et le délitement de
l’Etat, la ruine des paysans, la clochardisation des troupes et le
chômage endémique. S’ils n’avaient pas les moyens d’appréhender les
ravages du système dans les années 80, nos dirigeants politiques ne
peuvent plus l’ignorer au regard de l’impasse dans laquelle ce système a
conduit la Grèce, l’Espagne, le Portugal, Chypre et… la France, leur
mode de référence.
DE L’OSTRACISATION A LA CRIMINALISATION
C’est le 12
avril au moment de me rendre à Berlin à l’invitation de la gauche allemande (Die
Linke) et à Paris à celle du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) que j’ai appris que j’étais devenue persona non grata en Europe à la demande de la France. Il en est de même pour Oumar Mariko, le Secrétaire général du parti SADI (Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance).
L’ambassade d’Allemagne m’a donné un visa qui m’a permis de me rendre à
Berlin en passant par Istanbul (Turquie) au lieu d’Amsterdam (Pays-Bas)
comme initialement prévu. Quant à l’étape de Paris, elle a tout
simplement été annulée.
J’ai pris connaissance de mon statut
de persona non grata par le message suivant qui m’a été adressé par la Fondation Rosa Luxembourg
« L’ambassade
d’Allemagne à Bamako nous a informé ce matin que la condition
indispensable pour votre visa pour l’Allemagne est que vous ne voyagez
pas via un pays de Schengen. C’est pourquoi nous avons acheté un nouveau
ticket (des vols via Istanbul/Turquie) que vous trouvez ci-joint. Je
suis désolé que de ce fait vous n’avez pas la chance de rester trois
jours à Paris. Mais l’ambassade d’Allemagne nous a informé que la France
a empêché qu’on vous donne un visa pour tous les pays Schengen. On va
venir vous chercher à l’aéroport à Berlin lundi. »
L’Association
« Afrique Avenir » en co-organisatrice de l’une des conférences à
Berlin a protesté et ses principaux partenaires ont réagi à leur tour.
Je remercie tous ceux qui m’ont témoigné leur solidarité et rappelle ici
le sens de mon combat, pour ceux qui considèrent que la France a le
droit de porter atteinte à ma liberté de circulation en raison de mon
désaccord avec Paris lorsqu’il ne pratique que la politique de ses
intérêts.
Qui peut me
reprocher ce que les auteurs du rapport d’information du Sénat français disent si clairement en ces termes « La
France ne peut se désintéresser de l’Afrique qui est, depuis des
décennies, sa profondeur stratégique, qui sera demain, plus peuplée que
l’Inde et la Chine (en 2050, l’Afrique aura 1,8 milliards d’habitants
contre 250 millions en 1950), qui recèle la plupart des ressources
naturelles, désormais raréfiées et qui connaît un décollage économique,
certes, inégal, mais sans précédent, qui n’est plus, seulement, porté
par l’envolée du cours des matières premières, mais aussi, par
l’émergence d’une véritable classe moyenne ».
Si le constat sur les enjeux
démographiques et économiques est fondé, le « décollage économique » auquel ce rapport fait allusion est incertain, source de conflits parce
qu’inégalitaire, ne profitant d’abord qu’aux entreprises étrangères et à une partie de l’élite politique et économique.
Les
enjeux de l’intervention militaire en cours sont : économiques
(l’uranium, donc le nucléaire et l’indépendance énergétique),
sécuritaire (les menaces d’attentats terroristes contre les intérêts des
multinationales notamment AREVA, les prises d’otages, le grand
banditisme, notamment le narcotrafic et les ventes d’armes),
géopolitique (notamment la concurrence chinoise) et migratoires.
Quelle
paix, quelle réconciliation et quelle reconstruction peut-on espérer
lorsque ces enjeux sont soigneusement cachés au peuple ?
L’INSTRUMENTALISATION DES FEMMES
L’interdiction
de l’espace Schengen ne me vise pas en tant que femme mais elle
démontre que celles qui refusent d’être instrumentalisées dans la
défense des intérêts dominants peuvent être combattues. J’en fais la
douloureuse expérience au niveau national depuis longtemps déjà, mais ne
m’attendais à être ostracisée de la part du pays des droits de l’homme,
précisément, au moment où mon pays est en guerre. Il viole ainsi la
résolution 1325, relative à la participation des femmes à la prise de
décision à tous les niveaux, à la
prévention ou à la résolution des conflits ainsi qu’à la
reconstruction.
