J. Tourtaux
Livre
Témoignage sur «ma» Guerre
d'Algérie
Je suis un ouvrier, issu d'un milieu très
pauvre.
Je sais ce que veulent dire les mots misères
et souffrances, vécues par les petites gens.
Je ne possède pour tout bagage qu'un modeste
Certificat d'Études Primaires.
J'interviens à partir de mon vécu très dur de
la Guerre d'Algérie.
Je n'ai pas d'extraordinaires histoires de
combats héroïques à relater.
Adolescent, je me suis engagé politiquement
avec le PCF, c'était en 1958 avant le retour de De Gaulle à la tête du pays.
Dans la foulée, en 1959, avec quelques camarades, nous avons créé un cercle de
l'Union des Jeunesses Communistes de France (UJCF) dont je devins le Secrétaire.
Comme tous les militants communistes de l'époque, nous dénoncions la guerre
coloniale menée en Algérie, en notre nom, par De Gaulle.
Mon témoignage est un hommage à la poignée de
soldats anticolonialistes qui, malgré les risques encourus, se sont battus
clandestinement contre la guerre.
Notre combat avait pour but de faire prendre
conscience aux autres soldats moins politisés, que cette guerre était inutile et
sans issue.
Notre travail militant a fini par payer
puisque lors du putsch des généraux félons, en avril 1961, les "bidasses"
n'ont pas suivi les factieux et ont ainsi fait échouer la folle aventure de ces
généraux et autres hauts gradés carriéristes, grassement payés pour faire tuer
des pauvres "gus" sur l'autel du profit capitaliste.
Les bidasses tombés sur cette terre lointaine
ne sont pas morts pour la France comme on veut le faire croire mais uniquement
pour les tenants du fric. Il en est ainsi pour toutes les
guerres.
Je dénonce les violences, les sévices subis en
notre qualité de militants anticolonialistes, jeunes communistes pour la
plupart. Ces sévices, des raclées terribles, étaient perpétrées par des
gradés.
Après 40 années de militantisme au PCF, la
mort dans l'âme, j'ai quitté celui-ci. Je suis toujours profondément communiste,
envers et contre tout. Je n'accepte pas les graves dérives du PCF, qui ne
correspondent plus à l'idéal pour lequel j'ai donné le meilleur de
moi-même.
Bien que n'ayant pas l'esprit cocardier, j'ai
assumé d'importantes responsabilités au sein de deux associations d'Anciens
Combattants et Victimes de Guerre (ACVG) mais je n'ai jamais pris la grosse tête
pour autant. J'ai toujours refusé que me soit remise la croix du combattant de
la Guerre d'Algérie car ce serait accepter un insigne incompatible avec mon
idéal communiste.
Je disais donc qu'avec le Parti (PCF) et notre
cercle de l'UJCF, nous menions à notre modeste niveau, une lutte acharnée contre
la Guerre d'Algérie.
En 1960, à deux reprises, j'ai refusé de
répondre aux convocations pour le conseil de révision, à Rethel, puis au
chef-lieu du département, Mézières (Ardennes). Peu de temps après, les gendarmes
sont venus me trouver sur mon lieu de travail. Après m'être fait traiter de
forte tête, promesse me fut faite d'une incorporation directe en unités
disciplinaires où j'allais me faire «mater à coups de poings dans la gueule et à
coups de pieds au cul».
Le 16 septembre 1960, les gendarmes sont venus
me chercher et m'ont emmené menotté et tenu en laisse comme un chien. A la vue
de tous, j'ai ainsi traversé la ville pour me rendre à la gare où les gendarmes
m'ont emmené faire mes trois jours à Commercy (55).
Ma lettre de refus d'aller combattre le peuple
Algérien était prête. J'en ai parlé à un de mes oncles, militant cheminot à la
CGT et au PCF. Celui-ci m'a vivement déconseillé ce refus. Je produis dans le
livre que j'ai écrit sur cette guerre coloniale la copie de sa lettre datée du 4
août 1960, dans laquelle il me dit son désaccord. Mon oncle m'écrivait que les
actions individuelles n'étaient pas payantes. Les sanctions étant trop fortes
pour ce genre d'actions. Militant communiste de longue date, il pensait au
contraire, qu'il fallait entrainer le plus de jeunes possibles dans l'action
contre la Guerre d'Algérie. Militer contre la guerre à l'intérieur de mon unité
afin d'aider à une prise de conscience des jeunes appelés qui pour la plupart
n'étaient pas politisés comme l'étaient les soldats
communistes.
