Syrie : absence de diplomatie et destruction
Les puissances extérieures, Russie et Etats Unis en
particulier, doivent envisager de relancer des discussions si on veut
éviter la ruine du pays.
2 août 2012
Editorial, The Guardian (UK) 27 juillet 2012
Traduit de l’anglais par Djazaïri
Traduit de l’anglais par Djazaïri
La décision du président Obama d’appeler
l’an dernier à la chute du régime d’Assad, appel qui sera repris par la
Grande Bretagne et d’autres alliés, a été, on peut l’affirmer, une
erreur. Les raisons d’Obama étaient compréhensibles.
Premièrement, le régime se comportait de manière effroyable.
Deuxièmement, les Etats Unis ne
voulaient pas rester à la traîne dans une autre phase du Printemps
arabe, étant donné en particulier que le régime de Damas était, à la
différence de celui de Moubarak en Egypte, un de ceux qu’il a toujours
détesté et qui est lié aux ennemis des Etats Unis dans la région que
sont le Hezbollah et l’Iran.
Troisièmement, Israël était favorable à
tout ce qui pouvait affaiblir la Syrie et nuire à l’Iran, un sentiment
partagé par l’Arabi saoudite et d’autres pays du Golfe.
Quatrièmement, Obama, et ses
conseillers, avaient sans doute la conviction que Assad s’en serait allé
bien avant le moment où il aurait pu faire partie d’une quelconque
solution. C’était pourtant une chose de croire que Assad, sa famille et
ses associés seraient à un moment donné contraints de s’en aller, et
autre chose de le dire publiquement sur un ton irrévocable.
Le résultat malheureux a été de couper
court à toute possibilité de négociations entre les protagonistes et de
claquer la porte à une coopération étroite entre les Etats Unis et la
Russie, les deux pays qui pourraient en théorie, s’ils agissaient
ensemble, faire la différence pour un résultat en Syrie. On peut bien
entendu soutenir que le régime syrien a rejeté toute suggestion laissant
entendre qu’il devrait discuter avec ceux qu’il qualifie de
terroristes, et que c’est ce qui a bloqué le plan Annan dès le début.
Mais le temps, et le désespoir, ont peut-être changé les choses. Le
régime d’Assad est maintenant dans une situation différente et pire
qu’il y a quelques mois. Certes ; mais pourquoi el-Assad devrait
accepter des discussions sur sa propre liquidation comme premier thème
de l’agenda ?
De la même manière, pourquoi des
organisations d’insurgés envisageraient-elles un quelconque compromis
alors qu’elles se rendent compte que les puissances occidentales ainsi
que de nombreux gouvernements de la région sont derrière elles ?
Et enfin, pourquoi la Russie
devrait-elle se satisfaire d’une politique de changement de régime en
Syrie, prêtant ainsi le flanc à l’accusation de laisser tomber un allié
tout en se rendant elle-même complice d’un plan, c’est certainement
ainsi que Vladimir Poutine voit les choses, qui vise à réduire
l’influence et le prestige de la Russie au Moyen Orient ?
Comme plus personne ne peut avancer sur
le terrain diplomatique, la flamme guerrière a été attisée au point
qu’elle risque de ruiner un pays de 24 millions d’habitants.
Aujourd’hui, Alep, une charmante ville
historique qui avait largement été épargnée jusqu’à présent, est
peut-être sur le point d’être écrasée. Le conflit, soyez-en assuré,
déchire aussi le tissu social de la Syrie. Non seulement les relations
entre les sectes et les confessions, mais aussi celles entre les classes
sociales, avec une paysannerie souvent militarisée qui rejoint, et
souvent dirige, le combat. La possibilité que des extrémistes, al Qaeda
et d’autres, tenteront de s’immiscer est évidente. Les tristes nouvelles
qui nous arrivent d’Irak, où une nouvelle série d’attentats a tué de
nombreuses personnes, suggèrent que les extrémistes sunnites pourraient
être en train d’élaborer un front commun dans le but de restaurer une
domination sunnite dans les deux pays. Tout cela augure très mal de
l’avenir, y compris un éventuel avenir sans Assad.