Dois-je
rappeler que le 8 mars 2013, Journée Internationale des Femmes, le
Président François Hollande répondait à son prédécesseur, Nicolas
Sarkozy qui s’interrogeait sur la présence de l’armée française au Mali,
qu’elle y est allée « parce
qu’il y avait des femmes victimes de l’oppression et de la barbarie !
Des femmes à qui l’on imposait de porter le voile ! Des femmes qui
n’osaient plus sortir de chez elles. Des femmes qui étaient battues ! ».
A
propos de
voile, je suis l’une des rescapées maliennes et sahéliennes de
l’analphabétisme
qui tente de déchirer celui, pernicieux, de l’illettrisme économique
qui maintient les Africains dans l’ignorance la plus totale des
politiques néolibérales et fait d’eux du bétail électoral. Le Président
Hollande se montrerait-il si intraitable quant à la date de l’élection
présidentielle au Mali s’il avait devant lui un électorat malien qui
place la souveraineté économique, monétaire, politique et militaire au
cœur du débat politique ?
A
propos des femmes qui ‘’ n’osaient plus sortir de chez elles’’, je
sortais jusqu’ici librement de mon pays et parcourais tout aussi
librement l’Europe et le monde. Quelle que soit l’issue de la situation
que je traverse en ce moment, elle ne peut qu’être dissuasive pour les
autres Maliennes et Africaines qui ont envie de comprendre le monde
global et de lutter pour ne pas
le subir mais en être des citoyennes averties et actives.
AIDE AU DEVELOPPEMENT OU A LA MILITARISATION
Au
djihadisme armé il faut, semble-t-il, une solution armée. La voie est
ainsi ouverte dans un pays comme le nôtre aux achats d’armement au lieu
d’analyser et de soigner le radicalisme religieux qui prospère là où
l’Etat, ajusté et privatisé, est nécessairement carencé ou tout
simplement absent.
Faire
l’âne pour avoir du foin, est le comportement qui prévaut dans ce
contexte de pauvreté généralisée tant au niveau des Etats que de
certaines organisations non étatiques. Et la guerre -comble de
l’horreur- est aussi une occasion d’injecter de l’argent frais dans
notre économie exsangue.
Déçue
par les hésitations et les lenteurs de l’Europe dont la solidarité
s’est traduite jusqu’ici par la formation de l’armée malienne et de
certains soutiens bilatéraux, la France invite au partage de l’effort
financier entre Européens dans la défense de leurs intérêts stratégiques
en Afrique de l’Ouest. D’autres bailleurs de fonds y seront associés.
Le
15 mai 2013 à Bruxelles, les bailleurs de fonds examineront le plan
d’actions prioritaires
d’urgence (pour 2013 et 2014). Les ressources qui seront
mobilisées (ou annoncées) profiteront-elles au peuple malien, qui ne
sait plus où donner de la tête ou irrigueront-elles les mêmes circuits
économiques selon les mêmes pratiques qui ont aggravé la pauvreté et les
inégalités.
Dans
le cadre de la reprise de la Coopération, le ministre français délégué
auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé du Développement
annonce 240 millions d’euros destinés à financer l’agriculture, les
services de bases dont l’eau et l’électricité dans les régions du nord,
le retour des populations.
C’est
le lieu de rappeler que Tripoli la capitale Libyenne a abrité, les 29
et 30 novembre 2010, le Troisième Sommet Afrique-UE où
le Guide libyen, Mouammar Kadhafi, a accueilli, en grande
pompe, les dirigeants de 80 pays africains et européens.
La
création d’emplois, les investissements et la croissance économique, la
paix, la stabilité, les migrations et le changement climatique étaient à
l’ordre du jour de ce sommet. Les participants s’étaient mis d’accord
sur un « plan d’action » pour un Partenariat Afrique-UE de 2011 à 2013.
