Une patrie, pas un Etat insignifiant !
Samah Jabr
Quand le président américain George Bush est venu à Ramallah, avec dans sa poche un petit Etat pour nous, Palestiniens, les autorités ont alors imposé un couvre-feu pour obliger les Palestiniens à rester chez eux et à écouter les déclarations - d’un optimisme injustifié - de leurs dirigeants sur un « Etat » pour fin 2008, alors qu'ils auraient pu participer aux manifestations de masse contre la politique meurtrière des USA à travers le monde. L’escorte de sécurité de Bush avait demandé qu’il n’y ait aucune manifestation visible et non violente ; ceux qui n’en ont pas tenu compte ont eu, en conséquence, les mains et les jambes brisées.
Les exhortations de Bush, celles d’aujourd’hui comme les précédentes, à propos d’un Etat palestinien ne sont que des déclarations toutes faites visant à tromper l’opinion publique internationale. Bush les a répétées à maintes reprises mais il n’a jamais rien fait pour pousser les Israéliens, ne serait-ce qu’un peu, pour faire la place à un quelconque Etat ; au lieu de cela, il essaie d’abolir les droits des Palestiniens à revenir dans leur patrie et parle d’une démarcation de frontières d’une patrie palestinienne qui va dans le sens des intérêts du régime israélien. La tromperie ne concerne pas seulement les frontières mais aussi l’essence même de cet Etat. Dans l’Etat qui est proposé, les forces nationales palestiniennes sont sapées et le gouvernement autocratique, non représentatif et les ONG internationales dirigent. De telles conditions ne feraient que semer les graines de la discorde chez les Palestiniens, abolir nos droits nationaux et civils et opprimer le peuple.
Indépendamment de la visite de Bush et de toute cette propagande sur l’ « Etat », la direction de l’Autorité palestinienne, assurée par Mahmoud Abbas à Ramallah, est, au mieux, discutable. Alors que les Israéliens envisagent de pénétrer massivement dans Gaza et de diriger des raids aériens contre des militants palestiniens, le président palestinien ouvre la bouche, non pour nous déclarer qu’il arrêtera les négociations si jamais Israël attaque Gaza mais pour affirmer qu’il détient des informations selon lesquelles le Hamas laisserait al-Qaïda opérer dans la bande de Gaza !
Dans la semaine de trêve tacite qui a suivi les agressions, Abbas a dit que le Hamas était en train de négocier un cessez-le-feu pour protéger ses dirigeants. Il a ensuite déclaré que les roquettes du Hamas étaient responsables des massacres qui ont eu lieu à Gaza, mais dans sa logique, il ne répond à aucune de ces questions : pourquoi Israël poursuit-il ses incursions régulières et ses meurtres en Cisjordanie ; pourquoi des hommes qui ont signé le traité d’Amnistie (accord tacite conclu entre certains combattants et l’Autorité palestinienne et Israël, par lequel les premiers évitent de s’en prendre à des cibles israéliennes afin d’être « amnistiés ») pourquoi ces hommes donc ont été assassinés à Naplouse, et pourquoi quatre ancien combattants, en retraite, ont été abattus à Bethléhem.
Récemment et à deux reprises, il a été demandé aux agents du secteur public de quitter leur travail et de participer aux manifestations de Ramallah ; une fois pour la commémoration de la mort d’Arafat et une autre pour l’anniversaire de la création du parti d’Arafat. Mais le jour où les forces nationales ont appelé à manifester en masse pour protester contre l’holocauste de Gaza, ces mêmes agents du service public n’ont pas été autorisés à y participer.
Les mutations politiques et économiques, combinées à cet Etat promis aux Palestiniens, sont en train de changer les valeurs sociétales et les moeurs de la communauté et de provoquer un phénomène rampant d’isolement. L’ambivalence officielle, l’hypocrisie, les changements rapides des normes nationales, le manque de crédibilité et de sens de la responsabilité, ne sont que quelques agents provocateurs de cet isolement. Le conflit interne, la perte d’un dirigeant charismatique et les insuffisances d'un prétendu modèle accentuent ce sentiment de solitude. Les institutions du gouvernement, de l’emploi ou de l’enseignement sont perçues comme distantes, négligentes et peu à l’écoute de ceux qui ont besoin de leurs services.
Ce puissant sentiment d’isolement et de solitude se manifeste par une désorientation et une psychologie de suivisme chez une majorité qui se réfugie dans une vie passive, marginale, léthargique – contrecoup fréquent quand les gens sont confrontés à une discrimination et aux brutalités, du fait d’une polarisation politique et d’une tendance fractionnelle, d’un pouvoir institutionnel absolu et de la corruption, de la violence dans les médias, ou du manque de valeurs collectives. Durant cette période difficile, les personnes qui sont sincères dans leurs intentions, dans leurs actes et qui se battent avec passion, patiemment, pour la liberté et une véritable patrie, trouvent rarement de compagnie et de compréhension pour leurs inquiétudes et leurs chagrins, sans parler de remerciements pour leurs efforts.
