Fouad Mansour Kacem,
ancien "Amel " d’Ennahdha en France, (ce qui correspond un peu à délégué général ou ambassadeur, et, dans les structures nationales de ce mouvement à Wali ou préfet), et actuel responsable des relations internationales de l’Alliance nationale pour la paix et le développement, dans un premier entretien avec la presse.
- J’ai rompu avec Ennahdha au plan intellectuel avant de le faire avec ses structures.
- Rached Ghannouchi est un philosophe politique et il est loin d’être un homme de religion
- Les ambitions de Abdel Fettah Mourou sont au-delà d’un éventuel retour à Ennahdha
- Les missions étrangères tunisiennes fonctionnent toujours au rythme de l’ancien régime.
Le 7 août 1994, Fouad Mansour Kacem a annoncé sa démission du mouvement Ennahdha dans lequel il avait occupé de hautes responsabilités et notamment ‘Amel en France.
Dans le texte de sa démission, Fouad Kacem écrit notamment: « quand le moyen devient lui-même l’objectif, que le parti devienne l’unique souci, que ce parti vienne à manquer de ligne de conduite claire, que l’on déclare publiquement le contraire de ce qu’on garde en secret, quand la force devance la raison, que les muscles l’emportent sur la réflexion , quand le militant est réduit à un simple numéro sans autre valeur que celle de gonfler la liste, quand les problèmes personnels trouvent leur solution sur le compte des simples citoyens, quand le chef s’impose par ses discours enflammés irresponsables, sans aucun réalisme mais avec des conséquences néfastes, quand se créent des factions à l’intérieur du parti…sachez alors que l’heure fatale arrive et que sa fin est proche, alors la démission devient obligatoire et il est du devoir de chacun d’y convier les gens. ..
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Fouad Kacem a été condamné en 1994 à 12 ans de prison par contumace et est resté en exil en France de 1984 à 2008. Après la révolution du 14 janvier, il fait son retour politique au sein de l’Alliance nationale pour la paix et le développement où il est membre du bureau politique, responsable des relations internationales.
FMK est né en 1960 à Tunis. Il a étudié au Lycée Khaznadar où il obtint son bac en 1981. Titulaire d’un magistère en sociologie à l’université Paris 10, il dirige actuellement un bureau de consultations juridiques.
L’interview : par Mohamed Boughalleb, 07-09-2011
J’ai lu récemment un article dans un journal étranger relatif au soutien de certains milieux américains à Iskender Rekik, président du bureau politique de l’ANPP et diplômé des universités américaines, en sa qualité de figure islamiste acceptable. Quel est votre commentaire ?
Fouad Mansour Kacem :
Personnellement je n’ai pas lu cet article, mais je ne pense pas que le projet islamiste puisse être dirigé par Iskender Rekik. Mais pourquoi ne dit-on pas cela de Hammadi Jebali par exemple (secrétaire général d’Ennahdha) qui vient de visiter les Etats Unis d’Amérique et rencontrer des représentants de l’administration américaine ? Le projet islamiste a les siens et l’administration américaine comme la française, n’a pas de problème avec l’Islam politique après la chute de Ben Ali, et puis l’ANPP n’est pas un parti islamiste.
Mais nombre d’anciens d’Ennahdha sont à la direction de l’ANPP ?
FMK : Cette situation ne peut s’expliquer qu’en analysant les conditions de la fondation du parti…Nous étions un groupe en France et il y a eu un autre groupe en Tunisie avec notamment Kamel Omrane entre autres. Nous nous sommes rencontrés tous chez Iskender Rekik que je ne connaissais pas à l’époque. C’est vrai qu’il a fait ses études aux USA mais personne au bureau politique n’a connaissance de ses prétendues relations avec l’administration américaine. Ces allégations sont vraiment curieuses.
Le fait que vous l’ignoriez ne veut pas dire qu’Iskender Rekik ne soit pas en rapport avec l’administration américaine ?