L’UE
a, à cette occasion, réaffirmé son engagement à consacrer 07% de son
PNB à l’aide publique et au développement d’ici 2015 et d’affecter 50
milliards d’euros aux objectifs généraux du partenariat envisagé entre
2011 et 2013. Nous sommes en 2013 et fort loin des objectifs de
développement du Millénaire et des
voies et moyens de les atteindre en 2020. Car le ver dans
le fruit.
La
paix, la réconciliation et la reconstruction du Mali, n’ont aucune
chance d’aboutir si elles doivent reposer sur des arrangements
politiciens en vue d’engranger l’ « aide extérieure ».
L’Etat,
ou ce qui en reste ainsi que les rebelles se battent et négocient dans
le cadre du même paradigme qui a aggravé le chômage, la pauvreté et les
tensions. Les différends se règlent en termes d’investissement, dans les
infrastructures, le lieu par excellence de l’enrichissement rapide et
de la corruption. La liste des travaux d’infrastructures mal exécutés ou
non réalisés est longue. Elle explique en partie le mécontentement des
populations du septentrion
qui souffrent pendant que des maisons individuelles
poussent au su et au vu de tout le monde grâce aux détournements de
fonds et l’argent du narcotrafic.
OSONS UNE AUTRE ECONOMIE
Rien
ne sera plus comme avant. Ce qui était difficile risque de l’être
davantage avec la militarisation qui absorbera des ressources dont nous
avons cruellement besoin pour l’agriculture, l’eau, la santé, le
logement, l’environnement et l’emploi.
Opération
Serval, Mission Internationale de Soutien au Mali (MISMA), Mission
Intégrée de Stabilisation
Multidimensionnelle des Nations-Unies, la défense de notre pays et
notre sécurité, avant d’être militaire, est d’abord un défi
intellectuel, moral et politique.
Je me suis reconnue dans les propos du candidat François Hollande lorsqu’il déclara qu’ « il est temps de choisir une autre voie. Il est temps de choisir une autre politique ».
Ce temps est, assurément, venu et pour la France et pour ses anciennes
colonies d’Afrique. Il est celui des transitions économiques, sociales,
politiques, écologiques et civilisationnelles qui n’ont rien à voir avec
la feuille de route de la « communauté internationale ». Elles renvoient à un changement de
paradigme.
Que
les dirigeants africains qui ont intériorisé le discours mensonger sur
l’inéluctabilité de cette guerre afin d’en finir le péril djihadiste ne
s’y trompent pas : l’effet de contagion qu’ils redoutent, tient moins à
la mobilité des djihadistes qu’à la similitude des réalités économiques,
sociales et politiques induites par le modèle néolibéral.
Si
les chefs djihadistes viennent d’ailleurs, la majorité des combattants
sont des jeunes maliens sans emplois, sans interlocuteurs, sans
perspectives d’avenir. Les narcotrafiquants puisent, eux-aussi,
convoyeurs et revendeurs de drogue parmi la même jeunesse désemparée.
La
misère morale et matérielle des jeunes diplômés, des paysans, des
éleveurs et d’autres groupes vulnérables constitue le véritable ferment
des révoltes et des rebellions qui, mal interprétées, alimentent, de
l’intérieur bien des réseaux. La lutte contre le terrorisme et le crime
organisé, sans effusion de sang, au Mali et en Afrique de l’Ouest passe
par l’analyse honnête et rigoureuse du bilan des trois dernières
décennies de libéralisme sauvage, de destruction du tissu économique et
social ainsi que des écosystèmes. Rien n’empêche les centaines de
milliers de jeunes Maliens, Nigériens, Tchadiens, Sénégalais,
Mauritaniens et autres, qui viennent chaque année grossir le nombre des
demandeurs d’emploi et de visas, de
rejoindre le rang des djihadistes si les Etats et leurs partenaires
techniques et financiers ne sont pas capables
de remettre le modèle néolibéral en question.
L’INDISPENSABLE CONVERGENCE DES LUTTES
Je
plaide pour un élan de solidarité qui prenne le contre-pied de la
militarisation, nous restitue notre dignité, préserve la vie et les
écosystèmes.