Il y a encore ceux qui, comme la petite
mais courageuse opposition syrienne non violente, qui pensent qu’il
existe une autre voie, ainsi que nous le rappelle une déclaration après
une réunion récente de Sant’Egidio à Rome. Les puissances extérieures
ont deux options désormais.
L’une est de rester spectateur pendant
que la Syrie brûle, avec certains gouvernements qui soutiennent les
rebelles en leur livrant des armes et attendent des défections, des
assassinats ou des mutineries dans les forces armées pour abattre le
régime. Si nous pouvions être assurés que cela va se produire
rapidement, ce serait une chose. Mais que se passera-t-il si Assad
continue à tenir ? Pendant des semaines, des mois voire même plus
longtemps ?
C’est pourquoi la deuxième option, un
retour à la diplomatie et en particulier, une relance du traitement de
ce terrible problème par l’Amérique et la Russie, doit absolument être
prise en considération.
Sont-ils sur des positions inflexibles ;
ou trop impuissants devant les conséquences de leurs propres décisions
pour seulement essayer ?
Si c’est le cas, ils porteront une lourde responsabilité.
The Guardian (UK) 27 juillet 2012
Commentaire du traducteur
Le journal anglais The Guardian
est peut-être en train de tourner casaque sur la Syrie. Alors que
depuis le début des troubles dans ce pays, il a été vigoureusement
anti-gouvernement syrien, voilà qu’il demande en quelque sorte comment
on en est arrivé là en Syrie, avec un pays au bord de la ruine totale,
des milliers de morts et de nombreux réfugiés, entre les déplacés de
l’intérieur et ceux qui sont à l’étranger...
The Guardian parle
clairement de la responsabilité de Barack Obama et de ses suiveurs
habituels (en France Nicolas Sarkozy, puis François Hollande).
Effectivement, ainsi que le reconnaît
l’éditorial, en fixant comme préalable le départ du chef de l’Etats
syrien, les Etats Unis et leurs amis ont bloqué toute possibilité
d’avancer de manière négociée vers une solution de la crise.
Tout bonnement parce que ce préalable
est évidement inacceptable, et même Laurent Fabius le sait bien. Tout
comme les prétendus rebelles qui ont bien compris que l’occident et les
monarchies (démocratiques) du Golfe en posant ce préalable les
encourageaient à adopter une posture maximaliste.
L’article pose bien le problème même
s’il renvoie indûment dos à dos la Russie et les Etats Unis. Or, chacun a
pu constater que le gouvernement russe avait pris langue avec tout le
monde, régime syrien comme opposition quand les Occidentaux n’ont
adressé la parole au président Bachar al-Assad que pour lui intimer
l’ordre de vider les lieux.
En Libye aussi, l’Occident avait
soigneusement veillé à écarter toute démarche politique qui ne
comportait pas comme préalable le départ du colonel Mouammar Kadhafi.
Comme en Libye, les Occidentaux arment
de plus en plus ouvertement les prétendus rebelles qui viennent par
exemple de recevoir des missiles sol-air qui ont transité par la
Turquie. Les Etats Unis s’abstiennent pour l’heure de livrer directement
des armes aux “rebelles,” ils procèdent indirectement comme ils l’ont
souvent fait dans les opérations de subversion.
On voit en ce moment fleurir des articles dans la presse où on parle déjà du chef de l’Etat syrien au passé.
On nous dit par exemple :
qu’Obama et Erdogan vont accélérer la transition en Syrie, sans Assad
qu’Obama et Erdogan vont accélérer la transition en Syrie, sans Assad
Ou que :
le général [Manaf] Tlass appelle à “l’unité” post-Assad
le général [Manaf] Tlass appelle à “l’unité” post-Assad
On nous dit aussi :
Comment les Etats Unis préparent l’après-Assad
Comment les Etats Unis préparent l’après-Assad
Joschka Fischer lui se risque à évoquer
le Moyen Orient après Assad
le Moyen Orient après Assad
Joschka Fischer est l’ancien chef du
parti écologiste en Allemagne ; il a été ministre des affaires
étrangères et vice-chancelier. Il s’est reconverti dans les gazoducs,
avec des émoluments qui récompensent son passage du pacifisme au
bellicisme atlantiste bon teint.
