Un article de Robert Fisk
"L’armée rebelle ? C’est une bande d’étrangers..."
Robert Fisk est un vrai journaliste
indépendant. Il sait se garder à distance de l’appareil
politico-médiatique et des parties en conflit et ne pas confondre les
victimes avec les bourreaux. Ce qu’il décrit ici contredit ce que la
"grande" presse raconte depuis un mois sur la "bataille d’Alep". On
comprend que les journalistes toxiques de Libération, Le Monde, France
24, etc, - qui présentent les "rebelles" de l’ASL en libérateurs, en
révolutionnaires, en démocrates - mentent et manipulent les faits.
25 août 2012
Ainsi, contrairement
aux pseudos reporters, "embarqués" dans les véhicules de l’ASL qui
présentent les "rebelles" - et autres mercenaires qui croient se battre
en Palestine et non pas en Syrie - comme des "libérateurs", des
"révolutionnaires démocrates", Fisk, tout en étant distant par rapport
au gouvernement syrien, a lui l’honnêteté de dire qui ils sont : de
dangereux bandits. (Silvia Cattori)
Une armée victorieuse ? Il y avait des
douilles partout dans les ruelles de pierres anciennes, des fenêtres
criblées de balles et des marques de projectiles sur tout le côté de la
mosquée Sharaf, où un homme armé tirait depuis le minaret. Un tireur
d’élite continuait à tirer à seulement 150 mètres de là – c’est tout ce
qui reste des quelques cent rebelles qui avaient presque, mais pas tout à
fait, encerclé la citadelle d’Alep, vieille de 4000 ans.
« Vous ne le croirez pas », criait tout excité le major Somar. « Un
de nos prisonniers l’a dit : Je ne m’étais pas rendu compte que la
Palestine était si belle que ça ! Il pensait qu’il était venu ici en
Palestine pour combattre les Israéliens ! »
Si j’y crois ? Certainement, les
combattants qui se sont engagés dans les rues adorables à l’ouest de la
citadelle étaient, selon toutes les informations, un groupe hétéroclite.
Leurs graffitis « Nous sommes les Brigades de 1980 »
- l’année au cours de laquelle une première révolte des Frères
Musulmans avait menacé le pouvoir du père du président Syrien Bachar
al-Assad, Hafez – étaient encore affichés sur les murs des hôtes
syro-arméniens et des boutiques. Un général de 51 ans m’a tendu une des
grenades artisanales qui jonchaient le sol de la mosquée Sharaf : une
mèche souple qui sort du haut d’un morceau de shrapnel, enveloppé dans
du plastique blanc et couvert par un ruban adhésif noir.
A l’intérieur de la mosquée, des balles,
des boîtes de fromage vides, des mégots de cigarettes et des piles de
tapis de prière que les rebelles avaient utilisés comme couchage. La
bataille a duré au moins 24 heures. Un projectile a fissuré la pierre
tombale de style bosniaque de la tombe d’un imam musulman, un turban en
pierre finement sculpté sur le dessus. Les archives de la mosquée – des
listes de fidèles, des Corans et des documents financiers – étaient
répandus par terre dans une pièce qui avait été à l’évidence le dernier
bastion occupé par plusieurs hommes. Il y avait un peu de sang. Entre 10
et 15 des défenseurs – tous Syriens – se sont rendus après avoir
accepté une offre de clémence s’ils déposaient les armes. La nature de
cette miséricorde ne nous a bien sûr pas été précisée.
Les soldats syriens étaient contents,
mais il reconnaissaient partager une immense tristesse pour l’histoire
d’une ville dont le cœur même, un site du patrimoine mondial, a été
ravagé par des roquettes et des obus. Les officiers hochaient la tête
quand ils nous ont conduits dans les remparts de l’immense citadelle. « Il y a une vingtaine de jours, les terroristes ont tenté de la prendre à nos soldats qui la défendaient », déclare le Major Somar. « Ils
avaient rempli d’explosifs les bonbonnes de gaz – 300 kilos - et les
avaient fait exploser au niveau de la première porte au-dessus du
fossé. »
Hélas, c’est vrai. L’énorme porte
médiévale en bois et en fer, ornée de ses gonds et de ses étais - un
ouvrage qui était resté intact pendant 700 ans – a été littéralement
anéanti. J’ai grimpé sur le bois carbonisé et des blocs de pierre
marqués de fines inscriptions coraniques. Des centaines de marques de
projectiles mouchetaient les pierres de la porte intérieure. Plus bas,
j’ai trouvé un char T-72 dont la tourelle avait été touchée par la balle
d’un tireur d’élite qui était toujours logée dans le métal, le blindage
brisé par une grenade. « J’étais à l’intérieur à ce moment là, » explique son pilote. « Bang - ! Mais mon tank fonctionnait encore ! »
Voici donc la version officielle de la
bataille pour la partie orientale de la vieille ville d’Alep et des
affrontements qui ont duré jusqu’à hier après-midi dans les ruelles
étroites aux murs de pierre blanchis, et où chaque tir rebelle était
suivi d’une longue rafale de mitrailleuse des soldats du Major Somar.
