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Thursday, May 26, 2011

Marouane Ben Zineb: l'autopsie du corps






Marouane Ben Zineb, l’autre martyr de la

révolution tunisienne

Jeudi, 26 Mai 2011 08:02
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Monsieur Keffffi: de 1989 à 2011, cela fait 22 ans, et le texte que vous avez reproduit a été publié pour la première fois en août 1993 sur Horizons 94 ainsi que cette photo qui l'illustre. J'y reviendrai parce que je crois que vous avez un gros problème de mémoire et de déontologie. A.M
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Qui est ce martyr dont Kadhem Zine El Abidine, représentant du ministère de la Justice, a annoncé, mardi, l’autopsie du corps pour savoir les raisons exactes de sa mort brutale… il y a douze ans, probablement tué sur ordre de… Ben Ali?
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L’histoire tragique de ce génie de l’informatique, mort à 27 ans dans des circonstances troubles, a été racontée par deux auteurs: Ahmed Mannaï, ancien militant d’Ennahdha emprisonné sous Ben Ali, dans un ouvrage intitulé ‘‘Supplice tunisien. Le jardin secret du général Ben Ali’’ (éd. La découverte, Paris, 1995), puis par Béchir Turki, ancien officier de l’armée tunisienne, dans ‘‘Ben Ali le ripou’’ (édité à compte d’auteur, Tunis, 2011).

C’est à partir de ces deux ouvrages que nous reprenons, ici, les détails de cette histoire sur laquelle la justice tunisienne ne manquera pas de faire la lumière, puisque de nombreux témoins sont encore en vie.

Les fréquentations israéliennes du président de la république

En juillet 1989, Marouane Ben Zineb, grand féru d’informatique, a eu le malheur de s’introduire par inadvertance dans le système informatique de la présidence de la république. A sa grande surprise, il a découvert que Ben Ali avait des relations avec des agents du Mossad israélien accrédités à Tunis pour surveiller les chefs de l’Organisation de libération de la Palestine (Olp), dont le siège était alors à Tunis, ainsi que de nombreux militants tunisiens et arabes de la cause palestinienne.

A-t-il fait d’autres découvertes? Possible, mais c’est tout ce qu’il a raconté à sa sœur, qui s’en souviendra et en parlera à sa famille, le jour où Marouane, après une disparition de huit jours, a été enfin ramené à la maison dans un cercueil sur lequel il était écrit «Défense d’ouvrir».

La jeune femme et son père, Habib Ben Zineb, juge à la retraite, ancien président du tribunal administratif, ont alors tout compris. Marouane a été assassiné. Et c’était un crime d’Etat.
Quelques années plus tard, le malheureux père eut une attaque cérébrale. Atteint de tétraplégie, il mourut immobilisé dans son lit, au bout de trois années de paralysie complète.
Ironie de l’histoire: ne sont-ce pas les technologies de l’information et Internet, dont il a voulu faire un instrument d’embrigadement et d’abêtissement du public, qui ont finalement causé la perte du dictateur?
Mais c’est là une autre histoire, que les historiens raconteront sans doute un jour…
Chronique d’une mort annoncée

