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Friday, January 14, 2011

Tunisiens: les lendemains de dictature sont plus difficiles à gérer que la dictature elle-même

Du Supplice Tunisien à la Révolte du Jasmin!

Montréal le 14 Janvier 2011

Bochra Manai

Mes chers amis, collègues, frères, sœurs...
Tunisiens, Français, Québécois, Canadiens...


C'est avec beaucoup d'émotion que je vous écris ce bout de moi-même... En ce début d'année 2011, la Tunisie s'est réveillée...

Elle a commencé par prendre feu en la personne immolée de Mohammed Bouazizi. C'est mon devoir de m'enflammer avec elle et pour elle.

La tunisienne, la démocrate, la femme, la fille d'opposant, la réfugiée, la maghrébine, la musulmane et l'africaine que je suis se retrouvent aujourd'hui dans un seul et même corps, un corps décidé à parler, à exprimer la révolte tunisienne, la frustration que ce pays a pu vivre et d’en faire l’écho auprès de tous!


C'est avec beaucoup d'émotion que je vous implore de regarder ce pays, si tranquille, si pacifique et si beau, s'embraser!

C'est avec beaucoup de sérieux que je vous demande de soutenir ce peuple dans sa lancée vers la liberté... cette nécessité dans tout processus démocratique.

Cette Révolte du Jasmin est un moment historique qui ne doit pas s'arrêter à des actions réactives. Il doit laisser place à une Révolution de la pensée et à une Réflexion libre.

Les années 1990 ont été sombres, marquées par une nécessité pour les Tunisiens de se taire sous peine de tout perdre, pour certains leur corps et leur familles, pour d'autres leur dignité, pour d'autre encore leurs vies.

Les Tunisiens ont été sommés de se taire ou de perdre la vie....voire la patrie!

Je souhaite rendre hommage à tous ceux qui ont survécu...malgré tout.
Je souhaite rendre hommage à toutes ces femmes et ces hommes qui ont cru perdre leur dignité et leur essence humaine dans les antres de cette dictature sanguinaire…
Je souhaite rendre hommage à ces Tunisiens tués, violées, exilés, brimés dans leur plus humaine essence. Je vous remercie pour votre legs...

Aujourd'hui, nous ne croirons pas en n'importe quelle promesse! Aujourd'hui, nous tiendrons, nous ne nous tairons pas, nous ne nous tairons plus. Aujourd'hui, nous nous sommes relevés... après des décennies d'asservissement. Aujourd'hui nous avons parlé...

"Je me suis redressé. J'ai contemplé à mes pieds ma dépouille, mon ancien moi, marqué des stigmates de la fatalité et de l'ignorance et dont les faiblesses avaient suscité toutes les convoitises. Je me suis mis à marcher le menton levé, le dos droit, le regard perçant. Je lève les yeux, un drapeau neuf flotte dans un ciel pur : c'est la Liberté" Hélé Béji

Nous avons vu la Lumière! Nous sortons...et nous ne serons pas dupes! La démocratie que nous méritons est à notre portée.

"Maintenant, représente-toi notre nature selon qu'elle a été instruite ou ne l'a pas été, sous des traits de ce genre: imagine des hommes dans une demeure souterraine, une caverne, avec une large entrée, ouverte dans toute sa longueur à la lumière: ils sont là les jambes et le cou enchaînés depuis leur enfance, de sorte qu'ils sont immobiles et ne regardent que ce qui est devant eux, leur chaîne les empêchant de tourner la tête. La lumière leur parvient d'un feu qui, loin sur une hauteur, brûle derrière eux; et entre le feu et les prisonniers s'élève un chemin en travers duquel imagine qu'un petit mur a été dressé, semblable aux cloisons que des montreurs de marionnettes placent devant le public, au-dessus desquelles ils font voir leurs marionnettes." La République de Platon.

Aujourd'hui la Tunisie est une terre fertile non plus pour les délateurs qu'ils ont fait de nous, mais pour les libres penseurs que nous avons toujours été. Faisons en sorte que cette révolte des Jasmins se transforme en une Révolution tranquille, celle des penseurs, des critiques...

Faisons de ce Supplice Tunisien notre Histoire pour ne jamais la revivre. Semons les graines de notre Tunisie aux mille Jasmins.

Bochra Manaï

Thursday, January 13, 2011

Le Maghreb et sa population

Le silence assourdissant de la France et de l'Europe
Le Quotidien d'Oran, jeudi 13 janvier 2011
Akram Belkaïd, Paris
Le Maghreb, sa population, n'ont rien à attendre de l'Europe en général et de la France en particulier. Ou pour être plus exact ils n'ont rien à attendre de la Commission européenne, des gouvernements européens et des classes politiques européennes, surtout la française. C'est l'une des réflexions que je ne cesse de ressasser depuis que l'Algérie et, plus encore, la Tunisie ont été entraînées dans une spirale de violences dont il faut craindre qu'elles ne se répètent (pour l'Algérie) ou qu'elles ne s'aggravent encore (pour la Tunisie). J'ai été interrogé par un confrère du Golfe qui m'a demandé s'il fallait accorder de l'importance à la thèse de la «main de l'étranger» telle que la défendent les dirigeants des deux pays. J'ai commencé par répondre que c'était bien commode comme explication et que cela en devenait lassant. A chaque épreuve, à chaque révolte, à chaque crise politique, c'est cette fameuse main, aussi invisible que celle évoquée par Adam Smith pour ce qui concerne l'économie, qui est incriminée. Un gamin qui manifeste ou qui accompagne un cortège funéraire avant qu'on ne lui loge une balle dans le corps n'est donc pas simplement un «voyou» ou un « terroriste », ce serait aussi un agent d'une puissance hostile.

J'ai donc conseillé à ce confrère de suivre de près la manière dont réagissent actuellement les capitales européennes et de peser cela à l'aune des récriminations des pouvoirs maghrébins – mais aussi sub-sahariens quand il s'agit d'autres crises – pour qui toute critique et mise en cause ne peuvent que relever de l'intelligence avec l'étranger. Bien entendu, est-il utile de le préciser, cet étranger comploteur est de préférence l'ancienne puissance coloniale.