Quand l’armée a pu prendre en tenaille les hommes armés, 30 rebelles –
ou membres de « l’Armée syrienne libre » ou « combattants étrangers »
– ont été tués et un nombre indéterminé blessés. Selon le supérieur du
major Somar, un général nommé Saber, les forces gouvernementales
syriennes n’ont eu que huit blessés. J’ai pu rencontrer trois d’entre
eux, dont l’un est un officier de 51 ans, qui a refusé d’être envoyé à
l’hôpital.
Une bonne partie de l’armement des
rebelles a été évacué par les hommes des renseignements militaires avant
notre arrivée : il est dit qui y figuraient trois fusils de précision
au standard OTAN, un mortier, huit pistolets mitrailleurs autrichiens et
une quantité de Kalashnikovs qui on pu être volées à l’armée
gouvernementale par des déserteurs. Mais c’est le choc de découvrir de
telles batailles rangées dans ce site du patrimoine mondial ; ce qui est
bien plus terrible que les armes utilisées par l’un ou l’autre camp.
Marcher sur de la pierre et du verre brisé avec les soldats syriens
kilomètre après kilomètre, dans la vieille ville avec ses mosquées et
ses musées – le magnifique minaret de la mosquée omeyyade se dresse au
milieu du champ de bataille de la veille – est une source de tristesse
infinie.
Beaucoup des soldats qui avaient été
encouragés à parler avec moi, même quand ils étaient agenouillés au bout
de rues étroites avec des balles qui ricochaient contre les murs, ont
fait part de leur étonnement de voir qu’il ait fallu autant de « combattants étrangers » à Alep. « Alep a cinq millions d’habitants, » m’a dit l’un d’entre eux. « Si
l’ennemi est si certain de gagner la bataille, il n’y a sûrement pas
besoin d’amener ces étrangers pour qu’ils y participent ; ils perdront. »
Le major Somar, qui parle un excellent anglais, n’a que trop bien compris compris la dimension politique. « Notre frontière avec la Turquie est un gros problème, » reconnaît-il. « Il
faudrait fermer la frontière. La fermeture de la frontière doit être
coordonnée par les deux gouvernements. Mais le gouvernement turc est du
côté de l’ennemi. Erdogan est contre la Syrie ». Je l’ai bien sûr
questionné sur sa religion, une question à la fois innocente et
empoisonnée. Somar, dont le père est général et la mère enseignante, et
qui entretient son anglais avec les romans de Dan Brown, a esquivé en
souplesse la réponse. « Ce n’est pas où vous êtes né ou quelle est votre religion, » dit-il. « C’est
ce qu’il y a dans votre esprit. L’islam vient de cette terre, les
Chrétiens viennent de cette terre, les Juifs viennent de cette terre.
C’est pourquoi il est de notre devoir de protéger cette terre. »
Plusieurs soldats croyaient que les rebelles essayent de convertir les Chrétiens d’Alep, « des gens paisibles, »
précisaient-ils à leur sujet. Il y aune histoire qui a tourné en boucle
la veille au sujet d’un commerçant Chrétien qui avait été forcé de
porter un habit musulman et d’annoncer lui-même sa conversion devant une
caméra vidéo.
Dans les villes, en temps de guerre, on
trouve des soldats loquaces. Un des hommes qui ont repris la porte de la
citadelle est Abul Fidar, connu pour avoir marché entre Alep, Palmyre
et Damas pendant 10 jours pour faire entendre la nécessité de la paix,
inutile de dire que le président l’avait accueilli chaleureusement à son
arrivée à Damas. Et puis il y avait le sergent Mahmoud Daoud,
originaire de Hama, qui a combattu à Hama même, à Homs, à Jbel Zawi et à
Idlib. « Je veux être interviewé par un journaliste, » avait-il annoncé et bien sûr il a eu ce qu’il voulait. « Nous sommes tristes pour les civils d’ici, » dit-il. « Ils
étaient en paix auparavant. Nous donnons notre parole de soldats que
nous veillerons à ce qu’ils retournent à une vie normale, même si nous
devons perdre la vie. » Il ne mentionne pas tous les civils tués par les bombes de l’armée ou par les « shabiha »,
ni ces milliers de personnes torturées dans ce pays. Dawood a une
fiancée appelée Hannan qui étudie le français à Lattaquié, son père est
enseignant : il dit qu’il veut « servir sa patrie ».
Mais on ne peut s’empêcher de penser que
l’objectif premier d’hommes comme le sergent Daoud – et de tous ses
compagnons d’armes ici – n’était certainement pas de libérer Alep mais
de libérer le plateau du Golan occupé, juste à côté de la terre que les « djihadistes » pensaient apparemment être en train de « libérer » la veille – jusqu’à ce qu’ils découvrent qu’Alep n’était pas Jérusalem.
Robert Fisk
The Independent (UK), 23 août 2012.
The Independent (UK), 23 août 2012.
Traduit de l’anglais par Djazaïri (23.08.2012) :
http://mounadil.wordpress.com/2012/08/23/non-alep-nest-pas-jerusalem/
http://mounadil.wordpress.com/2012/08/23/non-alep-nest-pas-jerusalem/
Texte original en anglais (23.08.2012) :
http://www.independent.co.uk/opinion/commentators/fisk/robert-fisk-rebel-army-theyre-a-gang-of-foreigners-8073717.html
http://www.independent.co.uk/opinion/commentators/fisk/robert-fisk-rebel-army-theyre-a-gang-of-foreigners-8073717.html
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