Le spectaculaire revirement français sur la Syrie
Il faut reconnaître une qualité à Laurent Fabius : sa capacité à changer de pied. Fin politique, le ministre des Affaires étrangères nous le montre une fois de plus sur le dossier syrien, où craignant d’être marginalisée par le récent accord américano-russe sur la tenue d’une conférence internationale pour sortir de l’impasse, Paris donne l’impression d’être à la manœuvre, dans le sens souhaité bien sûr par Washington et Moscou, c’est-à-dire la recherche d’une solution diplomatique à un conflit qui a fait plus de 70 000 tués en deux ans. Un rapide examen des faits montre pourtant que la France a surtout joué la mouche du coche sur ce douloureux dossier. Mais à la décharge de M.Fabius, il convient de reconnaître que son prédécesseur au Quai d'Orsay, Alain Juppé, lui avait montré la voie.
Dans un long entretien à nos confrères du Monde, Laurent Fabius déclare que la France « poursuit quatre orientations. D’abord continuer de pousser une solution politique. Les Etats-Unis doivent pleinement s’engager, les discussions avec la Russie se renforcer. Nous proposons depuis longtemps un Genève II faisant suite à la réunion de Genève en juin 2012 ».
Mauvais diagnostic
Ceux qui suivent de près le dossier syrien seront quand même un peu surpris d’entendre M. Fabius assurer que Paris a toujours privilégié l’option diplomatique. Depuis deux ans, la principale faiblesse de la position française a été au contraire de ne pas choisir clairement entre la diplomatie et les armes en Syrie, convaincue que les « jours du régime étaient comptés », selon une formule, qui n’est pas l’apanage il faut le reconnaître du Quai d’Orsay. Cette prévision hasardeuse n’était pas celle, non plus, de notre ambassadeur à Damas Eric Chevallier qui écrivait dans des télégrammes datés des premiers mois de la révolte que le régime était encore trop solide pour tomber, alors qu’à Paris son ministre de tutelle, Alain Juppé, allait répétant que les « jours de Bachar el-Assad étaient comptés ». Un dysfonctionnement sur lequel des historiens se pencheront peut-être un jour.
En condamnant rapidement Assad à comparaître devant un Tribunal international, la France – c’était toujours Alain Juppé en février 2012 - se coupait de toute possibilité de peser - à la mesure de son poids - dans un processus diplomatique à venir. « Nous étions pourtant bien placé », regrette un ancien diplomate en poste à Damas qui rappelle la lune de miel franco-syrienne entre 2008 et 2010.
En Europe, la France a été ensuite – avec la Grande-Bretagne - à la pointe de l’armement des rebelles, afin, nous disait-on, de rééquilibrer le rapport des forces, défavorable aux insurgés face à une armée régulière qui réprime sauvagement les opposants. Une annonce qui a fait long feu, en raison des avertissements du ministère de la Défense, notamment. Au grand chagrin d’insurgés désarmés, qui espéraient dans les promesses françaises et qui aujourd’hui se réfugient auprès des djihadistes du groupe al-Nosra.
D’autre part, entendre M. Fabius se faire le chantre d’un Genève II parait là encore pour le moins surprenant. Après Genève I qui ouvrait la voie à une transition négociée, Paris n’a eu de cesse de répéter que cet accord ne pouvait être appliqué que si Assad quittait le pouvoir dès le lancement de cette transition. Ce à quoi s’opposait Moscou, s’appuyant sur les termes même de l’arrangement. D’où le blocage de Genève I.
« Mais Genève, c’est du passé », entendait-on l’été dernier à Paris, après l’attentat qui coûta la vie à quatre hauts-responsables syriens parmi lesquels le général Assef Shawkat, beau-frère d’Assad.
On joue les mauvaises cartes chez les opposants
Puis quelques semaines après, on nous jurait qu’avec les premiers hélicoptères du régime abattus par les rebelles, « on assistait à une accélération de l’histoire ». Bref, comme le soutenait encore à l’automne M. Fabius, le régime allait tomber – cette fois –ci - dans « quelques semaines ». Il était donc inutile de plaider pour une solution diplomatique. D’autant qu’en parallèle, sous très fortes pressions diplomatiques et financières de nos alliés qatariens, on parvenait tant bien que mal à rassembler l’opposition dans une « Coalition nationale » que la France a été la première à reconnaître. Contrairement aux Etats-Unis qui, pragmatiques, ont vu rapidement que cette Coalition allait exploser sous les mêmes contradictions que le Conseil national syrien qui l’avait précédée : une structure noyautée par les Frères musulmans. Ce qui a alimenté les divisions internes, et débouché finalement sur la démission de son chef Moaz al-Khatib qui s’apprête à créer une nouvelle force politique avec d’autres opposants, moins islamistes, pour faire contrepoids à une Coalition, moribonde.
Or la Coalition est autant le bébé de la France que du Qatar et de la Turquie. Conscients de ses défauts, Etats-Unis et Russie ont choisi d’inviter à titre personnel des opposants à leur conférence de Genève. Ce qui veut dire que la Coalition a quasiment perdu son titre de représentant de l’opposition. Paris - nous dit encore M. Fabius - souhaite ardemment que cette opposition s’élargisse. Surprise là encore : depuis deux ans bientôt, la France a placé ses œufs dans un seul et même panier, celui du CNS puis de la Coalition, refusant d’engager un dialogue conséquent avec d’autres opposants – eux pourtant laïcs - et n'hésitant pas à exercer parfois de vilaines pressions sur certains d’entre eux. Or ceux-là vont aussi être invités à Genève.
On donne des gages aux Américains sur al-Nosra
Pour raccrocher le train de Genève et occuper un strapontin à la conférence internationale qui s’annonce, la France cherche à se redonner une virginité sur le dossier syrien. Et pour donner des gages à ses partenaires américains et russes, Paris en profite pour annoncer qu’il va, cinq mois après Washington, proposer de mettre le groupe rebelle Jabhat al-Nosra lié à Al Qaida, sur la liste des organisations terroristes.
Cette manœuvre sera bien accueillie par les diplomates russes, américains ou onusiens qui depuis le début ne comprennent guère le jusqu’au boutisme verbal de Paris. « La France est la grande perdante de la conférence internationale », souligne l’un d’entre eux. « Son revirement est spectaculaire ». Mais comme l’issue à court terme de ladite conférence est pour le moins incertaine, la France aura encore le loisir de changer de cap…
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