« Syrie : en route pour un nouvel ordre mondial »
par Michel Raimbaud, ancien Ambassadeur
mercredi 9 octobre 2013, par Comité Valmy« Syrie : en route pour un nouvel ordre mondial »
Nous vivons actuellement un moment historique majeur,
d’une importance sans doute comparable à la chute de l’Union
Soviétique.
Entraînant la dissolution du bloc communiste et ayant pour effet
immédiat d’instaurer l’hégémonie sans partage de l’Amérique et de ses
alliés occidentaux, la disparition de l’URSS allait amener plus de vingt
ans de malheur et d’extrême injustice pour le reste de la planète.
L’évènement qui a dominé le récent Sommet du G20 à
Saint-Pétersbourg, fruit d’une gestation de deux ans dans le sillage de
la crise syrienne, referme cette parenthèse dramatique. Confirmant la
renaissance de la Russie et l’émergence du bloc des BRICS à direction
russo-chinoise, il symbolise la recomposition de la vie internationale
sur de nouvelles bases : le « moment unipolaire américain », qui
consacrait le triomphe des « grandes démocraties » et de leur « économie
de marché », est terminé. C’est le glas qui sonne pour la plus grande
escroquerie politique de l’ère contemporaine : la « communauté
internationale » franco-anglo-américaine est agonisante.
Le double accord conclu entre la Russie et l’Amérique
au sujet de la Syrie est l’acte fondateur de cette mutation. Le Mur de
Berlin apparaissait comme le symbole du triomphe du « monde libre » et
de « la fin de l’Histoire ». En cet automne 2013, c’est le mur de
l’arrogance qui a été brisé, le ci-devant « Axe du Bien » apparaissant
dans toute sa splendeur, sur fond de soleil couchant. Loin d’être finie,
l’Histoire continue.
C’est une belle leçon de diplomatie qu’a prodiguée la
Russie (soutenue sans défaillance par la Chine, par ses autres
partenaires « BRICS » comme le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, mais
aussi par une bonne partie du monde) en réussissant à faire prévaloir la
légalité internationale et les grands principes onusiens contre les
partisans de l’ingérence à tout va. Ne nous y trompons pas : pendant
quelques jours, le monde a bel et bien frôlé la catastrophe et la guerre
mondiale. Que Russes et Américains se soient mis d’accord sur le
principe d’une solution politique et diplomatique ne peut que réjouir
les gens de bonne volonté qui prônent et espèrent depuis de longs mois
l’amorce d’un processus de négociation en Syrie. En espérant que la
dynamique de paix sera contagieuse…
Il convient bien entendu de saluer la « Syrie
réelle », c’est-à-dire tous ceux qui ont misé une fois pour toutes sur
le dialogue pour mettre un terme à la guerre universelle à laquelle est
confronté leur pays. C’est en effet grâce à leur détermination et leur
lucidité que la mère de notre civilisation a pu résister – résiste
toujours - aux terribles épreuves infligées par ses « faux frères »
d’Orient et ses « faux amis » d’Occident : plus de 100 000 morts, huit
millions de réfugiés et déplacés, soit un Syrien sur trois, plus de la
moitié du pays en ruines, y compris la ville martyre d’Alep, capitale
économique livrée au pillage, les infrastructures dévastées, écoles et
hôpitaux inclus, des zones entières à la merci de combattants d’un autre
âge. Sans oublier des millions et des millions de vies brisées…La
communauté internationale, l’universelle, celle qui représente la
majeure partie de la planète, ne sera-t-elle pas fondée à demander des
comptes à ceux qui entretiennent, en notre nom par-dessus le marché,
cette entreprise de massacre et de destruction, comme jadis en Irak et
naguère en Libye ?
Certes, voir la grise mine de quelques « amis » bien
connus du peuple syrien devant une perspective de solution pacifique a
de quoi nous réjouir, mais nous ne pouvons dissimuler notre tristesse et
notre colère de voir la France brader ses intérêts nationaux, ruiner
son crédit moral en affirmant une préférence marquée pour le mauvais
côté de l’Histoire. A l’heure où les uns et les autres se félicitent de
voir la raison l’emporter et redisent leur engagement en faveur d’une
issue politique négociée en Syrie, la France ne manifeste pas un
enthousiasme délirant – c’est un euphémisme – pour l’option de la paix
et du droit, dont la diplomatie russe s’est faite le symbole.
On aurait plutôt, jusqu’ici, l’impression qu’elle
choisit de se retrancher dans le camp de la guerre en compagnie des
financeurs du djihad. Pourquoi a-t-elle tant tenu à court-circuiter le
Conseil de Sécurité dont elle est l’un des membres permanents et
pourquoi, se plaçant dans une logique d’ingérence, a-t-elle mis tant de
constance à bafouer les principes du droit onusien dont elle se
réclamait. Quel dommage et quel ravage !
Le gouvernement français fait grand cas des votes du
Congrès américain et bon marché de l’opinion majoritaire des Français.
Il a grand tort. Sa politique est aussi injuste qu’immorale et la part
de culpabilité qui est la sienne dans l’atroce tragédie syrienne n’a
d’égale que son écrasante responsabilité dans notre enfermement et notre
terrible humiliation. Pesant mes mots (comme un ministre bien connu qui
pourtant rate toutes les occasions de se taire), je souhaite plein
succès à ce Genève II que les vrais amis de la Syrie appellent de leurs
voeux : il est grand temps que la voix de la diplomatie se substitue au
fracas des armes, que la stabilité et la paix reviennent en Syrie.
Et puis, faut-il rappeler l’évidence ? C’est aux
Syriens et à eux seuls qu’il appartient de décider de leur destin en
toute souveraineté et en toute indépendance. Les dirigeants étrangers,
de Paris ou de Washington, de Riyad ou d’Ankara, n’ont aucune légitimité
pour le faire à leur place, et il leur faut un fabuleux toupet pour
établir des « feuilles de route » concernant l’avenir ou la
reconstruction d’un pays qu’ils auront tout fait pour anéantir.
Michel Raimbaud, ex-Ambassadeur (à la retraite)
Membre de la Coordination pour la souveraineté de la Syrie et contre l’ingérence
Membre de la Coordination pour la souveraineté de la Syrie et contre l’ingérence
No comments:
Post a Comment