Le dirigeant communiste Etienne Fajon disait:
«Résolument opposé à la guerre injuste d'Algérie, notre parti, qui comprend
le drame de conscience de chaque jeune communiste, n'a jamais considéré la
désertion comme un moyen d'action susceptible de mettre un terme au conflit. Il
est toujours demeuré fidèle au contraire, au principe éprouvé défini par Lénine
: le soldat communiste part à toute guerre même si elle est réactionnaire, pour
y poursuivre la lutte.»
Selon Jean Brugié, dans son livre «Officier et
communiste dans les guerres coloniales», les consignes nationales du PCF
étaient: «Les communistes se doivent d'être présents sur tous les terrains de
combat de classe»... «Ils doivent être les meilleurs.»
Le 30 novembre 1960, Maurice Thorez,
Secrétaire général du Parti, prononce un discours dans lequel il déclare
notamment: «Non, la voie n'est pas à l'insoumission, la voie reste celle que
nous a inculquée Lénine... C'est le travail de masse mené à l'armée, surtout à
l'armée, pour combattre la guerre... Déserter, quitter l'armée, cela signifie
laisser la masse des soldats...... aux mains des officiers parfois fascistes,
aux mains des ultras…
Le devoir, c'est de travailler, c'est de faire
le travail difficile, le travail pénible, le travail qui exige des sacrifices,
qui coûte parfois des années de prison aux jeunes soldats ... ce travail de
l'ombre comporte de véritables risques.»
Durant toute la durée de mon service
militaire, j'ai pu constater que peu nombreux furent les jeunes communistes qui
se sont risqués à militer à l'intérieur de leur unité, en Algérie, où il y avait
la guerre, ne l'oublions pas. Nous ne serions pas 300 à s'y être engagés sur
l'ensemble de tous les conscrits incorporés, qui se sont succédés en Algérie du
1er novembre 1954 au 3 juillet 1962. J'ajoute et c'est tout à leur honneur,
qu'il y a eu aussi des officiers de carrière communistes, qui se battirent à
leur façon, sur des positions de classe mais ils furent peu nombreux lors de la
Guerre coloniale menée par la France, en Algérie.
J'ai donc été incorporé direct, à Oued-Smar,
en Algérie, dans une compagnie disciplinaire pour y effectuer mon CI (Centre
d'Instruction).
Ce fut un CI très dur. À l'intérieur du camp,
une prison interarmes qui était un bagne militaire où les soldats internés y
subissaient des sévices graves tels les tabassages, certains entrainant parfois
l'hospitalisation.
Les soldats détenus dans «La Villa», c'est
ainsi qu'on l'appelait, étaient pour la plupart des gars du contingent. J'ajoute
qu'il y avait promiscuité entre les soldats appelés internés politiques et les
appelés de droit commun.
ll faut savoir qu'un gus pouvait se trouver
interné pour un simple défaut de cravate. Pour ma part, j'ai été emprisonné dans
ce bagne une semaine durant. J'ajoute que le «bidasse» qui y a été
détenu, ne serait-ce qu'une seule journée, est marqué de manière indélébile pour
la vie.
L'an dernier, un de mes lecteurs, ancien de la
Section de Protection (SP), voisine de la prison-bagne, qui y a été interné une
journée, m'a téléphoné. Je fus frappé des «détails» dont il se souvient, bien
qu'il n'ait séjourné qu'une journée au bagne de Oued-Smar.
Nous terminions nos classes et allions être
mutés dans nos unités respectives lorsque dans la nuit du vendredi 21 au samedi
22 avril 1961, éclata le putsch des généraux factieux.
Je voudrais rappeler que nous n'avons pas
attendu après De Gaulle pour réagir.
Lorsque De Gaulle s'est exprimé le dimanche
soir à la télévision, nous étions déjà en refus d'obéissance.