Ce qu’il pronostique n’est d’ailleurs
pas très engageant et ce qu’il y voit de plus positif, ce serait un
affaiblissement de l’Iran et, par contrecoup suppose-t-il, du Hezbollah.
En fait, c’est peu de temps après le
début des troubles que l’objectif d’écarter par tous les moyens Bachar
al-Assad a été formulé, dans des termes voisins de ceux qui avaient été
employés pour le colonel Mouammar Kadhafi.
On le sait, tout était fin prêt en occident pour traiter le cas syrien.
Il y a juste eu quelques ratés.
Le premier raté, c’est que la population
syrienne ne s’est pas soulevée contre son gouvernement et que l’armée
régulière reste globalement unie.
Certes, il y a eu des défections
d’officiers supérieurs, mais ce n’est pas la première fois que des gens
haut, voire même très haut, placés se détournent du régime en Syrie.
Il y eu ensuite le véto chinois et russe
qui n’a pas permis d’obtenir l’adoption d’une résolution comme en
Libye. Une résolution que la coalition contre Kadhafi avait interprétée
d’une manière pour le moins élastique et tendancieuse. A défaut d’avoir
la loi avec elles, les puissances font valoir la loi du plus fort.
Déjà, l’Occident avait fait en sorte que toute issue politique, autre que sa reddition, soit refusée au pouvoir libyen.
Et puis, l’armée syrienne, si elle n’est
pas la quatrième armée du monde, possède une organisation et une
puissance de feu sans commune mesure avec ce dont disposait le
gouvernement libyen. Même si son équipement est en partie obsolète
(souvenez-vous de ce pilote qui a fait défection à bord d’un Mig 21, un
avion complètement dépassé), elle est très loin d’avoir déchaîné toute
sa puissance contre les prétendus rebelles et il n’est guère douteux
qu’elle ferait payer un prix élevé aux puissances qui agresseraient la
Syrie.
Je ne dis cependant pas qu’elle en sortirait victorieuse, ça me paraît quand même difficile.
Donc Bachar al-Assad n’est pas encore
tombé et on voit que, à Alep par exemple, de larges pans de la
population lui sont soit fidèles, soit sont tout simplement hostiles à
cette prétendue Armée Syrienne Libre.
Tiendra-t-il ou pas ? Et au-delà de sa personne, le régime tiendra-t-il ? Qui peut le savoir ?
On voit bien à quel défi la Syrie est
confrontée, face à des adversaires impitoyables et tenaces qui
s’appellent Hillary Clinton, Alain Juppé, Laurent Fabius ou David
Cameron.
Il ne leur manque qu’un alibi juridique
pour s’engager plus à fond. Faute de cet alibi, ils en sont réduits à
étrangler le pays économiquement et à une tentative d’assassinat, qu’ils
ont laissé à d’autres le soin de revendiquer. Cette tentative a manqué
sa cible même si elle a emporté plusieurs ministres. Ignorant si le chef
de l’Etat avait été touché ou s’il était en fuite, comme la presse aux
ordres l’a abondamment seriné, ils ont néanmoins déclenché la suite du
plan en actionnant les bandes terroristes à Damas, ce qui se soldera par
un échec.
Suite à cet échec dans la capitale, ils
espèrent à nouveau aujourd’hui une résolution onusienne qui leur
permettrait de sanctuariser une partie du territoire syrien et, pourquoi
pas, d’y installer un gouvernement provisoire.
Tel est l’objectif poursuivi à Alep comme il l’avait été à Homs…
C’est en réalité un retour à leur plan
initial ; un plan qui avait été mis en pratique avec succès en Libye
mais que le gouvernement syrien avait immédiatement compris et s’était
donné les moyens d’empêcher.
On l’espère, qu’Alep ne sera pas Benghazi...
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