Qu'entendons-nous de la part de la classe politique française pour ne prendre que cet exemple ? Un silence assourdissant, parfois troublé par quelques déclarations qui nous expliquent que tout ne va pas si mal au Maghreb, que les trois pays ne sont pas des dictatures, que des progrès importants ont été réalisés, que la France n'a pas de leçon à donner (elle qui passe son temps à le faire quand il s'agit d'autres pays dits voyous tels l'Iran ou la Syrie) et qu'il faut donner du temps au temps. Imaginez une voix, un peu cassante, un peu impatiente, certainement pas gênée : «des morts ? Oui, d'accord, mais cela finira bien par changer…» Désinvolture, mépris aussi.

On pourra me demander mais que peut l'Europe ? Que peut la France ? Et j'imagine que les défenseurs de la souveraineté nationale, et les défenseuses aussi - car il y en a et, paraît-il, très bien récompensées – s'apprêtent à bondir. Je les entends déjà m'accuser de trahison pour avoir appelé, ou tout simplement évoqué, une quelconque interférence étrangère dans les affaires des Algériens mais aussi des Tunisiens, sans oublier les Marocains - lesquels sont embarqués dans la même galère même si cela ne bouge guère chez eux, en ce moment (cela viendra, croyez-moi).

Disons donc que la France et l'Europe sont dans la même position que celui qui entend son voisin cogner, femmes et enfants, jusqu'au sang, voire jusqu'à les tuer. Ils peuvent effectivement se boucher les oreilles ou monter le son de la télévision. Ils peuvent regarder ailleurs et uriner sur ces valeurs dont ils se gargarisent si souvent, en se posant comme exemple à suivre par le monde entier. Ensuite, quand ils croiseront le coupable dans les escaliers, ils discuteront avec lui comme si de rien n'était et la vie suivra son cours, du moins pour celles et ceux qui ne l'auront pas perdue.

En réalité, la France et l'Europe sont dans une position bien plus forte qu'on ne le croit. N'existe-t-il pas un certain accord d'association signé, de façon séparée, par l'Union européenne et les trois pays du Maghreb ? Cet accord qui fait la part belle au libre-échange et à la baisse des tarifs douaniers, n'est-il pas accompagné d'un volet qui porte sur la question des droits de la personne humaine ? De même, ce fameux «partenariat privilégié» que l'Europe agite comme une carotte aux yeux des pays du sud et de l'est de la Méditerranée, n'est-il pas aussi porteur, du moins sur le papier, d'exigences à propos du respect des libertés individuelles et du pluralisme politique ?

Mais il est vrai que les Européens sont tétanisés. Les régimes maghrébins, nous expliquent-ils, sont malgré tout le rempart contre tous les «ismes» : l'intégrisme, le radicalisme, le terrorisme, l'islamisme et même, que l'on me permette ce néologisme, le «harraguisme». C'est d'ailleurs ce que clament nos dirigeants. Etrange mais très habituelle situation où celui qui crée le problème se targue d'être le seul à le résoudre. Le fait est que les pouvoirs maghrébins font chanter l'Europe avec cette menace de l'islamisme. Ils savent que c'est un sujet dont la seule évocation fera taire les scrupules et disparaître les bons conseils à propos de l'importance d'un Etat de droit et du respect des libertés.

Ce n'est pas tout. Si la France politique – Verts exceptés – est si silencieuse, c'est aussi parce qu'elle est tenue. Voilà le grand tabou qui devient tellement évident quand le Maghreb s'embrase. Nous le savons tous. C'est même de bonne guerre. Parmi ceux qui clament, contre toute évidence, que la démocratie fait son chemin au Maghreb, combien sont vraiment sincères ? Et combien ont peur que soient révélées leurs compromissions ? Que cessent leurs vacances au soleil, tous frais payés, dans des palaces de luxe ou des palais ? Combien sont «couscoussés» ou «tajinés» ? Combien ont peur que ne soient révélés leurs rapports bidons, dûment rémunérés ? Combien ont peur que ne soient dévoilés leurs petits péchés mignons ou, plus grave encore, leurs turpitudes et leurs actes immoraux – dont ils n'ignorent pas qu'ils ont certainement été enregistrés et filmés par ceux qui sauront les ramener dans le droit chemin, s'ils osent la moindre critique ? Quand les Maghrébins auront repris leur destin en main, et cela finira par arriver car rien n'est immuable, il faudra se souvenir de ces lâchetés intéressées.

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Des peuples affamés… de démocratie ?
Courrier International, jeudi 13 janvier 2011

Faute d’une redistribution juste des richesses, les émeutes se multiplient en Algérie et en Tunisie. Une situation exacerbée par une jeunesse frustrée dans ses aspirations.

Des violences urbaines spectaculaires, des édifices publics dévastés, des commerces pillés, des affrontements entre forces de l’ordre et jeunes, des morts, des blessés et des destructions importantes… A bien des égards, les troubles qui secouent – et ensanglantent – la Tunisie et l’Algérie sont similaires et relèvent des mêmes causes. Ils témoignent surtout du ras-le-bol et du désespoir d’une partie de la population qui s’estime marginalisée et même délibérément sacrifiée. Le paradoxe, c’est que cette révolte survient dans une conjoncture où les pouvoirs algérien et tunisien n’ont cessé de se féliciter de la bonne tenue de leurs économies respectives. Il est ainsi saisissant de noter que les émeutes ont commencé en Algérie quelques jours après que le gouvernement eut annoncé un niveau record des réserves de change (155 milliards de dollars, soit une fois et demi le PIB national).

De façon plus générale, il y a un décalage manifeste entre les relativement bonnes performances macroéconomiques affichées par le Maghreb (les taux de croissance y frôlent les 4 % malgré la crise internationale) et une réalité sociale des plus inquiétantes. C’est ce que montre le dernier rapport sur le développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), où les pays d’Afrique du Nord sont très mal classés (sur 169 pays concernés, la Tunisie est 81e, l’Algérie 84e et le Maroc 114e). Cela signifie que la redistribution ne fonctionne pas et que les fractures sociales dans ces pays ne font que s’aggraver alors que ces sociétés sont très attachées aux principes de l’égalité et de la solidarité.