Le fer de lance du putsch des généraux félons
était le 1er Régiment Étranger de Parachutistes de la Légion
Étrangère (1er REP), celui-là même qui, alors qu'il était en fuite, le 26 avril
1961, entre Maison-Blanche et Mouzaïaville, vit ces hommes ouvrir le feu à
l'arme automatique sur d'autres soldats de l'armée française.
Les soldats qui se firent allumer par ces
mercenaires étaient des «gus» du contingent dont je faisais partie. Nous
étions moins d'une quinzaine. Les «courageux» soldats d'élite du 1er REP étaient
en fuite.
Je fus muté dans un secteur chaud de la
Mitidja, près des gorges de la Chiffa, que connaissait bien le camarade Henri
Alleg. Dans son ouvrage «Prisonnier de guerre», Henri Alleg écrit …, entre
autres, «la traversée des gorges de la Chiffa où les attaques de l'ALN sont
quotidiennes ..."
Avec deux camarades communistes appelés, je
militais clandestinement au sein de mon unité contre la guerre. J'ai été dénoncé
et immédiatement embarqué en avion pour une destination inconnue, sous escorte
armée, comme un gangster. Je fus affecté à Telergma, dans le Constantinois,
comme artificier dans une soute à munitions (SMU).
Mon travail y était celui d'un forçat. L'armée
m'a toujours particulièrement choyée.
À titre d'exemple, j'ai, entre autres, été
contraint d'effectuer quatre patrouilles, dont une de nuit, c'était un dimanche
de l'hiver 1961, sans munitions dans la MAT 49. Les chargeurs étaient vides. Je
vous prie de croire qu'il faut avoir vécu de telles intenses émotions pour en
connaître le réel ressenti. La peur est indescriptible.
Je ne vous apprendrai rien si je vous dis que
je suis rentré en métropole traumatisé, marqué à tout jamais par cette guerre
coloniale que je combattais en tant que jeune communiste et dont je fais encore
des cauchemars.
Sur conseils de responsables d'une des deux
associations au sein de laquelle je militais, j'ai intenté un procès à l'État
français pour blessure et maladies contractées lors de la Guerre
d'Algérie.
En première instance, j'ai gagné un très gros
procès qui aurait pu faire jurisprudence et bénéficier ainsi à des milliers de
«gus» justiciables mais hélas, ma joie fut de courte
durée.
Le Secrétaire d'État socialiste aux ACVG du
gouvernement de la gauche caviar, a fait appel de la décision du Tribunal des
Pensions d'Invalidité de guerre qui m'était très nettement
favorable.
Ce ministre n'est autre que l'actuel Président
du Conseil régional de Lorraine : Jean-Pierre Masseret, membre du parti
socialiste. Je précise que j'ai mené cette bataille face aux juridictions et à
l'État français dans un but revendicatif. Je l'ai écrit dans un courrier daté du
19 juin 1997, adressé au sieur Masseret.
Je suis dans l'impossibilité de me soigner
correctement. L'appel assassin du ministre socialiste Jean-Pierre Masseret, me
prive de mon droit légitime à me soigner, spolie ainsi également d'autres
nombreux anciens «bidasses», qui ne peuvent accéder aux soins gratuits
que leur aurait permise la pension dont nous a dépossédé ce ministre
socialiste.
En 2009, j'ai publié un petit livre qui est un
prolongement de «ma» Guerre d'Algérie.
Je veux montrer que la justice de classe qui a
frappé et persiste toujours à l'encontre des jeunes communistes rebelles de la
Guerre d'Algérie notamment, est la même que celle qui frappe les travailleurs
qui défendent leurs emplois en se battant sur des positions de classe et sont
traînés devant les tribunaux de cette même justice de classe, tel mon camarade
et ami Xavier Mathieu.
Jacques Tourtaux
Guerre d’Algérie souvenir d’un appelé
anticolonialiste, par Jacques TOURTAUX
avant-propos par Henri ALLEG
avant-propos par Henri ALLEG
Prix 18
€ + port 5,50 - pour toute commande: 03 26 40 62 15 ou 09 64 04 32 68
par courriel jacques.tourtaux@orange.fr
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