Le 14 février 2008, un prédicateur du village de Kobar en Cisjordanie, à la périphérie de Ramallah, Majd Abdul-Aziz al-Barghouthi, a été arrêté par les renseignements généraux palestiniens ; il est mort pendant son incarcération le 22 février, à l’intérieur du centre de détention de l’Autorité palestinienne. Alors que ceux qui l’ont arrêté prétendent qu’il est mort suite à une défaillance cardiaque, les médias ont montré ses marques de tortures sérieuses, ses poignets écorchés, ses mains enflées et ses cuisses meurtries. Il faut se demander si l’administration américaine n’est pas en train de faire venir Abu Ghreib à Ramallah.
A chaque fois qu’un crime semblable a lieu, on nous dit que les autorités vont ouvrir, dans la transparence, une enquête sur les faits ; je n’ai eu aucune information sur les résultats de la moindre enquête ; pas une fois, ceux qui ont enfreint la loi n’ont été déférés devant les tribunaux. La justice a besoin de transparence, de cohérence et de la volonté de juger, ce qui manque en Palestine.
Pendant l’ « holocauste » perpétré par les forces d’occupation israéliennes dans la bande de Gaza, l’imam de la mosquée Aqsa s’est retenu d’évoquer les évènements qui se déroulaient dans Gaza ; il a passé son temps à parler des caricatures du prophète Mahomet !
Cet solitude est portée à l’extrême quand on voit des ouvriers palestiniens travailler sur les chantiers dans les colonies ; quand on entend qu’un haut fonctionnaire, un assistant proche du président qui intervenait autrefois au Conseil législatif palestinien, Rawhi Fatouh, a voulu passer clandestinement, dans sa voiture, 3 000 téléphones portables de contrebande à la frontière jordanienne pour faire marcher ses affaires privées ; quand on entend parler d’un commerce de médicaments et de farine périmés pour la Palestine ; quand on voit nos confrères et d’autres employés harcelés, ne percevoir aucun salaire à cause de leurs engagements ; et quand on fait du chantage sur les journalistes parce qu’ils ont dit la vérité.
Que dire de l’autodestruction de la résistance nationale et des mouvements populaires de la société civile ? Que dire de l’avortement récurrent de la réconciliation palestinienne, dont l’initiative du Yémen ?
Les gens sont incapables de surmonter ces évènements et se sentiront complètement à la dérive et isolés s’il n’y a pas le contrepoids de l’enseignement pour renforcer l’unité, les droits civils et les libertés, et le respect de l’autre. Sans un signe de rapprochement entre les factions politiques palestiniennes, les scènes déplorables de violence entre Palestiniens sont susceptibles de se répéter, dans l’Etat palestinien qui nous est proposé.
Une patrie, cela représente un attachement émotionnel à un lieu, un lien intime avec la communauté et un dévouement à son égard ; une patrie crée essentiellement des métaphores spatiales, significatives et évocatrices, et reconstitue le conceptuel, l’affectif, et les limites symboliques entre soi et un lieu réel ; ces choses mêmes qui sont complètement anéanties dans la vision de Bush pour l’Etat.
Nous voulons une patrie où la culture de la compassion, la réciprocité du pouvoir factionnel, l’honnêteté et la vérité sont la norme ; nous voulons une direction nationale qui fait le choix des solutions collectives plutôt que des solutions individuelles, de l’obstruction sociale et de l’interdiction officielle de toute opposition.
Pendant qu’on s’efforce de suivre la « feuille de route », on est en train de sortir de la route qui conduit à une patrie ; on perd les gens, un par un, et la terre, morceau par morceau. Une patrie, c’est quelque chose qu’on ressent dans le cœur, une idée dans la tête qui vit avec les Palestiniens dans leurs camps de réfugiés, qui les accompagne dans leur diaspora et les guide dans leur solitude et leur isolement, et cette idée est menacée par l’Etat de Bush.
Peu importe combien c’est difficile, un isolement sociétal vaut mieux que de se sentir en conflit et en désaccord avec soi-même : avec ses vrais principes, ses sentiments ou son désir d’assumer un certain rôle dans la vie. Cette aliénation de soi-même est une réelle démission et un désespoir accepté, et les pots-de-vin politiques, les menaces, les pertes d’espoirs et d’ambitions pour une patrie au profit d’un Etat insignifiant poussent malheureusement très fort dans ce sens.
C’est une réalité de la vie que ceux qui ont vraiment la foi – ceux qui peuvent supporter l’isolement et la discorde tout en restant fidèles à leurs principes et qui ne négligent pas leur sens du devoir – sont une petite minorité, vivant comme des étrangers dans une société de contemporains imprudents, incapables, qui succombent devant le mensonge et se laissent abuser par les débordements qu’il entraîne, les opportunités et avantages d'une intégration hors de portée de ces exclus.
Une patrie palestinienne ne sera jamais anéantie, même assaillie par les limites réservées de Bush et les frontières d’un Etat au niveau de l’ambition des gens qui sont à l’Autorité. Une minorité, quelle que soit la façon dont elle paraît isolée actuellement, n’y consentira pas.
Texte reçu de l’auteur par les Amis de Jayyous
traduction : JPP
ASSAWRA
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