Un ami français que je ne nommerais pas pour l’instant, m’a écrit récemment pour me dire « Mes amis tunisiens sont oublieux. Ils n'ont guère manifesté d'empressement à l'idée de me revoir chez eux, maintenant, c'est moi qui ne suis guère pressé de retrouver "Les Douces beautés de la Tunisie", pour reprendre le titre du livre de Camille Mauclair.
Et il me cite quelques noms de ces tunisiens oublieux, qui lui doivent tous quelque chose, parfois bien des choses et pour le plus illustre d’entre eux, un poste fictif de professeur, rémunéré à 6.000 Euros par mois durant dix ans.
Il faut dire que cet ami n’est pas le seul à avoir soutenu notre combat, parfois depuis bien longtemps et avant que de nombreux tunisiens, aujourd’hui tous leaders de partis, ministres, ambassadeurs et autres hauts dirigeants du pays, ne commencent à se réveiller à la triste réalité tunisienne.
C’est le cas de l’écrivain Gilles Perrault, auteur de cette lettre à l’ambassadeur de Tunisie à Paris, que j’ai connu pour la première fois en 1990 à travers son livre « Notre ami le Roi », que j’ai rencontré pour la première fois tout au début de mon exil, en 1991, qui m’a fait l’amitié de préfacer, gracieusement, mon livre témoignage « Supplice tunisien, les jardins secrets du Général Ben Ali », en mars 1995, puis le livre de J.P.Tuquoi et Nicolas Beau, dont il choisit lui-même le titre « Notre ami Ben Ali », en 1999 et qui fut toujours présent à l’appel et pour moi, l’un de mes rares soutiens français et même tunisiens, lors de mes deux agressions de 1996 et 1997.
Ainsi, il fonda en 1999, le Groupe de Travail sur la Tunisie (GTT) avec, Jacques Gaillot, Evèque de Partenia ; François Gèze, Directeur des Editions La Découverte, Professeur Albert Jacquard, Généticien, Jean-François Poirier, Universitaire, Professeur Léon Schwartzenberg, Professeur de Médecine, rejoints, très discrètement par Daniel Mermet, le célèbre animateur de l’émission « là-bas, si j’y suis » de France Info.Le Groupe a cessé d’exister en 2000, au lendemain de la conférence de presse très controversée, organisée au siège du MRAP, à Paris, mais surtout victime des manipulations d’un tunisien qui voulait en faire un groupe de soutien à « Merzouki président », et après que deux de ses fondateurs furent arnaqués par ce même tunisien.
Cette lettre de Gilles Perrault est venue un moment où la répression, jusqu'alors limitée aux seuls islamistes et apparentés, avait touché des militants du PCOT.
C’est ainsi que des intellectuels tunisiens avaient crée le CNDPO, dont les membres ont été aussitôt arrêtés, chose à laquelle Gilles Perrault avait aussitôt réagi.
Mondher Sfar, comme à son habitude, créa aussitôt un comité de soutien au CNDPO, un de plus dans la liste qui s'allongera au fur des années, alors que les vieilles associations tunisiennes de gauche, telles que l’UTIT et l’ATF, s’étaient contentées d’un bref communiqué commun ayant pour titre, Tunisie : la répression continue, daté du 8 Janvier 1993. Ces deux associations, liées à Kamel Jendoubi et Khemaïes Chammari, étaient encore en bons termes avec le pouvoir tunisien et considéraient toujours que « le parapluie des droits de l’homme ne protégeait pas les intégristes… ». Elles ne se réveillent qu’en 1996, avec l’arrestation de Chammari et la constitution du C.R.L.D.H.T.
Ahmed Manai
La LETTRE
Sainte Marie du Mont
Le 10 février 1993
Monsieur l’Ambassadeur,
Un régime qui détient des prisonniers d’opinion peut
difficilement être tenu pour démocratique.
Lorsque ce régime refuse de légaliser un comité de soutien aux prisonniers
d’opinion, il se disqualifie un peu plus aux yeux des démocrates. Quand il
arrête ou brime les membres du comité, il achève de dévoiler sa nature
dictatoriale
Après tant de tortures et d’exactions, les mesures de
répression prises à l’encontre, notamment de MM Salah Hamzaoui et Tahar
Chagrouchle, déconsidèrent le pouvoir
que vous représentez à Paris. Sans doute ce pouvoir table-t-il sur l’inertie de l’opinion publique
française qui a ses propres soucis. C’est un pari dangereux. A accumuler ainsi
les violations les plus flagrantes des droits de l’homme, le régime de Mr Ben
Ali s’expose à un rejet dont j’espère, pour ses victimes, qu’il ne saurait
tarder.
Avec tous les démocrates français, je demande la
légalisation du comité national de défense des prisonniers d’opinion, et la cessation immédiate de
répression exercée sur ses membres.
Je vous prie d’agréer, Monsieur l’ambassadeur, l’assurance
de mes sentiments vigilants.
Gilles Perrault Ecrivain
50480 Sainte Marie du Mont
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