FMK : Il se pourrait que ce soit exact et enfin de compte pourquoi pas ? Mais je ne le crois pas beaucoup, quoique nous n’ayons aucun complexe vis-à-vis de quiconque, américains, français ou canadiens…Personnellement en tant que responsable des relations internationales je n’ai pas de complexe à collaborer avec toutes les parties. Nous sommes à l’époque de la mondialisation et de l’ouverture tous azimuts et nous ne pouvons rester en marge de tout et renfermés sur nous-mêmes.
N’importe quel partenaire ?
FMK : A l’exception de l’entité sioniste.
Le problème de la normalisation avec l’entité sioniste a été soulevé récemment et nous avons assisté à de nombreuses surenchères à ce sujet, au point que certains membres de la Haute commission pour la réalisation des objectifs de la Révolution, la réforme politique et la transition démocratique(CROR), ont réclamé l’introduction d’un article dans la constitution prohibant toute normalisation avec l’entité sioniste. Alors que faire si les palestiniens signent un accord définitif de paix avec Israël, devront-nous persister à le boycotter éternellement ?
FMK : Nous tunisiens, nous suivrons la position du peuple palestinien et nous ferons tout pour respecter sa volonté. Mais je crois que cette polémique fait partie des surenchères idéologiques et ne me semble pas très réaliste. Israël est membre des Nations Unies, il est reconnu par la Ligue arabe qui négocie avec lui et lui propose un plan de paix. Cet Etat existe qu’on le veuille ou non et la position de Bourguiba, perçue à l’époque comme une trahison est devenue une position de visionnaire…Franchement je ne comprends pas ce débat ni l’intérêt de la CROR à l’introduire et en quoi il constitue une priorité pour le tunisien après la révolution de la dignité et de la liberté ?
Ce n’est pas très sérieux d’introduire dans la constitution un article interdisant la normalisation avec Israël. La nouvelle constitution va définir le cadre général de la politique du pays et non l’orientation propre à servir les intérêts d’un groupe par rapport à un autre. Notre problème actuel est comment rédiger une constitution démocratique capable d’assurer notre avenir et de consolider notre histoire et la question de la normalisation avec Israël, que nous refusons bien sûr, ne peut se hisser au niveau d’un principe constitutionnel. Mais chaque parti politique a le droit d’agir comme il veut, la politique étant l’art du possible dans un cadre réel.
Auriez-vous des objections à l’ANPP à rencontrer des responsables israéliens ?
FMK : Nous avons à l’ANPP une dame dont le mari est français d’origine juive. Elle vit en France et n’a aucun problème à communiquer avec les partisans de la paix en Israël et les défenseurs de la cause palestinienne. Nous encourageons cela à l’ANPP, mais nous sommes contre le fait de poser le problème de la normalisation d’une manière dogmatique et idéologique sans rapport avec la réalité et la politique. Le problème Palestinien intéresse deux parties, Israël et la Palestine et il ne peut trouver sa solution en l’absence d’un des deux partenaires.
En votre qualité de responsable des relations internationales à l’ANPP, seriez-vous prêt à vous asseoir à la même table qu’un responsable israélien ?
FMK : Je n’ai aucune objection et je n’y vois aucune honte s’il y a quelque chose à discuter et si cela peut aider les palestiniens. Je suis en contact avec le réel et je gère la réalité et notre position vis-à-vis d’Israël est une question à part. Notre Prophète(SAS) a dialogué avec les tyrans de son époque, des Perses aux Romains…Le dialogue est un élément fondamental de l’action politique…Et d’ailleurs quelle est l’alternative dont nous disposons ? Sommes-nous en mesure de déclarer la guerre à Israël ?
Le problème, malheureusement, est un problème de surenchères politiciennes, pas plus. Nous sommes à l’ONU et Israël aussi, devrons-nous boycotter les Nations Unies ?
Quelles sont vos relations avec l’administration française ?
FMK : Sans parler de l’administration française nous avons des amis français.
Ce sont les mêmes amis de la Tunisie du temps de l’ancien régime ?