Les Etats refusent toute discussion

Ce que nous apprennent ces émeutes en Algérie et en Tunisie, c’est qu’il y existe un problème majeur avec la jeunesse : celui-ci n’est pas simplement d’ordre social ou socio-économique, il est aussi politique. Certes, en Algérie, les autorités tentent à tout prix de valider la thèse selon laquelle cet embrasement n’est que la conséquence de la hausse malencontreuse des prix de certains produits alimentaires de base tels que le sucre, l’huile ou la farine. De même, en Tunisie, le gouvernement cherche-t-il à incriminer l’incompétence de certains responsables locaux qui auraient abusé de leurs prérogatives. Notons que, dans les deux cas, on met également en cause, de manière plus ou moins explicite, la sempiternelle “main de l’étranger” et que les propagandes gouvernementales tentent de présenter les émeutiers comme des voyous manipulés. Ce genre de discours n’est guère surprenant et il ne convainc personne.

Une autre erreur dans l’analyse serait aussi de résumer ces manifestations à de simples émeutes de la faim. Dans ces deux pays où les oppositions sont muselées, persécutées et réduites au rôle de faire-valoir, la violence nihiliste est devenue le seul moyen d’expression et de contestation pour des millions de jeunes, mais aussi pour leurs aînés. Cela fait d’ailleurs des années que les deux pays, particulièrement l’Algérie, connaissent ce genre d’événements, mais c’est la première fois qu’ils atteignent une telle ampleur et que le monde entier en entend parler, notamment grâce à Internet et aux réseaux sociaux.

Face au chômage des jeunes, qu’ils soient diplômés ou non, face à la paupérisation des classes moyennes, dont le pouvoir d’achat est rogné par l’inflation et le gel des salaires, aucun discours politique approprié n’est proposé et encore moins autorisé. Comment s’étonner que la rue s’embrase ? Comment s’étonner aussi de cette sensation de vertige dès lors que l’on en vient à parler du futur ? Les Etats ou plus exactement les gouvernements – lesquels ne sont que le bras armé des pouvoirs en place – refusent la moindre discussion et réagissent avec violence à la moindre critique, fût-elle modérée. Le résultat de ce monopole est qu’aucune force politique n’est capable aujourd’hui d’encadrer ces protestations, qui virent le plus souvent à la jacquerie.

Empêcher leur jeunesse d’émigrer

Bien entendu, il est possible que ces émeutes relèvent de manipulations politiques internes. Dans le cas de l’Algérie et de la lutte de succession qui se prépare déjà pour l’après-Bouteflika [le président algérien est au pouvoir depuis 1999], l’hypothèse d’un bras de fer entre clans n’est pas à exclure. Pour autant, on sait que ces manœuvres de l’ombre atteignent rarement leurs objectifs.

En octobre 1988, la jeunesse algérienne avait ainsi été incitée par des officines du pouvoir à manifester afin d’affaiblir la frange conservatrice du Front de libération nationale (FLN). On s’en souvient, cette manipulation, qui avait fait plus d’un millier de morts, avait provoqué des réformes politiques, mais aussi la montée en puissance du mouvement islamiste et conduit, au final, à huit années de terreur et de chaos. Un tel scénario peut très bien se reproduire, y compris en Tunisie. Cela tient au fait que les mouvements religieux, même affaiblis par de longues années de répression, peuvent très vite s’organiser et reprendre l’initiative. A l’inverse, le camp démocratique est fragmenté, quand il n’est pas tout simplement le client du pouvoir.

Sur le plan régional, ces événements interpellent l’Union européenne (UE), dont les membres feignent de croire que le sud de la Méditerranée finira par trouver tout seul le chemin de la démocratie et de la prospérité économique. En réalité, le consensus implicite au sein de l’UE est de s’appuyer, faute de mieux, sur des gouvernements dictatoriaux qui se présentent comme l’ultime rempart face à l’islamisme et qui promettent de tout mettre en œuvre pour empêcher leur jeunesse d’émigrer en masse vers le nord. Les émeutes de Tunisie et d’Algérie – mais aussi demain du Maroc, car la situation dans ce pays n’est guère différente de celle de ses voisins – démontrent les limites d’un tel raisonnement. Il ne faut pas se leurrer. Il est possible que les mouvements de contestation s’essoufflent au cours des prochains jours, que cela soit à cause d’une violente répression ou de quelques réformes symboliques. Mais, tôt ou tard, la violence reviendra car on voit mal comment des systèmes autocratiques pourraient s’amender et contribuer au développement harmonieux de leurs pays.

Les enjeux sont pourtant énormes. Selon plusieurs projections, les pays du Maghreb devront créer près de 10 à 15 millions d’emplois d’ici à 2030. A voir la manière dont évoluent les choses, on se demande bien comment ils vont y arriver. Cela signifie que le chômage des jeunes va s’aggraver, de même que l’émigration clandestine, sans oublier la tentation radicale, par réaction à l’enrichissement sans cesse croissant d’une partie infime de la population. C’est une situation que l’Europe ne peut ignorer car sa frontière sud est en train de brûler. Il ne s’agit pas pour elle de donner de l’argent – lequel est largement disponible, comme le montre l’exemple algérien –, mais d’amener ses partenaires du sud de la Méditerranée à s’engager pleinement sur le chemin de la démocratie, à l’image de ce qui a été fait avec la Turquie. Car seule la démocratie est susceptible de créer les conditions pour permettre un véritable décollage économique de la région.

