Ben Ali, le grand retour
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Avec les élections législatives et présidentielles qui s’approchent
respectivement en octobre et en novembre, la Tunisie reste le seul pays
du « printemps arabe » à connaître une véritable transition
démocratique. Au moins soixante dix candidats ont déclaré leur volonté
de se présenter à la magistrature suprême. Parmi eux, cinq anciens
ministres et un ancien ambassadeur de Ben Ali. Etrange campagne
électorale où l’on voit le mouvement islamiste Ennhada, premier parti
tunisien aujourd’hui, ne présenter officiellement aucun candidat.
Au sein d’une Assemblée Constituante élue en octobre 2011 ; les
islamistes du mouvement Ennahda et leurs alliés de la gauche
progressiste avaient bien été tenté d’empêcher les anciens partisans de
Ben Ali de se présenter aux élections législatives et présidentielles
qui vont avoir lieu cet automne. Peine perdue, le projet ne fut jamais
voté ! En Tunisie, la majorité de la classe politique, par peur de voir
surgir des affrontements violents et fatals, a manifesté depuis trois
ans une volonté de consensus, voire d’union nationale.Petits arrangements
Pour le meilleur, les élites éduquées de ce pays civilisé entre tous ont trouvé la voie pour voter, dans un seul élan, un pacte constitutionnel qui aura montré notamment de la part du leader des islamistes, Rached Ghannouchi, habile dialecticien au triple, voire quadruple discours, une formidable capacité de compromis. Le vieux bourguibiste de 90 ans et principal challenger des Frères Musulmans, à la tète d’une coalition hétéroclite, Beji Caid Essebsi, aura souhaité, lui aussi, une forme de cohabitation avec ses adversaires. Ce qui est cocasse est de voir à l’œuvre d’étranges conseillers de l’ombre, tel le producteur Tarek Ben Amar, transformé le temps d’une transition en faiseur de paix improbable entre camps opposés.
Ainsi va la démocratie tunisienne naissante plus en quête de petits arrangements entre amis que de saine concurrence entre adversaires qui se respecteraient. Pour comprendre cet affadissement du débat démocratique, relevé dans un document instructif par le chercheur d’International Crisis Group, Michael Ayari, le contexte régional est particulièrement délétère, où des groupuscules jihadistes décapitent les aimables randonneurs au nom d’une guerre qui a lieu à des milliers de kilomètres et dans laquelle la France de François Hollande occupe un strapontin aux cotés de la puissance américaine soudain lucide sur les amis de ses amis qataris et saoudiens.
Zine, le retour
La surprise de cette campagne électorale, la voici. Pas moins de cinq anciens ministres du régime de Zine Ben Ali et un ancien ambassadeur qui a le toupet de se présenter comm un homme neuf se présentent aux élections présidentielles. Passons sur le cas de l’ancien ministre des transports notoirement corrompu, Abderrahim Zouari, qui a pu quitter la prison grâce à l’intervention, sans aucun doute sonnante et trébuchante, de feu Aziz Miled, un des grands industriels tunisiens de l’hôtellerie, aujourd’hui décédé, qui fit quelques bonnes affaires avant sa disparition avec les qataris avec la bénédiction de Ghannouchi.
Pour mémoire, souvenons nous que ce fut Aziz Miled qui convoya l’ex ministre de la défense de Nicolas Sarkozy, Michèle Alliot Maire, pour des vacances improbables à Tabarka près de la frontière algérienne, alors que la Tunisie était à feu et à sang.
Reste que trois anciens compagnons de route de Ben Ali, et non des moindres, se présentent aux présidentielles et figurent désormais parmi les candidats les plus sérieux : le très consensuel Kamel Morjan, l’ancien ministre de la Défense et proche des Américains, mais dont deux des principaux conseillers sont aujourd’hui proches… des islamsites. Nabli, qui fut ministre des finances jusqu’en 1992 sous Ben Ali et gouverneur de la banque centrale sous Beji, tout en travaillant au FMI entre temps ; l’aimable Moncef Zaidi enfin, qui détient le record des postes ministériels sous l’ancien régime et qui bénéficia pourtant toujours d’une grande popularité, notamment au cœur de la Tunisie des oubliés dans sa région de Kasserine. Pourquoi ce retour ?
Une vieillesse tunisienne
Tout d’abord, le contexte politique leur est favorable. Les deux grandes forces politiques du pays, qui vont rafler les deux tiers des suffrages aux législatives, jouent un jeu étrange pour les présidentielles. D’une part, les dirigeants d’Ennahda, qui ne pensent qu’à obtenir la majorité aux législatives, ne présentent personne aux présidentielles et se réservent le droit de soutenir un candidat, « choisi sans doute avant le premier tour », confie un dirigeant d’Ennahda. D’autre part, le principal rival des islamistes, le vieux Beji, voit sa santé s’aggraver, ses partisans le lâcher, son parti se fissurer et son entourage, dont son fils, prendre le pouvoir.
Or les anciens ministres ont trois atouts maitres : une réputation de comptétence technocratique au sein d’une administration qui n’a jamais démérité et alors que le pays s’enfonce dans la crise économique, des ressources financières venues d’un patronat nostalgique du « modèle économique » de Ben Ali, selon le mot de Jacques Chirac ; des réseaux souterrains à l’œuvre, en général sulfureux, qui auraient tout intérêt à ne pas apparaître s’ils ne veulent pas polluer leurs poulains.
Il reste que la campagne pour les présidentielles s’annonce fort mal. La dernière ligne droite de la transition tunisienne a des allures de carnaval électoral. Candidature de corrompus notoires, pouvoir de l’argent et des hommes de l’ombre, morcellement de l’électorat, boulimie d’ambitions personnelles, absence d’alliances claires, choc des réseaux et absence d’affrontement partisans… Autant de facteurs qui expliquent l’image déplorable de la classe politique tunisienne dans la Tunisie profonde. Les deux tiers des citoyens se disent aujourd’hui indécis, beaucoup pourraient ne pas se déplacer pour cautionner ce qu’ils jugent être une mascarade électorale.
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