FMK : Non…Non ! Nous sommes en train de nous faire de nouveaux amis, des chefs de partis et des députés. Après la révolution, certains d’entre eux ont mis à notre disposition les espaces qui leur sont alloués dans l’enceinte du parlement français.
C’est pour vos beaux yeux et sans contrepartie?
FMK : C’est un geste de soutien à la révolution tunisienne et quelque part pour se racheter par rapport à la position française lors du début de la révolution. Ce sont pour la plupart des partis de verts.
Vous êtes installé en France depuis un quart de siècle, comment vous est-il possible de vous engager dans la politique tunisienne et en quoi vous pourrez répondre aux vœux des tunisiens ?
FMK : Je suis tunisien, de père et de mère tunisiens et j’ai vécu dans un milieu tunisien. Ma présence à l’étranger, comme celle de nombreux expatriés, ne signifie pas que nous sommes étrangers à la Tunisie. Bien au contraire, du temps de Ben Ali, nous étions bien plus informés des affaires du pays que vous-mêmes au pays. En tout cas, pour celui qui veut suivre les affaires de son pays, il n’y a pratiquement plus d’obstacle surtout avec les moyens de communication actuels. Et n’oubliez pas, personnellement je suis de ceux qui ont quitté le pays sous la contrainte.
Etes-vous toujours fier de votre passé d’islamiste ?
FMK : Tout à fait et même très fier. J’ai adhéré au mouvement de la tendance islamique (MTI) très jeune et j’ai intégré le Conseil de la Choura du temps de Hammadi Jebali et Ali Lâaridh. Quand le « Amel de Tunis-Ouest a été interpellé, il a donné mon adresse à la police et je me suis enfui en France en 1984.
A l’époque, j’étais jeune bachelier et je n’avais pas les moyens d’analyse et de critique, mais une fois engagé dans des études de sociologie, j’ai commencé à avoir une autre vision des choses. J’étais « très content » d’appartenir au MTI aux ambitions internationalistes et que je percevais, à travers les écrits de Rached Ghannouchi, comme un mouvement démocratique, défendant les droits de l’homme. Mais c’est au niveau des positions du mouvement par rapport à la première guerre du Golfe que je me suis aperçu de la contradiction, ceci en plus du fait qu’il n’y avait aucune démocratie à l’intérieur des structures du mouvement.
Que signifie qu’un mouvement politique local nomme un « Amel »en France ? Auriez-vous les prérogatives de Sarkozy par exemple ?
FMK : C’est ce que nous pensions à l’époque. Pour ma part j’avais autorité sur la France, l’Allemagne et la Belgique.
Certains exprimeraient des objections à votre analyse. Ainsi, Rached Ghannouchi, par exemple, n’a pas monopolisé la présidence du mouvement puisque ce dernier aurait eu une dizaine de chefs, semble-t-il ? Vous ne pouvez pas dire qu’il y absence de démocratie à l’intérieur de ce mouvement.
MK F : Quand j’ai intégré ce mouvement je ne connaissais que Hammadi Jebali. J’étais un idéaliste, croyant profondément à la fraternité et à la tolérance. Je n’ai connu Ghannouchi et Karkar qu’une fois en exil. C’est alors que j’ai découvert que les débats au bureau politique n’étaient pas d’une grande qualité, que les décisions n’étaient pas respectées et que chacun des deux dirigeants ne faisait qu’à sa guise et ne tenait que rarement compte de l’avis des autres membres.
Le début de la guerre irakienne a coïncidé avec ma rupture avec Ennahdha. Saddam Hussein équivalait pour moi à Kadhafi et je n’étais pas port é à le soutenir dans son occupation du Koweït…Je disais à mes amis que pensez-vous si Kadhafi venait à occuper Gafsa ou Dhehibet ?
Quelle était la position de Ghannouchi ?