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Un message
Lignes quotidiennes, mercredi 12 janvier 2011
Je reçois un sms à l'heure où la nuit tombe sur la ville. Celui qui me l'a envoyé n'est pas un ami. Ce n'est pas non plus un confrère mais il a lu l'un de mes livres.
Voici ce qu'il me dit : "Je pense à vous, imaginant vos pensées et vos inquiétudes... Amicalement".
Ce message me fait chaud au coeur. Ils ne sont pas nombreux à s'être manifestés de la sorte. Je me dis que, au moins, quelqu'un, quelque part, devine à quel point ces derniers jours ont été éprouvants. Oh oui, bien sûr, je suis loin et bien mieux loti que celles et ceux qui vivent "là-bas". Mais nous tous qui avons le regard rivé vers le pays et l'oreille tendue en permanence à l'affût d'une nouvelle information, nous savons combien cette attention est précieuse. Elle tranche avec l'habituelle indifférence, l'égoïsme somme toute naturel ou, plus insupportable encore, l'intérêt bref et à peine poli.
Il paraît qu’un consensus national existerait en France autour de la décision du gouvernement français d’attaquer les ravisseurs des deux Français enlevés à Niamey au Niger. Selon la version officielle, les deux hommes auraient été « froidement exécutés » durant l’intervention des forces françaises. Certes, toute la classe politique, à quelques exceptions près, justifie l’usage de la force au nom d’une nécessaire fermeté vis-à-vis des terroristes. Mais je ne suis pas sûr que tout le monde approuve. En tous les cas, ce n’est pas mon cas.
Le discours que j’entends depuis quelques jours est choquant. Quel manque d’humanité, quel cynisme ! Bien sûr, les ravisseurs et leurs commanditaires sont des criminels mais est-ce une raison qui justifie la prise de risque ? Cette fermeté dont on nous rabat les oreilles, vaut-elle le sacrifice de deux jeunes hommes qui n’avaient rien demandé ? On ne négocie pas avec les ravisseurs ? Et pourquoi pas ? Mieux vaut une infime chance de récupérer les otages vivants que de prendre le risque de leur assassinat. Et l’Etat ne paraît jamais autant cruel et insensible que lorsque qu’il se pare de sa raison pour justifier des actes qui font pleurer aujourd'hui deux familles.
Il paraît que c’est une manière d’adresser un signal à tous ceux qui, au Sahel, seraient tentés à l’avenir de s’attaquer à des ressortissants français ou étrangers. On a donc sacrifié deux personnes dans l’espoir que les prises d’otages vont cesser dans cette région où se joue un grand jeu géopolitique notamment autour des ressources minières. Notons au passage que personne ne s’interroge sur le fait que cet enlèvement a pu avoir lieu en plein Niamey et disons simplement qu’on sait très bien que ce genre de calcul est hautement hasardeux.
Et malgré l’unanimisme ambiant, on peut se demander si ce discours – lequel tournait en boucle dans les médias dès l’annonce du drame ce qui empeste à vue de nez l’action efficace de quelques communicants et autres spins doctors – ne cache pas un fiasco, ou du moins une légèreté et une désinvolture qui ne disent pas leur nom.

Zeineb Abdelaziz au Cardinal Pianiasco


خطاب مفتوح إلى الكاردينال بانياسكو

بقلم الدكتورة زينب عبد العزيز

أستاذة الحضارة الفرنسية

فى القداس الذى ترأسه فى مدينة چنوا بإيطاليا ، بمناسبة عيد الغطاس يوم الخميس 6 يناير 2011 ، فى كاتدرائية المدينة ، أعلن الكاردينال آنچلو بانياسكو أسقف چنوا ورئيس المجمع الأسقفى الإيطالى ، قائلا : "نحن مذعورين كأبانا المقدس بنديكت 16 ، حيال التعصب الدينى ومن مثل هذا العنف ، ونتساءل : لماذا ؟"، ثم راح يحدد سبب ذلك الذعر قائلا : "وهذا التساؤل ليس من باب البلاغة الإنشائية ولا يخفى أية رغبة فى الإنتقام . أنه تساؤل صادق وناجم عن دم ذلك العدد الكبير من المسيحيين ومن آلامهم . أنه تساؤل يتجاوب مع موجة التساؤلات العارمة التى تجوب الكثير من مناطق العالم : لماذا ؟ " !! ثم أضاف متسائلا بسذاجة : "ربما لأن هناك من يربط بين المسيحية فى العالم الغربى والذى تتفجر ضده مشاعر الغضب الناجمة عن الأمس واليوم ؟ لكن لا يمكن إغفال أن الإنجيل يتجسد فى كل ثقافة دون أن يتمثل فى شخص ما " .

وكون سيادة الكاردينال يبدأ خطابه بمحاولة إثبات أن هذه التساؤلات لا تخفى أية رغبة فى الإنتقام ، فذلك يكشف عن الخلفية الحقيقية لهذه الخطبة التى تم توزيعها على أوسع نطاق، وكلها تقريبا عبارة عن تساؤلات ، يلوح منها العديد من الإتهامات المعلنة أو المشار إليها ضمناً ، لكنها بكل تأكيد تمثل جزءأً لا يتجزأ من تلك الموجة العاتية والمتعمدة ، المتدفقة لتكتسح الإسلام والمسلمين . لذلك رأيت أنه من الأنسب أن يتواصل هذا الخطاب المفتوح فى صيغة سؤال وجواب من اجل الوضوح .

الكاردينال بانياسكو : "أن المسيحية تاريخية ، وبالتالى عليها أن تكون ملح الأرض وخميرته حيثما وُجدت . لكنها تكتسى بُعدا فيما وراء التاريخ لا يمكن التغاضى عنه . إن العقيدة المسيحية موجودة فى العالم بأسره ، وفقا لطلب الرب ، وتنغرس ، وتتجاور ، بصورة محترمة ومفيدة ، فى كل بلد ، وكل شعب ، وكل تراث " .

