Blida fut le
théâtre du premier massacre de civils, commis par l’armée française, à peine
plus de quatre mois après la prise d’Alger.
C’était un triste 26 novembre 1830.
Alger en Novembre 1830 En ce mois de novembre 1830, les environs d’Alger
baignent dans l’anarchie. Arrivé le premier septembre, le général Clauzel,
trouve 36 mille hommes retranchés dans la ville assiégées par les tribus de la
Mitidja de plus en plus menaçantes(1). Le bey du Titeri, Mostapha Boumezrag qui
avait fait allégeance dans une grande cérémonie à Alger, le 15 juillet, s’est
retourné contre ses nouveaux alliés, et ses hommes menés par son fils, menacent
les avant-postes et interceptent les convois de ravitaillement de la ville.
Très rapidement, le nouveau commandant en chef s’attèle à réorganiser l’armée
et l’administration(2). Militairement, il commence par « sécuriser » les
faubourgs d’Alger en organisant des patrouilles régulières. Le 15 novembre, il
décide la destitution de Boumezrag et son remplacement par Mustapha Ben El Hadj
Omar, et commence les préparatifs pour marcher sur Médéa. Le but de cette
campagne militaire était double : d’une part, regonfler le moral des troupes et
laver l’affront de la désastreuse première expédition de Blida, menée par de
Bourmont(3) ; d’autre part, le général en chef, « coloniste »(4) convaincu,
voulait couper court aux espoirs des notables algérois nés de la révolution de
juillet(5), en donnant un nouveau souffle à la conquête. « Cette boucherie dura
si longtemps… » Le 17 novembre, Clauzel sort donc à la tête de 10 000 hommes
dans une expédition punitive contre Boumezrag. Ralentie par un orage, l’armée
coloniale bivouaque à Boufarik et le 18, en fin de matinée, elle est aux portes
de Blida. Harcelée par les hommes de Ben Zaamoum, le chef de la très puissante
tribu kabyle des Flissa, Clauzel donne l’ordre de détruire et d’incendier la
campagne, alors qu’en ville, tous les hommes pris les armes à la main sont
exécutés. « En ville on fusillait, presque sous les yeux du général en chef,
tout ce qui était pris les armes à la main. Cette boucherie, présidée par le
grand prévôt, dura si longtemps qu’à la fin, les soldats ne s’y prêtaient plus
qu’avec une répugnance visible », raconte Eugène Pélissier de Reynaud(6). Après
ces exactions, Clauzel envoya un émissaire demander aux hommes, femmes et
enfants qui se sont réfugiés dans les gorges de l’Atlas, de revenir à leurs
demeures. La plupart acceptèrent pour leur plus grand malheur. Le 21 novembre,
l’armée reprend sa marche vers Médéa, en laissant une garnison de 600 hommes à
Blida. Le 26 novembre, les hommes de Ben Zaamoum attaquent la garnison de Blida
et lui imposent un combat de rue acharné. Retranchés sous la voute de la porte
d’Alger (Bab Edzaïr), les soldats français se retirent dans le désordre. Ces
militaires ne doivent leur salut qu’à un malentendu. Croyant au retour de
l’armée de Médéa, les hommes de Ben Zaamoum se dispersent(7). Après le départ
des Flissa, le colonel Rullière, frustré par l’attaque, ordonne la mise à sac
de la ville. Le 27 novembre, de retour de Médéa où il a procédé à
l’installation de Ben Omar après la reddition du bey du Titteri, Clauzel trouve
la ville de Blida entièrement saccagée. « Blida, écrit Pélissier de Reynaud,
était encombrée de cadavres, dont des vieillards, des femmes, des enfants
autochtones et des Juifs, des gens tout à fait inoffensifs. Très peu
paraissaient avoir appartenu à des gens qui eussent eu la volonté ou le pouvoir
de se défendre. Après un si grand carnage, on ne trouva point d’armes sur les vaincus
»(8). Hamdane Khodja parle d’un massacre épouvantable où rien ne fut épargné, «
on cite des enfants à la mamelle coupée en deux, raconte-il, le pillage a été
exercé partout ; on n’a même pas épargné les algérois qui s’étaient retirés
dans cette ville pour fuir l’oppression du gouvernement français »(9). Après
cet épisode, l’armée française se retire de la ville, non sans emporter des
dizaines de manuscrits anciens volés de la grande mosquée de Blida. Ces
manuscrits seront vendus aux enchères le 28 mai 1968 à l’hôtel Drouot. (10)
Devoir de mémoire Le 26 novembre 1830 n’est qu’un épisode parmi tant d’autres
que l’école a oublié de nous apprendre et qui a sombré dans notre amnésie
collective. En 2012, l’Algérie célébrait le cinquantenaire de son indépendance.
Les travaux qui nous ont été présentés, à cette occasion, se sont pour la
plupart focalisés sur la Guerre d’Indépendance, omettant ainsi le fait que
cette grande révolution était l’aboutissement de plus d’un siècle de lutte
contre un système colonial abject et dont les séquelles sont encore visibles
dans notre société. Or, à notre avis, il est primordial que les nouvelles
générations connaissent leur histoire dans sa continuité ; l’histoire d’un
peuple qui n’a jamais cessé de résister pendant 132 ans ; l’histoire de
générations d’Algériens qui sont nés et sont morts sous la colonisation
française, et pour qui l’Algérie indépendante était un rêve quasi impossible.
Nazim Souissi et Zineb Merzouk Extrait du commentaire du film documentaire
Merci pour la civilisation ! Récit des premières années de la colonisation
(1830-1834) (Coécrit par Nazim Souissi et Zineb Merzouk. Réalisé par Nazim
Souissi) (1) Le 23 juillet, les tribus de l’algérois se réunissent à Tamenfoust
et décident de s’unir pour faire la guerre à l’occupant. (2) Presque tous les
jours, la nouvelle autorité affichait à la population des arrêtés dont quelques
uns vont bouleverser leur vie et pour longtemps : rattachement des biens waqf
au Domaine, destruction des bazars de la basse Casbah… (3) Le 23 juillet 1830,
une formation militaire, sous le commandement de De Bourmont, sort en
reconnaissance dans la Mitidja. Cette expédition finira par la débandade des
soldats français, suite aux attaques répétées des tribus de la région. (4)
Coloniste selon la terminologie de l’époque (5) La révolution de juillet a eu
un large écho partout en Europe, appuyant avec force l’émancipation des peuples
notamment en Grèce et en Belgique. (6) Eugène Pélissier de Reynaud, Les Annales
Algériennes, Tome I (édition de 1836), page 156. (7) Dans la confusion, le
muezzin de la mosquée principale les induit en erreur en signalant le retour de
l’armée de Médéa. (8) Eugène Pélissier de Reynaud, Les Annales Algériennes,
Tome I (édition de 1836), page 166 (9) Hamdane Khodja, Le Miroir, page 211
(édition Sindbad) (10)Cité par Michel Habart, préface de La vie d’Abdelkader,
de Charles-Henry Churchill (édition ANEP), page 10.
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