Pour revenir à Marouane Ben Zineb, en ce 27 juillet 1989, le jeune homme rangé et bien dans sa tête doit se rendre à l’hôpital pour une séance de rééducation, nécessitée par un récent accident de la circulation. Il emprunte la vieille R12 de son père. Sur le chemin, il prend un ami qu’il dépose quelques kilomètres plus loin. Puis plus rien… Une longue absence de huit jours.
On imagine le désarroi de la famille Ben Zineb, qui se mobilise, dès la tombée de la première nuit d’absence, pour rechercher le jeune homme. On va voir ses amis, la police, la garde nationale et jusqu’aux morgues des hôpitaux de Tunis. En vain. Pas un renseignement utile. Pas un signe de vie.
Au troisième jour, le malheureux père obtient une audience auprès de Chedly Neffati, ministre de l’Intérieur de l’époque. Ahmed Mannaï raconte la rencontre entre les deux hommes: «Le père rappela au ministre la longue liste des services qu'il a rendus à l’État durant sa carrière de juge et l’assura qu’il consentirait bien à lui sacrifier encore le fils si cela était nécessaire: pourvu qu’on lui dise que c’était l’État qui en disposait. Le ministre lui fit la réponse qu’il a entendue trois jours durant de la bouche des chefs de poste de police: Marouane n’a pas été arrêté, n’a jamais été recherché et n’a été signalé dans aucun accident de la circulation. Cela a été dit sur un ton dont la fibre mensongère n’échappa pas au vieux juge. En quittant le ministère, Habib Ben Zineb était convaincu que son fils était passé par là, et que s’il n’y était plus, il devait être déjà enterré, ou quelque part dans une morgue d’hôpital» (‘‘Horizon 94’’, n° 1, août 93).

Un jeune homme bien rangé… jusque dans la mort

Marouane était en effet décédé et son corps déposé dans la morgue de l'hôpital Charles Nicolle, à Tunis. Il était inscrit sous un faux nom, cinq jours plus tôt. Motif officiel du décès: accident de la circulation.
Le jeune homme a donc passé trois longs jours dans les geôles du ministère de l’Intérieur. On imagine l’acharnement de ses tortionnaires et les souffrances inhumaines qu’ils ont dû lui faire subir.
Par un curieux hasard, le même jour où le cadavre du jeune homme a été découvert, la vieille R 12 du père était découverte, elle aussi, à Hammam-Lif, «au niveau de Bou-Kornine à quelques mètres de la voie ferrée et à moins de 50 mètres du poste de police de la circulation!», précise Ahmed Mannaï

L’auteur relève d’autres détails bizarres et qui rappellent une scène de crime dans un film de série noire. «Dans le coffre de la voiture, il y avait les papiers, les lunettes, la montre et d’autres effets personnels, rangés avec un grand soin. Mais il y avait surtout les clés de la voiture miraculeusement déposées sur l’enjoliveur de la roue droite avant», écrit-il. Il ajoute avec une pointe d’ironie douloureuse: «Avant de ‘‘se jeter’’ sous le train, Marouane avait pris soin de tout mettre en ordre. Mais jamais un mort n’a eu autant de mal à gagner sa sépulture. Il attendit encore huit jours pour être porté en terre. Jamais la police n’a autant honoré de sa présence les funérailles d’un simple et anonyme citoyen. La veille de son inhumation, elle investit le quartier et se mêla à la famille pour veiller le corps. Elle assura pendant des semaines la protection rapprochée de la tombe, à l’affût d’une quelconque révélation outre-tombe de Marouane».
Version officielle servie par les sbires du dictateur à la famille du défunt : Marouane a été retrouvé mort sur les rails du train à la gare d’Ezzahra, non loin du lieu de son habitation.

La justice peut (et doit) se racheter

Le jeune homme, qui se préparait à partir aux Etats-Unis, où il a réussi à décrocher une bourse d’études, aurait-il eu la mauvaise idée de se suicider à quelques jours de son départ pour la grande aventure?

Nous espérons (nous exigeons) que la justice fasse enfin aujourd’hui le travail qu’elle aurait dû faire il y a douze ans. Pour la mémoire de Marouane et de celle son père, mais aussi afin que les autres membres de sa famille encore vivants puisse faire enfin leur deuil. Et pour que la vérité sur cette affaire éclate enfin et que les ordonnateurs de ce meurtre ignoble, à commencer par l’ex-président, et les exécuteurs soient traduits devant les tribunaux d’une Tunisie enfin libérée du joug de la dictature, de l’injustice et, nous osons l’espérer aussi, de l’impunité.
Ridha Kéfi



http://kapitalis.com/fokus/62-national/4091-marouane-ben-zineb-lautre-martyr-de-la-revolution-tunisienne.html/

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