الإجابة : كون المسيحية تاريخية فذلك لا يبرر أن يتم فرضها على العالم . ولا يوجد أى منطق على الأرض بأسرها يبرر ذلك القرار الشيطانى الصادر عن مجمع الفاتيكان الثانى (1965) الذى قرر فرض تنصير العالم، كما فَرَض المساهمة فى عملية التنصير هذه على كافة أتباع المسيحية بكل فرقها ! وذلك يعنى أن هناك حوالى مليارا ونصف من المسيحيين مجبرون على المساهمة فى هذه الحرب الدينية التى تتم تحت مسمى "تنصير العالم" . وهى مؤامرة قد بدأت رسمياً مع مرسوم سنة 528 الذى فرض التنصير إجباريا على كافة الوثنيين (والوثنى يعنى كل من هو غير مسيحى فى النصوص النصرانية) . أما عن البُعد الذى يتعدى التاريخ فهو بدعة تم نسجها عبر المجامع على مر العصور ، وليست حجة لتنصير العالم . خاصة وأن "الرب يسوع" ، كما تسمونه ، لم يترك أية وصية بفرضها على العالم ، بما أنه يقول بوضوح : "لم أرسل إلا إلى خراف بيت إسرائيل الضالة" (متّى 15 : 24) . ونهاية الإنجيلين ، متّى ومرقص ، اللذان يتم التذرع بهما وبأنهما يتضمنان طلب الرب بتنصير العالم ، فإن نهاية الأول محرّفة ، بما أن الثالوث لم يتم إختراعة وفرضه إلا فى مجمع القسطنطينية سنة 381 ؛ ونهاية الثانى عبارة عن إضافة لاحقة ، بما أن أقدم النسخ الكاملة للأناجيل ، ولا أذكر منها إلا نسخة "مخطوطة سيناء" فهى تنتهى عند الجملة 11 وليس الجملة رقم 20 ، وهذا الفرق من الجمل التسعة هى إضافة لاحقة . والعقيدة المسيحية قد تم غرسها فى العالم أجمع حقا ، لكن بإقتلاع عشرات الملايين من البشر ، وهى جرائم لم يطلبها "الرب يسوع" على الإطلاق ! والعقيدة المسيحية لم تفرض نفسها بنفسها ، وإنما قد تم غرسها بعمليات غرس دامية ، تعسفية وإجرامية . وهى تتجاور طبعا مع غيرها من الديانات، لكن من غرسوها لا يجعلونها "جوارا حميدا" كما تقول ، بما أن هذا التجاور يهدف إلى إقتلاع كل الديانات والعقائد الأخرى بدأ بالإسلام .

الكاردينال بانياسكو : "ترى هل عدم التسامح الدينى الذى يعانى منه المسيحيون ناجم عن عدم تسامحهم الدينى ؟ وهنا أيضا لابد وأن ننظر بهدوء إلى عقيدة الإيمان وإلى تصرف أتباع المسيح . ففى تعاليم يسوع لا توجد أية شبهة عدم تسامح ، ولا يوجد سوى الدعوة إلى البحث عن الحقيقة بأمانة ، وهى دعوة تذكرنا أن الحقيقة وحدها تحرر الإنسان وأنها معيار الخير المعنوى" .

الإجابة : إن كل هذه الكراهية المتدفقة ضد الإسلام خاصة ، وضد كل الديانات والعقائد الأخرى هى يقينا عبارة عن عدم تسامح دينى من جانب الفاتيكان وكل القيادات التى تتبعه . والتحدث عن الحقيقة وتقديم ما هو عكسها تماما لا يليق بمثل هذا المجال الجاد والمدمِّر! وفيما يتعلق بتعاليم يسوع التى تقول عنها "أنه لا توجد بها أية شبهة عدم تسامح" فهى قول يسمح لى بأن أطلب منك ، يا سيادة الكاردينال ، أن تراجع إنجيلك بعهديه القديم والجديد ، كما أدعوك خاصة لتقرأ عبارة يسوع التى يقول فيها : "أما أعدائى أؤلئك الذين لم يريدوا أن أملك عليهم فأتوا بهم إلى هنا واذبحوهم قدامى" (لوقا 19 : 27) ! وإن لم أكن مخطئة فهذه ليست دعوة لحب القريب ولا دعوة للبحث عن الحقيقة !!

الكاردينال بانياسكو : "وحيثما يعيشون ويمثلون الأغلبية ، فإن المسيحيين ليسوا وقحاء تجاه أى شخص ، وليسوا متعصبون دينيا" .

الإجابة : أن أطلب منك قراءة كتابك المقدس ، فذلك يعنى الكثير، لكن أن أطلب منك أن تتابع الأخبار اليومية، وأن ترى تلك الجيوش المجيّشة التى يقودها الفاتيكان علنا وفى الخفاء ضد الإسلام والمسلمين ، فى وقت لا يخلو فيه خطاب أو تعليق من البابا من إتهام ، ولا أقول شيئا عن قادة بعض الدول و وزرائهم الذين يكررون مطالبه ، وتقريبا كافة الجرائد والمجلات والبرامج الإذاعية التليفزيونية ، فتلك فضيحة ، لأن ذلك يعنى أنك لا تتابع أى شئ على الإطلاق مما يدور حولك ! وقولك "أن المسيحيين ليسوا وقحاء تجاه أى شخص ، وليسوا متعصبون دينيا" فهو عكس الحقيقة التى تشير إليها . أنظر إلى كل ما يدور فى مختلف البلدان الأوروبية ، حيث المسلمون يُعتبرون أقليات ، وإن كانوا بالملايين ، واستعرض كافة المشاكل والمعاناة التى يتعرضون لها ثم تحدث عن التسامح المسيحى إن وُجد !

الكاردينال بانياسكو : "إذاً ، هل المسيحيون مضطهدون ومطاردون لأنهم يتحدثون بإسم المسيح عن الكرامة والمساواة تجاة كل شخص ، رجلا كان أو إمرأة ؟ أو لأنهم يتحدثون عن الحرية الدينية ؟ أم لأنهم يبشرون بالحب حتى تجاه أعداءهم ؟ ألأنهم يتحدثون عن التسامح ويرفضون العنف ويتصرفون على أنهم صانعى سلام ؟ ألأنهم يبشرون بالعدل والحق ؟ " .