FMK : Au début, il soutenait l’Irak puis il a changé de cap et s’est mis à soutenir le Koweït. Mais après son voyage au Soudan, il a changé de cap de nouveau et s’est mis à soutenir l’Irak dans son occupation du Koweït. J’étais complètement déboussolé et je me suis mis à réfléchir. Je me souviens d’une lettre que Ghannouchi nous a lue et dans laquelle il soutenait le Koweït et dénonçait l’occupation irakienne après avoir soutenu l’Irak. Il était en partance pour le Soudan. Je lui avais exprimé mon accord et signalé tout de même que cela constituait un changement total de sa position. C’est alors qu’il déclara que si l’on touchait à un pouce du sol irakien ce serait la guerre ouverte à outrance. Ses discours d’alors rappellent ceux de Kadhafi. C’est ainsi que le mouvement s’est mis à exagérer les capacités militaires irakiennes et s’est pris à mélanger le rêve et la réalité. On m’avait rétorqué alors que j’étais sous l’influence de l’occident…J’étais sûr que Saddam ne pouvait pas gagner cette guerre parce que ses prisons étaient remplies de patriotes… La dignité était notre devise dans le mouvement : comment pouvais-je défendre un régime qui humiliait ses citoyens ?
C’est alors que j’ai décidé de démissionner mais je ne l’avais pas rendu public.
Quelles étaient vos relations avec Ghannouchi ?
FMK : Il avait pour moi une grande affection. Nos relations étaient directes et sans détours. Je n’avais pas d’intérêts personnels à défendre et je croyais fermement au projet d’Ennahdha.
Est-il vrai que Rached Ghannouchi était en permanence le numéro Un du mouvement ?
FMK : Tout à fait, avec Salah Karkar.
Quel est le secret de sa force ?
FMK : Il tenait le gouvernail, c’est le fondateur historique du mouvement, le théoricien, le penseur et celui qui tient les finances. Il a aussi un certain degré de charisme qui l’a propulsé au rang de chef.
Ta décision de geler tes activités au sein d’Ennahdha en 1991, était personnelle ou bien en coordination avec les quatre autres qui ont pris la même décision, à savoir Abdelfettah Mourou, Fadel Beldi, Benaïssa Demni et Noureddine Bhiri ?
FMK : Non, je n’avais aucune relation avec Mourou, mais je connaissais par contre Bhiri à l’université et c’était un homme politique remarquable. Nous n’avons pas coordonné notre action.
Est-ce que Ennahdha a vraiment concocté un complot contre Ben Ali en 1991?
FMK : C’est le groupe qui est venu en France et qui était en Algérie qui m’avait informé de l’existence d’un projet de coup d’Etat…J’ai oublié les noms. A l’époque la direction du mouvement était à Alger et c’est quand le groupe est venu en France qu’on m’avait parlé de ce projet.
Comment cela devrait-il se passer ?
FMK : Ils disaient qu’ils allaient lui tirer une fusée Stinger. Je n’ai pas plus de détails mais c’est à ce moment là que j’ai annoncé officiellement ma démission pour protester contre ces procédés. Nous avions opté pour la démocratie et voilà qu’on promettait aux jeunes fugitifs un retour rapide au pays à la suite du succès d’un coup d’Etat. Comment peut-on admettre l’existence d’une organisation armée secrète à l’intérieur du mouvement alors que certains membres du bureau politique n’en savaient rien ? Ma démission ainsi que celle de certains collègues était pour cette raison. Une fois j’ai entendu Salah Karkar annoncer à un groupe de frères musulmans « que le mois prochain, nous serons à Tunis après la naissance de l’Etat islamique ».
Croyez-vous que Ennahdha maintient son double discours même après la révision annoncée par Rached Ghannouchi ?
FMK : Primo, je n’ai pas vu cette révision que vous dites que Ghannouchi a annoncée. Ghannouchi est un philosophe politique et il n’est pas l’homme de religion. Ennahdha rassemble des techniciens, des ingénieurs, des juristes et peu de dirigeants sont au fait des choses de la religion. Leur culture est politique et non pas religieuse.
Est-ce que Ennahdha a changé aujourd’hui ?
