Gaza…Ironie de
l’Histoire
Djamel LABIDI
A Gaza, la question palestinienne se rappelle au
souvenir du monde arabe en tant que question centrale, au moment même où les
monarchies du Golfe et leurs alliés occidentaux voulaient faire, eux, de
l’affrontement entre Arabes, en Irak, puis en
Libye, puis encore en Syrie, et de celui avec l’Iran, la confrontation
centrale .
Ils pensaient pouvoir
«s’occuper » tranquillement de la Syrie, mais voilà que les Palestiniens
ressurgissent… comme leur mauvaise conscience. L’embarras des monarchies du Golfe
est grand. Comment expliquer en effet qu’elles aient voulu le boycott économique,
financier, diplomatique de la Lybie et de la Syrie et qu’elles ne le réclament
pas pour Israël ? Comment expliquer qu’elles aient demandé au Conseil de sécurité
une zone d’exclusion aérienne dans ces pays, et d’y intervenir militairement et qu’elles ne le demandent plus dès qu’il
s’agit de protéger les Palestiniens contre Israël ? Comment justifier qu’elles
aient apporté leur soutien militaire à des forces d’opposition en Libye et en
Syrie, qu’elles soient même intervenus militairement directement en Libye,
comme l’a fait le Qatar, et qu’elles ne le fassent pas pour Gaza ? Qui ne se souvient de leur activité intense pour constituer, côte à côte avec
les puissances occidentales, une alliance de pays sous la formule « les Amis de la
Libye », et les « Amis de la
Syrie ». Que ne le font-ils pas pour Gaza et la Palestine ?
La contradiction est trop flagrante.
Et, ironie de l’histoire, les monarchies du Golfe, qui ont toujours
subordonné
la question de la Palestine aux intérêts de leur alliance avec les Etats
Unis et
les autres pays occidentaux, s’affairent aujourd'hui à obtenir sans
attendre une trêve dans la nouvelle opération militaire d’Israël
contre Gaza. Le Qatar reproche même à qui veut l’entendre à la Ligue
arabe sa passivité.
Il envoie une délégation à Gaza. L’Arabie saoudite agit aussi pour une
trêve
rapide, alors qu’en Décembre 2008, lors de la sanglante opération
militaire
« Plomb durci » d’Israël contre Gaza, elle était allée, avec l’ex
président Moubarak, jusqu’à accuser Hamas d’avoir provoqué l’agression,
et
qu’en Janvier 2009, elle avait refusé, toujours avec l’Egypte, de
participer au
sommet arabe extraordinaire convoqué à Doha
à ce sujet. Cette fois-ci, ils ne le font pas. Quoique…certains,
diffusent,
de façon parfaitement indigne, à travers leurs relais, la thèse que
cette
nouvelle attaque israélienne n’est que le résultat« d’un complot du
régime
syrien » visant à détourner l’attention de la Syrie.
Que s’est-il donc passé ? A quoi est due cette évolution ?Personne n’est
dupe : il ne s’agit pas d’actions et de
moyens au niveau de ceux, énormes, financiers et militaires mobilisés
par les
monarchies arabes pour intervenir en Libye et en Syrie. Ce qui s’est
passé
c’est que l’Egypte, cette fois-ci,a rappelé, en signe de protestation,
son
ambassadeur en Israël et que son premier ministre est allé à Gaza, en
signe de
soutien. Il a été suivi par le ministre des affaires étrangères
tunisien. Des
actes qui auraient été impensables, il y a à 4 ans, fin 2008, lors de
la précédente opération d’Israël contre Gaza. Ce n’est pas un hasard
si ces deux initiatives
ont été prises par les deux pays arabes
où les changements sont venus de deux soulèvements authentiquement
populaires,
dont les pouvoirs qui en sont issus, islamistes ou autre, sont obligés
de tenir
compte désormais de leur opinion sous peine de perdre toute crédibilité
et de
n’avoir aucun avenir. Ce sont, indéniablement, les premiers fruits des
luttes des peuples arabes pour la démocratie. Les
luttes pour la démocratie dans les pays arabes
ne peuvent être différées ou sacrifiées sur l’autel des« intérêts
supérieurs du pays » ou sous prétexte des manœuvres occidentales et des
féodalités
du Golfe pour les récupérer, les orienter dans le sens de leurs
intérêts. Même
s’il commence à peine à se dessiner, ce nouveau contexte arabe dans
lequel se présente la lutte du peuple palestinien apporte la
démonstration directe de la
relation intime entre la défense de la cause nationale et la
démocratie. Les initiatives prises par l’Egypte et la Tunisie ont créé une dynamique. Des
Etats arabes, qui avaient été effrayés par l’attaque de l’OTAN contre la Libye,
parlent plus librement. L’énorme pression des pays du Golfe sur la Ligue arabe
commence à se relâcher Certains Etats arabes s’enhardissent et envoient des
délégations à Gaza. L’Irak va jusqu’à réclamer l’utilisation de l’arme du
pétrole, ce dont on ne parlait plus depuis 40 ans, depuis la guerre d'Octobre
1973. La Ligue arabe envoie elle aussi une délégation
à Gaza.
Du côté des monarchies arabes et des
puissances occidentales, le souci est donc désormais d’aboutir
rapidement à une trêve et de faire pression dans ce sens sur Israël
afin
d’éviter un développement incontrôlable
de cette dynamique de soutien à la Palestine. La différence de
l’attitude des
pays occidentaux avec celle qui avait été la leur en 2008 est là aussi
manifeste. La France, l’Angleterre, l’Italie, l’Allemagne dépêchent sans
attendre leur ministre des affaires étrangères. L’Union européenne
intervient
elle aussi en urgence et demande un cessez le feu immédiat. A l’heure où
ces
lignes sont écrites, le mardi 19 novembre, la Turquie, membre de l’OTAN a
envoyé elle aussi une délégation à Gaza, et le Secrétaire général de
l’ONU
vient lui aussi d’arriver dans la région pour obtenir un cessez le feu.
Les
medias occidentaux ont envoyé cette fois des correspondants à Gaza et
donnent
des images en direct des bombardements israéliens sur Gaza, et jusqu’à
celles
des enfants palestiniens tués, ce qui est une autre façon de faire
pression sur
Israël. Quand ils le veulent, n’est-ce pas ….
Israël lui-même semble hésiter entre
« la solution diplomatique et la solution militaire » comme il
présente son dilemme. En réalité il doute des gains qu’il pourrait obtenir
d’une action frontale et brutale par rapport aux risques politiques de l’opération.
Mais désormais ce que demande Hamas
aux dirigeants arabes, c’est une vraie solidarité, c’est-à-dire la fin du
blocus israélien sur Gaza et de leurs infinies souffrances. Les monarchies du
Golfe ont tout fait pour éliminer les dirigeants des dictatures nationalistes arabes. Mais les
inconséquences de ceux-ci servaient à la fois d’alibi et de couverture à leurs
propres contradictions et à leurs turpitudes. Aujourd’hui les monarchies arabes
se trouvent en première ligne face aux exigences de la cause nationale arabe.
Et maintenant que les dirigeants nationalistes arabes ont été éliminés, elles
se trouvent mises à nu, étrangement isolées, et désormais en danger.
Ironie de l’Histoire.
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