الإجابة : أولا هؤلاء المسيحيون ليسوا مضطهدين ولا مطاردين ، فقد عاشوا طوال عمرهم بين المسلمين كجزء لا يتجزأ من نسيج الدولة. والمآسى لم تبدأ إلا مع القرار العنصرى المتعصب الذى يطالب بتنصير العالم ، وهو قرار قد جعل من الأقليات المسيحية أتباعاً للفاتيكان وخونة لمواطنيهم ولبلدانهم. فما يقوم به هؤلاء المسيحيون بناء على قرارات مؤسستك يسمى "تنصير" ، والتنصير وفقا لكل النصوص الفاتيكانية يعنى إقتلاع الآخرين من دينهم وفرض المسيحية عليهم . وما يتم بواسطة كافة مؤسساتك هى جريمة بكل المقاييس وليس مجرد عدم تسامح ، و تدخل غير مقبول وعديم الأمانة ، يؤدى إلى عدم الإستقرار فى الدولة . والتدخل بمثل هذا الشكل فى البلدان ذات الأغلبية المسلمة لا علاقة له بالكرامة والمساواة كما تزعم ، وإنما يتعلق بأعلى مستويات الإجرام ، لأن كل الشعوب المسلمة الموجودة بالعالم الثالث ، كما تطلقون عليه ، وغيره ، متمسكون بشدة بإسلامهم وبإنتمائهم للإسلام ، ويعلمون يقينا أن ما تقدمونه لهم هى عقيدة محرّفة ، عبارة عن متناقضات متراكمة تم نسجها عبر المجامع. ولا أود إضافة : وراجع أيضا ، يا سيادة الكاردينال، أى كتاب عن تاريخ المسيحية ، على أن يكون كتابا أميناً .

الكاردينال بانياسكو : "ترى هل من أجل ذلك يرى البعض أنهم خطرون وغير مقبولين ، وغير متسامحين ويستحقون الموت أو الإضطهاد ؟ " .

الإجابة : أترك لك عناية فهم الرد بعد ما قرأته لتوك وبعد ما يتعيّن عليك أن تقرأه .

واسمح لى إضافة : أن تنهى خطبتك بأن توجّه " نداءً إلى المجتمع الدولى وإلى أوروبا تحديدا حتى تتدخل بصوت قوى و واضح لكى يتم الإلتزام بالحرية الدينية (تغيير الديانة) فى كل مكان وبلا إستثناء " ، يسمى زيادة النيران المستعلة إضطراما ، يسمى دعوة لحرب إبادة المسلمين ، وهى حرب قد بدأت فعلا بالتلفع بالسذاجة ، لكى لا أقول باللؤم ، خاصة وأنت تدعو أتباعك للصلاة من أجل الموتى ، ومن أجل أسرهم ، وأيضا "من أجل الذين إضطهدوهم" والمفترض من قولك أنهم المسلمون !

إن هذه الخطبة هى دعوة صريحة للإنتقام الذى فى غير مكانه ، أنها صيحة حرب كريهة ، منفرة ومقرفة ، خاصة حين تأتى من طرف شخصية دينية رفيعة المستوى ، تزعم أنها تدعو أتباعها إلى "دعوة الحب حتى تجاة الأعداء" ! لأنه حتى فى نفس هذه الدعوة الملتوية فإنك تضع المسلمين فى خانة "الأعداء" بالنسبة للمسيحيين . وهو ما يعنى أيضا أنك توحى إليهم بالخانة التى تصنف فيها المسلمين لتسهيل الإعتداء عليهم أو لجعل هذا الإعتداء يبدو أمراً طبيعيا .

وفى نهاية هذا الرد المقتضب ، إسمح لى أن اسألك : أين كنت ، أنت وكل الذين تحاول استثارتهم للحرب ، عندما تم تفحم ملايين المسلمين وحرقهم وذبحهم وشق بطونهم أحياء أو قتلهم وانتزاعهم من بيوتهم ومن أراضيهم للإستيلاء على ثرواتهم الطبيعية ؟ وأتحدث هنا عن ملايين . وأين أنت وأنتم جميعا من الهجمة التى يعد لها الصهاينة حاليا لإقتلاع الفلسطينيين من غزة التى تحتضر تحت حصار قاتل وقد عانت من حرب أكثر من إجرامية ، دارت بموافقة أو مباركة الأغلبية العظمى من المجتمع المسيحى ؟ إن الفلسطينيين يدافعون عن أرضهم المنهوبة بواسطتكم . أما المسيحيون الذين راحوا ضحية لمخطط قام به مسيحيين آخرون ، ينتمون لمؤسساتكم ، وتتخذونهم ذريعة لغزو البلدان الإسلامية ، فليسو سوى حفنة عددا بالنسبة للملايين . أهناك من ضرورة لإضافة المزيد من التعليقات حين يكون التفاوت بمثل هذا الإتساع الشاسع ؟!

إن تتالى الأسئلة المستفزة التى طرحتها فى هذه الخطبة التى تم نشرها على أوسع نطاق غير مسبوق ، وحشو أذهان الأتباع وشحنهم لخوض العدوان ، هى عار ، مجرد عار مخجل يا سيادة الكاردينال ، ولا تشرّف أحداً.

13 يناير 2011

Tunisie, Algérie...

Des peuples affamés… de démocratie ?

Akram Belkaïd

Courrier International, jeudi 13 janvier 2011

Faute d’une redistribution juste des richesses, les émeutes se multiplient en Algérie et en Tunisie. Une situation exacerbée par une jeunesse frustrée dans ses aspirations.

Des violences urbaines spectaculaires, des édifices publics dévastés, des commerces pillés, des affrontements entre forces de l’ordre et jeunes, des morts, des blessés et des destructions importantes… A bien des égards, les troubles qui secouent – et ensanglantent – la Tunisie et l’Algérie sont similaires et relèvent des mêmes causes. Ils témoignent surtout du ras-le-bol et du désespoir d’une partie de la population qui s’estime marginalisée et même délibérément sacrifiée. Le paradoxe, c’est que cette révolte survient dans une conjoncture où les pouvoirs algérien et tunisien n’ont cessé de se féliciter de la bonne tenue de leurs économies respectives. Il est ainsi saisissant de noter que les émeutes ont commencé en Algérie quelques jours après que le gouvernement eut annoncé un niveau record des réserves de change (155 milliards de dollars, soit une fois et demi le PIB national).

