La chronique du blédard : L'Algérie attend la transition
Le Quotidien d'Oran, jeudi 3 février 2011
Akram Belkaïd,Paris
Le monde arabe connaît enfin son moment berlinois. Il en faudra d'autres pour qu'il arrache tous ses droits mais, pour reprendre une expression en vogue, c'est d'ores et déjà le mur de la peur qui vient de s'effondrer. Certes, on dira que rien n'est joué, que la révolution tunisienne est fragile, que l'Egypte peut basculer dans le chaos : qu'importe ! Voici venu le temps tant attendu de la liberté. Comment croire que l'Algérie peut rester imperméable à cette gigantesque espérance ? Qui peut penser que le départ de Ben Ali, demain celui de Moubarak, n'aura pas de conséquences sur l'avenir de notre pays ? Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que le monde arabe entre dans une nouvelle phase, celle de la fin de la période post-coloniale. Un tournant où les régimes ne pourront plus tenir leurs populations d'une main de fer. Il n'y a pas de hasard. Ce qui vient de se passer en Tunisie et ce qui se passe actuellement en Egypte sont liés tout comme ce qui se passe au Yémen ou ce qui se passera ailleurs, de Rabat à Mascate.
Posons donc une question fondamentale. Que veut-on pour l'Algérie ? Veut-on 500.000 morts et plusieurs dizaines de milliards de dollars de destruction ? Veut-on, qu'après une période de latence, la violence reprenne ses droits et avec elle l'anarchie, le désespoir de la population et une nouvelle vague d'exils qui achèvera de vider le pays de ses compétences ? On pourra être surpris par le caractère apocalyptique des interrogations qui précèdent mais qui peut réfuter que l'Algérie s'est toujours engagée dans le plus mauvais des chemins à chaque moment délicat de son histoire ?
Il y a bien sûr la révolution totale, celle où le peuple engage l'épreuve de force avec le système. C'est peut-être l'option la plus attendue, la plus brutale et la plus romantique. C'est certain, elle comblera celles et ceux qui n'en peuvent plus de vivre dans la hogra et la misère. C'est la voie où la colère de la rue ne se calme que si elle obtient justice et que si les représentants du régime sont emprisonnés et jugés. C'est une voie où la violence est reine et où une extrême jubilation accompagne la chute du système honni. Mais c'est une voie où le vide du lendemain ouvre le champ à toutes les dérives. Faire table rase du passé est jouissif mais ce n'est pas ainsi que l'on construit une Nation. Les Algériens ne peuvent pas avoir la mémoire courte et doivent se rappeler que la violence s'accompagne de toutes les manipulations possibles et qu'elle prépare toujours la victoire de la réaction. On le sait, chaque fois que le peuple algérien a eu recours à elle pour se libérer de ses chaînes, elle s'est retournée contre lui. J'écris que le peuple a eu recours à la violence. Peut-être devrais-je être plus précis et dire qu'à chaque fois que le peuple a été forcé – parfois à son insu – de recourir à elle, cette dernière s'est finalement dirigée contre lui.
Nous savons tous que la crise politique actuelle – car il y a bien crise n'en déplaise aux adeptes de la méthode Coué – s'aggravera si elle se traduit par de nouvelles violences. Pour autant, on a l'impression que c'est vers cela que l'Algérie se dirige, un peu à l'image de ces westerns où l'on devine, dès le début, que le duel sanglant est inéluctable. Toute la question est donc de savoir si nos dirigeants sont prêts à accepter l'idée d'un changement de système et à préparer, de manière préventive – et intelligente - leur sortie. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Ne louvoyons pas : c'est d'un changement de régime qu'il est question et de l'émergence d'une nouvelle république algérienne, respectueuse des droits des personnes humaines et des règles d'alternance politique. C'est d'un pays où la liberté d'expression serait garantie dans tous les médias, à commencer par la télévision, dont il faut rêver à l'heure où, en Tunisie et demain en Egypte, on déboulonne statues et idoles.
Lignes quotidiennes : Ce soir, je suis Egyptien
Cela implique que nos dirigeants, nos chers décideurs, tous les maîtres de cette pyramide à plusieurs têtes qu'est le pouvoir algérien, comprennent que le statu quo est intenable. Il faut qu'ils acceptent qu'il est temps pour eux de passer la main. Ils peuvent s'entêter mais, pour eux, ce serait courir à leur propre perte (et à celle du pays). A l'inverse, ils peuvent aussi organiser ce passage de relais de la manière la plus pacifique qui soit. Ainsi, l'Algérie et les Algériens, longtemps connus dans le monde pour leur propension à régler les différends de manière violente, entreraient dans l'histoire. En effet, que peut-on souhaiter de mieux qu'une transition pacifique et ordonnée ? Une transition facilitée par ceux qui auront compris qu'il est de leur propre intérêt – ne parlons même pas de celui du pays - de quitter au plus vite la scène…
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Quelques jours après les émeutes d'octobre 1988, et alors que se multipliaient les rafles et les actes de torture contre la jeunesse – actes immondes dont les auteurs n'ont jamais été punis – un haut responsable de l'époque avait tenu ces propos en ma présence : « la prochaine fois, ce sera cent mille morts ». Abasourdi, je lui avais demandé pourquoi il faisait preuve d'un tel pessimisme. « Le régime ne comprend pas qu'il lui faut changer en profondeur » avait-il répondu. C'est un fait, le système n'a pas changé après Octobre et il est inutile de revenir sur ce qui a suivi. Le bilan des années 1990 est terrible, la population algérienne est fatiguée mais, encore une fois, rien n'a changé si ce n'est le fait que les caisses du pays sont pleines. Un magot qui, pourtant, ne sert ni à réduire le chômage ni à diversifier l'économie ni même à rendre les Algériens heureux.
Il y a un an, après le fameux match de football entre l'Algérie et l'Egypte à Khartoum, j'avais écris ces lignes à propos de l'incroyable mobilisation des supporters algériens : « il est urgent que nos dirigeants se rendent compte que la jeunesse algérienne n'en peut plus d'attendre des jours meilleurs ». Aujourd'hui, il ne s'agit plus uniquement de la jeunesse mais de tous les Algériens. Quoiqu'en disent nos décideurs et autres responsables. La contagion est là. L'attente aussi. Demain, dans quelques semaines ou dans quelques mois, les Algériens vont eux aussi tenter de prendre leur destin en main. C'est une évolution inéluctable qu'il serait dangereux, et criminel, d'ignorer et, plus encore, de nier. Du coup, toute la question est de savoir quel type de révolution il faut souhaiter pour le pays car plusieurs scénarios sont possibles mais tous ne sont pas souhaitables.
Je dois écrire un article mais je n’y arrive pas car, ce soir, je suis Egyptien.
J’ai envie de scruter la Tunisie mais mon cœur va désormais plus à l’est car, ce soir, je suis Egyptien.
Mes oreilles se tendent vers Alger mais ne captent que silence et indifférence. Alors, ce soir, pour moi et pour les autres, je décide d’être Egyptien.
Je pourrais marcher poing levé dans les rues froides et désertes de Paris mais, ce soir, je vole de la place al-Tahrir à la place Saad Zaghlour et, du Caire à Alexandrie, je crie « Tyran dégage ! »
Et quand, au Caire, le mur de la peur sera définitivement tombé, alors, peut-être, que la colère de la Place du 1er mai me fera vite redevenir Algérien.
Et ce sera le tour des Tunisiens et des Egyptiens de dire, ce soir, nous sommes Algériens.
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