Tout
irait dans le bon sens si les 15.000 soldats étaient des enseignants,
des médecins, des ingénieurs et
si les milliards d’euros, qui vont être dépensés, étaient destinés à
ceux et celles qui ont le plus besoin. Nos enfants n’auraient pas
besoin d’aller se faire tuer en soldats mal payés, en narcotrafiquants
ou en fous de Dieu.
Nous
nous devons de nous atteler, nous-mêmes à la tâche primordiale de la
transformation de notre moi profond, ébranlé et de notre pays meurtri.
L’avantage considérable de l’approche systémique est la détribalisation
des conflits au profit d’une conscience politique qui réconcilie et
rassemble ceux que l’économie mondialisée broie. Touareg, Peulh, Arabes,
Bamanan, Sonrhaï, Bellah, Sénoufos cesseraient de s’en prendre les uns
aux autres et se battraient ensemble et autrement.
Cette approche altermondialiste nous rend notre « dignité » dans un contexte où nous avons tendance
à culpabiliser et à nous en remettre, poings et pieds
liés, à une « communauté internationale » juge et partie.
Elle
plaide pour la convergence des luttes à l’intérieur des frontières
entre les différentes composantes de la société éprouvées par la
barbarie du système capitaliste qui ne veulent ni se résigner ni se
soumettre. Elles doivent explorer ensemble des alternatives à la guerre.
Les
Etats libéraux ayant privilégié la guerre et investi dans les armes de
destruction des vies humaines, du lien social et des écosystèmes,
innovons à travers la bataille des idées et convoquons une conférence
citoyenne au sommet pour l’autre développement du Mali, en vue de
desserrer l’étau de la mondialisation capitaliste. Il
s’agit d’instaurer le débat sur la relation entre
politiques néolibérales et chaque aspect de la crise : chômage
endémique des jeunes, rébellions, mutineries, coups d’Etat, violences
faites aux femmes, radicalisme religieux.
Un
travail inédit et intense d’information et d’éducation citoyenne dans
les langues nationales, permettra aux Maliens de parler enfin entre eux
de leur pays et de leur avenir.
Parce que tous les Hommes naissent libres et égaux en droits, nous revendiquons juste notre droit à :
- un autre économie, de manière à disposer des richesses de notre pays, et à choisir librement des politiques qui nous mettent à l’abri du chômage, de la pauvreté, de l’errance et de la guerre ;
- un système politique véritablement démocratique, parce que intelligible pour l’ensemble des Maliens, décliné et débattu dans les langues nationales, fondé sur des valeurs de culture et de société largement partagées ;
- la liberté d’expression et de circulation.
RENDEZ-NOUS LES CLES DE
NOTRE PAYS !
La France officielle qui déclare urbi et orbi que
nous n’avons « pas d’Etat digne de ce nom », ni « d’armée digne de ce
nom », considère certainement que nous n’avons pas non plus d’existence
en tant que peuple pour aller jusqu’à se demander « à qui remettre les
clés » et à exiger l’organisation de nos élections en juillet 2013. Elle
s’accommode par ailleurs de l’annulation de la concertation nationale –
qui devait nous permettre de prendre ensemble entre Maliens le pouls de
notre pays. Elle
s’accommode tout autant de l’état d’urgence instauré, puis prolongé une
première fois, et une seconde fois de manière à « sécuriser » la
transition.
Je
n’ai pas le sentiment que la « guerre contre le terrorisme » ait
apporté la paix en Irak, en Afghanistan et en Libye, et que les casques
bleus ont su garantir aux populations de la République Démocratique du
Congo et en Haïti la sécurité que celles-ci étaient en droit d’attendre
d’eux.
Mais
je suis persuadée qu’il y a en chaque Malienne et chaque Malien un(e)
soldat(e), un(e) patriote qui doit pouvoir participer à la défense de
ses intérêts et du Mali à partir d’une bonne connaissance de son
état réel dans l’économie mondialisée.
La
réponse à l’insupportable question de Claude Lellouche est claire : le
Mali est à
rendre aux Maliens. Nous pouvons-en prendre le plus grand soin parce
que, comme Bouna Boukary Dioura l’a rappelé, nous savons, nous les
peuples du Sahel que les rochers finissent par fleurir à force d’amour
et de persévérance.
Rendez les clés du Mali au peuple malien !
Aminata D. Traoré, Bamako le 03 mai
2013
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