De façon plus générale, il y a un décalage manifeste entre les relativement bonnes performances macroéconomiques affichées par le Maghreb (les taux de croissance y frôlent les 4 % malgré la crise internationale) et une réalité sociale des plus inquiétantes. C’est ce que montre le dernier rapport sur le développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), où les pays d’Afrique du Nord sont très mal classés (sur 169 pays concernés, la Tunisie est 81e, l’Algérie 84e et le Maroc 114e). Cela signifie que la redistribution ne fonctionne pas et que les fractures sociales dans ces pays ne font que s’aggraver alors que ces sociétés sont très attachées aux principes de l’égalité et de la solidarité.

Les Etats refusent toute discussion

Ce que nous apprennent ces émeutes en Algérie et en Tunisie, c’est qu’il y existe un problème majeur avec la jeunesse : celui-ci n’est pas simplement d’ordre social ou socio-économique, il est aussi politique. Certes, en Algérie, les autorités tentent à tout prix de valider la thèse selon laquelle cet embrasement n’est que la conséquence de la hausse malencontreuse des prix de certains produits alimentaires de base tels que le sucre, l’huile ou la farine. De même, en Tunisie, le gouvernement cherche-t-il à incriminer l’incompétence de certains responsables locaux qui auraient abusé de leurs prérogatives. Notons que, dans les deux cas, on met également en cause, de manière plus ou moins explicite, la sempiternelle “main de l’étranger” et que les propagandes gouvernementales tentent de présenter les émeutiers comme des voyous manipulés. Ce genre de discours n’est guère surprenant et il ne convainc personne.

Une autre erreur dans l’analyse serait aussi de résumer ces manifestations à de simples émeutes de la faim. Dans ces deux pays où les oppositions sont muselées, persécutées et réduites au rôle de faire-valoir, la violence nihiliste est devenue le seul moyen d’expression et de contestation pour des millions de jeunes, mais aussi pour leurs aînés. Cela fait d’ailleurs des années que les deux pays, particulièrement l’Algérie, connaissent ce genre d’événements, mais c’est la première fois qu’ils atteignent une telle ampleur et que le monde entier en entend parler, notamment grâce à Internet et aux réseaux sociaux.

Face au chômage des jeunes, qu’ils soient diplômés ou non, face à la paupérisation des classes moyennes, dont le pouvoir d’achat est rogné par l’inflation et le gel des salaires, aucun discours politique approprié n’est proposé et encore moins autorisé. Comment s’étonner que la rue s’embrase ? Comment s’étonner aussi de cette sensation de vertige dès lors que l’on en vient à parler du futur ? Les Etats ou plus exactement les gouvernements – lesquels ne sont que le bras armé des pouvoirs en place – refusent la moindre discussion et réagissent avec violence à la moindre critique, fût-elle modérée. Le résultat de ce monopole est qu’aucune force politique n’est capable aujourd’hui d’encadrer ces protestations, qui virent le plus souvent à la jacquerie.

Empêcher leur jeunesse d’émigrer

Bien entendu, il est possible que ces émeutes relèvent de manipulations politiques internes. Dans le cas de l’Algérie et de la lutte de succession qui se prépare déjà pour l’après-Bouteflika [le président algérien est au pouvoir depuis 1999], l’hypothèse d’un bras de fer entre clans n’est pas à exclure. Pour autant, on sait que ces manœuvres de l’ombre atteignent rarement leurs objectifs.

En octobre 1988, la jeunesse algérienne avait ainsi été incitée par des officines du pouvoir à manifester afin d’affaiblir la frange conservatrice du Front de libération nationale (FLN). On s’en souvient, cette manipulation, qui avait fait plus d’un millier de morts, avait provoqué des réformes politiques, mais aussi la montée en puissance du mouvement islamiste et conduit, au final, à huit années de terreur et de chaos. Un tel scénario peut très bien se reproduire, y compris en Tunisie. Cela tient au fait que les mouvements religieux, même affaiblis par de longues années de répression, peuvent très vite s’organiser et reprendre l’initiative. A l’inverse, le camp démocratique est fragmenté, quand il n’est pas tout simplement le client du pouvoir.

Sur le plan régional, ces événements interpellent l’Union européenne (UE), dont les membres feignent de croire que le sud de la Méditerranée finira par trouver tout seul le chemin de la démocratie et de la prospérité économique. En réalité, le consensus implicite au sein de l’UE est de s’appuyer, faute de mieux, sur des gouvernements dictatoriaux qui se présentent comme l’ultime rempart face à l’islamisme et qui promettent de tout mettre en œuvre pour empêcher leur jeunesse d’émigrer en masse vers le nord. Les émeutes de Tunisie et d’Algérie – mais aussi demain du Maroc, car la situation dans ce pays n’est guère différente de celle de ses voisins – démontrent les limites d’un tel raisonnement. Il ne faut pas se leurrer. Il est possible que les mouvements de contestation s’essoufflent au cours des prochains jours, que cela soit à cause d’une violente répression ou de quelques réformes symboliques. Mais, tôt ou tard, la violence reviendra car on voit mal comment des systèmes autocratiques pourraient s’amender et contribuer au développement harmonieux de leurs pays.

Les enjeux sont pourtant énormes. Selon plusieurs projections, les pays du Maghreb devront créer près de 10 à 15 millions d’emplois d’ici à 2030. A voir la manière dont évoluent les choses, on se demande bien comment ils vont y arriver. Cela signifie que le chômage des jeunes va s’aggraver, de même que l’émigration clandestine, sans oublier la tentation radicale, par réaction à l’enrichissement sans cesse croissant d’une partie infime de la population. C’est une situation que l’Europe ne peut ignorer car sa frontière sud est en train de brûler. Il ne s’agit pas pour elle de donner de l’argent – lequel est largement disponible, comme le montre l’exemple algérien –, mais d’amener ses partenaires du sud de la Méditerranée à s’engager pleinement sur le chemin de la démocratie, à l’image de ce qui a été fait avec la Turquie. Car seule la démocratie est susceptible de créer les conditions pour permettre un véritable décollage économique de la région.

