Fillon-Copé: Divorce à la Française
Djamel LABIDI
Dans l’affrontement qui oppose, au sein de la droite française, François Fillon et Jean
François Copé, qu’y a-t-il derrière l’influence considérable des deux hommes et
quelles sont les forces qu’ils incarnent ?
J. F. Copé tire
son influence de son poids dans le
Parti, notamment de son appareil. Ceci explique sa référence permanente au
parti, aux militants, les louanges qui leur sont adressées, voire même
l'idéalisation du "militant", ainsi que ses thèmes récurrents dans le
conflit actuel : "respect des statuts", "des règles de
fonctionnement du parti", "des prérogatives de la commission de
recours", qui tous renvoient eux
aussi au thème du parti.
François Fillon, lui, tire son influence des électeurs de
l’UMP et donc des élus de l’UMP, députés, sénateurs, élus locaux, où il semble
majoritaire. Dans un parti électoraliste, où le pouvoir vient des élections,
cela peut être bien plus important que l’audience et la popularité auprès des
militants.
Il est faux de dire qu'il s'agit
entre Fillon et Copé
seulement d'un problème d'ego et d'ambition.
Les clivages, les passions, la détermination, le désir de rupture, sont
trop forts pour être expliqués de cette façon, même si,
momentanément, la présence de telle
ou telle personnalité, dans un courant
qui apparemment ne devrait pas être politiquement le sien , brouille
momentanément la perception
de l'incompatibilité des deux courants,
et même si leurs adversaires socialistes et de gauche font mine de
croire
"qu'il n'y a aucune différence entre Fillon et Copé". C'est le
clivage entre une droite républicaine et une extrême droite qui s'est
développée ces dernières années au sein même de l'UMP.
Les deux groupes ou courants ne peuvent en réalité
coexister ensemble et ils le savent. Comme un couple qui ne peut plus vivre
ensemble et qui a déjà décidé de divorcer.
La gestion par chacun du conflit n'a plus alors d'autre but que celui de
rendre l'autre responsable de la rupture, et d'être en meilleure position dans la répartition des
biens communs et devant l'opinion des enfants et des amis. Le divorce, ou la
scission pour parler en termes politiques, a déjà été engagé par Nicolas
Sarkozy à travers l’évolution de sa campagne présidentielle, dont la campagne électorale
de JF Copé n'a été que le prolongement. N. Sarkozy s’est d’ailleurs finalement prononcé en faveur de Copé après
avoir fait mine de rester neutre.
C’est cette campagne
présidentielle qui a préparé le parti
actuel que dirige JF Copé. Mais en même temps le parti UMP n'est plus ce
qu'il
était. C'est ce qu'a découvert probablement F. Fillon au cours de sa
campagne
et certainement au moment des résultats. D'où sa méfiance à l'égard de
ce
"nouveau parti". Il y a eu, en d'autres termes une OPA sur le Parti
lancée par l'extrême droite de celui-ci, à travers JF Copé et d'autres
probablement. Ceci se reflète d'ailleurs
dans la différence des poids respectifs de F. Fillon et de JF Copé dans
les
sondages, et des différences des résultats soit que ces sondages soient
réalisés auprès des sympathisants et électeurs de l'UMP soit auprès
des militants.
En d'autres termes, comme cela arrive souvent dans la vie des partis, le
profil, politique et idéologique des militants ne reflètent plus celui
des électeurs traditionnels de l'UMP, du
moins d'une grande partie d'entre eux. Le tri qui se fait actuellement,
entre
les adhérents de l'UMP pour leur répartition entre les 2 grands
courants, Filloniste
et Copeiste, se fait au fond , et se fera de toute façon de plus en plus
en
fonction de leur positions politiques et idéologiques, même si au niveau
des
individus il peut y avoir, dans cette phase de transition, momentanément
l'influence de calculs, d'intérêts ou d'ambitions personnels.
Si la plus grande partie des élus de l'UMP se sent plus
proche de F.Fillon, c'est qu'ils représentent le corps électoral traditionnel
de l'UMP. Si , au contraire, JF Copé a de plus en plus d'influence au sein du
parti UMP, c'est qu'une partie de plus en plus grande des militants veut représenter une autre partie du
corps électoral de la droite , la partie qui se "droitise" ou
s'extrémise au fur et à mesure de l'évolution de la crise. Tout cela explique aussi que lorsqu'ils
parlent de l'UMP, F. Fillon et Copé ne
parlent pas de la même chose: en effet, l'UMP a deux visages, elle est à la
fois un rassemblement et un parti, un parti d'élus et un parti de militants.
