De Cécile FEUILLATRE (AFP) – Il y a 2 heures
TUNIS — La décision du chef du gouvernement tunisien Hamadi Jebali
d'extrader dimanche vers la Libye l'ex-Premier ministre libyen Mahmoudi,
a déclenché une crise sans précédent avec le président de la Répu blique Moncef Marzouki, furieux de ne pas avoir été consulté.
L'extradition dimanche à l'aube de M. Mahmoudi, sur ordre du chef du
gouvernement, a sonné comme un véritable camouflet pour le président
Marzouki, qui s'est bâti en des décennies d'opposition à Ben Ali une
image de farouche défenseur des droits de l'homme.
Le président
tunisien avait fait savoir publiquement début juin son "opposition de
principe" à toute extradition avant les prochaines élections en Libye.
Il se trouvait dans le sud du pays pour des commémorations avec l'armée
lorsque M. Mahmoudi a été extradé. Il n'a pas signé le décret
d'extradition. Et il a appris la nouvelle par la presse, de l'aveu même
de son conseiller.
La violence de la réaction a été à la
hauteur de l'humiliation: la présidence a publié dimanche soir un
communiqué extrêmement virulent, dénonçant une extradition "illégale"
qui "ternit l'image de la Tunisie dans le monde", et rendant M. Jebali
"responsable" de tout ce qui pourrait arriver à l'ex-Premier ministre
libyen.
La présidence de la République tunisienne a été
informée de l'extradition, a rétorqué lundi le porte-parole du
gouvernement Samir Dilou, se gardant toutefois de préciser si c'était
avant ou après l'extradition.
C'est la première fois depuis
leur installation en décembre dernier que la présidence et le
gouvernement affichent aussi crûment leurs divergences. L'affaire
illustre la fragilité de l'attelage au sommet de l'Etat et la
prééminence du parti islamiste Ennahda sur ses deux alliés de
circonstance: le parti de gauche nationaliste CPR (Congrès pour la
république), dont est issu M. Marzouki, et le parti de gauche Ettakatol,
dont le leader Mustapha Ben Jaafar préside l'Assemblée.
Elle
illustre aussi la faiblesse des prérogatives du président de la
République, cruellement surnommé "tartour" (en arabe: personnage
insignifiant, de décor) sur les réseaux sociaux tunisiens.
"L'extradition de M. Mahmoudi concerne la politique étrangère de la
Tunisie et ce domaine fait partie des prérogatives de la présidence", a
souligné le palais de Carthage dans son communiqué dimanche soir.
Mais M. Jebali avait déjà affirmé début juin que l'extradition était
une décision de justice qui pouvait se passer de la signature du
président de la République.
"N'envenimons pas la situation
Lundi, les bureaux politiques des trois alliés de la "troïka" au
pouvoir devaient se réunir pour examiner l'affaire, que la présidence a
annoncé vouloir porter devant l'Assemblée constituante.
Mais
déjà le ton était à l'apaisement, notamment au sein du parti de M.
Marzouki. "Il y a un malentendu qu'il ne faut pas exagérer", a déclaré à
l'AFP un élu du CPR, Abdelwahab Maattar. "A-t-on vraiment intérêt dans
la situation actuelle du pays de déclencher une crise ? Le président a
raison d'être en colère, mais il faut encaisser cette fois-ci et
préserver la troïka", a-t-il ajouté.
"N'envenimons pas la
situation", a pour sa part déclaré à l'AFP le porte-parole d'Ennahda,
Nejib Gharbi, qui a toutefois lâché: "je ne pense pas que la troïka soit
menacée. C'est une alliance stratégique".
Pour le politologue
Ahmed Manaï, l'affaire laissera des traces mais ne devrait pas faire
exploser l'alliance au sommet de l'Etat. "C'est principalement Moncef
Marzouki et son image dans le pays qui en pâtiront. Il sait qu'il doit
tout à Ennahda, que son avenir politique en dépend et qu'il ne peut se
la mettre à dos", a-t-il estimé.
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