Chronique du blédard : Le silence assourdissant de la France et de l'Europe

Le Quotidien d'Oran, jeudi 13 janvier 2011

Akram Belkaïd, Paris

Le Maghreb, sa population, n'ont rien à attendre de l'Europe en général et de la France en particulier. Ou pour être plus exact ils n'ont rien à attendre de la Commission européenne, des gouvernements européens et des classes politiques européennes, surtout la française. C'est l'une des réflexions que je ne cesse de ressasser depuis que l'Algérie et, plus encore, la Tunisie ont été entraînées dans une spirale de violences dont il faut craindre qu'elles ne se répètent (pour l'Algérie) ou qu'elles ne s'aggravent encore (pour la Tunisie). J'ai été interrogé par un confrère du Golfe qui m'a demandé s'il fallait accorder de l'importance à la thèse de la «main de l'étranger» telle que la défendent les dirigeants des deux pays. J'ai commencé par répondre que c'était bien commode comme explication et que cela en devenait lassant. A chaque épreuve, à chaque révolte, à chaque crise politique, c'est cette fameuse main, aussi invisible que celle évoquée par Adam Smith pour ce qui concerne l'économie, qui est incriminée. Un gamin qui manifeste ou qui accompagne un cortège funéraire avant qu'on ne lui loge une balle dans le corps n'est donc pas simplement un «voyou» ou un « terroriste », ce serait aussi un agent d'une puissance hostile.

J'ai donc conseillé à ce confrère de suivre de près la manière dont réagissent actuellement les capitales européennes et de peser cela à l'aune des récriminations des pouvoirs maghrébins – mais aussi sub-sahariens quand il s'agit d'autres crises – pour qui toute critique et mise en cause ne peuvent que relever de l'intelligence avec l'étranger. Bien entendu, est-il utile de le préciser, cet étranger comploteur est de préférence l'ancienne puissance coloniale.

Qu'entendons-nous de la part de la classe politique française pour ne prendre que cet exemple ? Un silence assourdissant, parfois troublé par quelques déclarations qui nous expliquent que tout ne va pas si mal au Maghreb, que les trois pays ne sont pas des dictatures, que des progrès importants ont été réalisés, que la France n'a pas de leçon à donner (elle qui passe son temps à le faire quand il s'agit d'autres pays dits voyous tels l'Iran ou la Syrie) et qu'il faut donner du temps au temps. Imaginez une voix, un peu cassante, un peu impatiente, certainement pas gênée : «des morts ? Oui, d'accord, mais cela finira bien par changer…» Désinvolture, mépris aussi.

On pourra me demander mais que peut l'Europe ? Que peut la France ? Et j'imagine que les défenseurs de la souveraineté nationale, et les défenseuses aussi - car il y en a et, paraît-il, très bien récompensées – s'apprêtent à bondir. Je les entends déjà m'accuser de trahison pour avoir appelé, ou tout simplement évoqué, une quelconque interférence étrangère dans les affaires des Algériens mais aussi des Tunisiens, sans oublier les Marocains - lesquels sont embarqués dans la même galère même si cela ne bouge guère chez eux, en ce moment (cela viendra, croyez-moi).

Disons donc que la France et l'Europe sont dans la même position que celui qui entend son voisin cogner, femmes et enfants, jusqu'au sang, voire jusqu'à les tuer. Ils peuvent effectivement se boucher les oreilles ou monter le son de la télévision. Ils peuvent regarder ailleurs et uriner sur ces valeurs dont ils se gargarisent si souvent, en se posant comme exemple à suivre par le monde entier. Ensuite, quand ils croiseront le coupable dans les escaliers, ils discuteront avec lui comme si de rien n'était et la vie suivra son cours, du moins pour celles et ceux qui ne l'auront pas perdue.

En réalité, la France et l'Europe sont dans une position bien plus forte qu'on ne le croit. N'existe-t-il pas un certain accord d'association signé, de façon séparée, par l'Union européenne et les trois pays du Maghreb ? Cet accord qui fait la part belle au libre-échange et à la baisse des tarifs douaniers, n'est-il pas accompagné d'un volet qui porte sur la question des droits de la personne humaine ? De même, ce fameux «partenariat privilégié» que l'Europe agite comme une carotte aux yeux des pays du sud et de l'est de la Méditerranée, n'est-il pas aussi porteur, du moins sur le papier, d'exigences à propos du respect des libertés individuelles et du pluralisme politique ?

Mais il est vrai que les Européens sont tétanisés. Les régimes maghrébins, nous expliquent-ils, sont malgré tout le rempart contre tous les «ismes» : l'intégrisme, le radicalisme, le terrorisme, l'islamisme et même, que l'on me permette ce néologisme, le «harraguisme». C'est d'ailleurs ce que clament nos dirigeants. Etrange mais très habituelle situation où celui qui crée le problème se targue d'être le seul à le résoudre. Le fait est que les pouvoirs maghrébins font chanter l'Europe avec cette menace de l'islamisme. Ils savent que c'est un sujet dont la seule évocation fera taire les scrupules et disparaître les bons conseils à propos de l'importance d'un Etat de droit et du respect des libertés.

Ce n'est pas tout. Si la France politique – Verts exceptés – est si silencieuse, c'est aussi parce qu'elle est tenue. Voilà le grand tabou qui devient tellement évident quand le Maghreb s'embrase. Nous le savons tous. C'est même de bonne guerre. Parmi ceux qui clament, contre toute évidence, que la démocratie fait son chemin au Maghreb, combien sont vraiment sincères ? Et combien ont peur que soient révélées leurs compromissions ? Que cessent leurs vacances au soleil, tous frais payés, dans des palaces de luxe ou des palais ? Combien sont «couscoussés» ou «tajinés» ? Combien ont peur que ne soient révélés leurs rapports bidons, dûment rémunérés ? Combien ont peur que ne soient dévoilés leurs petits péchés mignons ou, plus grave encore, leurs turpitudes et leurs actes immoraux – dont ils n'ignorent pas qu'ils ont certainement été enregistrés et filmés par ceux qui sauront les ramener dans le droit chemin, s'ils osent la moindre critique ? Quand les Maghrébins auront repris leur destin en main, et cela finira par arriver car rien n'est immuable, il faudra se souvenir de ces lâchetés intéressées.

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