Chacun des deux adversaires va donc faire référence à son UMP. Si donc Fillon
et Copé ont fait l'un une campagne de large rassemblement et l'autre une
campagne partisane et clivante, ce n'est pas par erreur, c'est qu'ils
représentent chacun deux visages différents de l'UMP. Chacun s'est battu avec
ses armes.
La crise qui secoue l'UMP et oppose ces deux courants
prouve clairement qu'il y a au moins deux partis en son sein, les autres
courants n'étant que des nuances et un
appoint à l'un ou l'autre. Ils ne peuvent donc que rompre, soit
brutalement par scission, soit de manière plus douce par la victoire d'un
courant sur l'autre dans cette affaire de la présidence du parti, et par
l'expulsion à terme de l'autre courant.
Sur cette question de la rupture, F.Fillon semble bien
plus déterminé que JF. Copé, ce qui lui donne un avantage certain sur celui-ci.
En effet, le poids politique de Fillon à travers les électeurs est bien plus
grand que celui de J.F Copé. Ce dernier le sait. En effet, réduite à ses seules
forces, l’extrême droite de l’UMP (« la droite dure »), serait
alors vite absorbée par le Front national, car elle ne s’en différencierait
plus suffisamment. L'UMP ne s’en
différencie actuellement que grâce à sa
composante RPR, c'est-à-dire grâce à sa
dimension d’héritière du Gaullisme.
Fillon le sait et c'est de cela
qu'il tire sa fermeté actuelle. JF Copé a donc plus besoin de F.Fillon que
celui-ci a besoin de lui. Ceci explique les hésitations de JF Copé et le fait
qu'il a déjà lui-même commencer à céder sur la légitimité de son élection à la
présidence de l'UMP. Ses soutiens, qui l'ont suivi aveuglément sur la
revendication de sa victoire à l'élection et de sa légitimité, risquent de ne
pas lui pardonner cette concession. En
outre, F. Fillon, en ayant la majorité des élus avec lui, peut récupérer une
grande partie des ressources financières de l’UMP au profit de son courant et
peut très bien aussi assumer la scission de ce point de vue aussi.
Alain Juppé va intervenir tel un médiateur familial dans une
instance de divorce d'une famille décomposée.
Pourra-t-il faire plus que d'agir en sorte que ce divorce se fasse de la manière
la plus douce, la plus progressive possible ?
Si Fillon a choisi Alain Juppé, c'est qu'il reconnait en
lui le gaulliste et sa légitimité, c'est-à-dire en définitive la sienne. Si
Fillon rejette la Commission nationale de recours, c'est qu'il ne reconnait
plus déjà de légitimité au parti UMP tel qu'il est devenu, et aux élections qui
viennent d'avoir lieu elles-mêmes. Preuve en est, Fillon a déjà déclaré qu'il
ne postulait plus pour la présidence de l'UMP. C'est l'aveu que le nœud du
problème et sa solution sont désormais ailleurs. Ce n'est même plus désormais une
question de méfiance quant à la composition de cette Commission même si le
problème est formulé provisoirement en ces termes.
Si Alain Juppé propose
de passer, d'une manière ou d'une autre,
par-dessus la Commission de recours, c'est qu'il a déjà remis en cause
le parti actuel ou du moins le pouvoir
actuel en son sein. C'est aussi que lui-même a déjà conclu que le problème
dépasse la question du résultat des élections à la présidence de l'UMP et ne
peut être réglé par la proclamation de résultats en faveur de l'un et de
l'autre.
Si JF Copé a
accepté la médiation d'Alain Jupé, tout
en maintenant le thème du respect "des règles du Parti" à travers la
commission de recours, c'est qu'il se
méfie d'Alain Jupé mais sans pouvoir le dire.
Alain Juppé va devoir gérer un divorce à la française,
dans le style "je t'aime, moi non plus". Il aura alors présidé à la
naissance de l'UMP, comme à son
enterrement.
En tout cas, tout
cela devrait conduire à être bien prudent sur la notion de pays à
culture et à tradition démocratique et de pays qui n'en ont pas. Ici, comme
ailleurs, la démocratie devient bien fragile en situation de crise, et les pulsions
primitives gagnent très vite les plus "civilisés".
D.L
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