FMK : Ennahdha veut changer. Elle s’est engagée dans un processus politique qui va la pousser à se défaire graduellement de son projet islamiste. Il n’est pas étonnant qu’après les élections, ce mouvement se désintègre pour donner naissance à une multitude de partis et de groupuscules.
Vous avez dit la même chose après votre démission en 1994 : « l’issue fatale est arrivée et la fin du mouvement approche », mais cela a été démenti dans les faits. N’avez-vous pas vu le retour triomphal de Ghannouchi après le 14 janvier ?
FMK : Il a été reçu par ses partisans des années 80 et par ses compagnons lors de la naissance officielle du MTI en 1981. Ce sont pratiquement les mêmes visages que j’ai revus lors de la conférence de presse de février 2011. Et c’est une véritable catastrophe parce que je n‘ai vu aucune présence des jeunes issus de l’université. Il n’y a pas de nouvelle génération à Ennahdha et les seules têtes qui percent sont encore Ghannouchi, Jebali, Lâaridh et Ajmi Lourimi.
Comment vous voyez la position actuelle de Abdelfettah Mourou ? Est-il dans Ennahdha ou en dehors d’elle ?
FMK : Mourou est toujours dans la mouvance islamique mais il est en dehors d’Ennahdha.
Va-t-il y retourner ?
FMK : Je ne crois pas qu’il va y retourner, ses ambitions sont plus grandes et il ne s’en cache pas
Comment expliquez-vous le retour de Bhiri qui avait démissionné d’Ennahdha en même temps que Mourou ?
FMK : Je crois qu’Ennahdha en veut à Mourou pour son silence durant le règne de Ben Ali ainsi que sa position par rapport à l’affaire de Bab Souika.
Qui assume la responsabilité de Bab Souika ?
FMK : Franchement je ne sais pas, mais ce qui s’est passé est un acte terroriste et l’on doit s’excuser au près du peuple tunisien.
Dans votre texte de démission vous avez écrit « quand les problèmes personnels sont solutionnés sur le compte des gens innocents ». Qu’est-ce que cela signifie ?
FMK : Ce que je voulais dire c’est qu’un chef politique ne doit pas profiter des malheurs des prisonniers politiques pour asseoir son règne. C’est tout à fait exclu moralement et politiquement.
Est-il vrai que Ghannouchi a refusé toutes les propositions pour régler le problème des prisonniers et des exilés, y compris la proposition de Hachmi Hamdi, le patron de la chaîne Al-Mustakillat, en 1999 ?
FMK : Ghannouchi ne s’en cache pas. Il estime que le régime de Ben Ali doit être boycotté quelque soient les sacrifices consentis à l’intérieur comme à l’extérieur. Son problème avec Ben Ali est personnel et il l’a bien exprimé dans la manière avec laquelle il l’a traité de lapin-tyran lors de sa chute.
Quels sont les termes de votre accord avec le régime de Ben Ali pour rentrer en Tunisie en 2008 ?
FMK : Il n’est pas vrai que j’ai convenu d’un quelconque accord…J’ai démissionné d’Ennahdha en 1994 et juste après j’ai été jugé pour « des charges relevant de complot et de terrorisme » et condamné par contumace à 12 ans de prison. C’était très grave d’autant que j’étais tout à fait innocent. Heureusement que la peine a été réduite à deux ans avec sursis à l’appel…Je suis rentré quand les choses se sont relativement calmées et que certains ont commencé à rentrer. A cette époque je n’avais point de relations ni avec les islamistes ni avec le pouvoir. A mon retour j’ai été bien reçu au port de La Goulette, je n’ai eu aucun désagrément, c’est une vérité que je dis pour l’histoire. Puis au bout de quelques jours j’ai reçu une convocation au ministère de l’intérieur où j’ai été bien traité et avec beaucoup de respect. Il est vrai que le régime voulait changer de look mais c’est la stricte vérité que je livre à l’histoire. On m’avait posé une question sur Ghannouchi et Ben Ali, j’avais répondu que Ghannouchi avait un problème personnel avec Ben Ali.
Depuis quand vous n’avez pas rencontré Ghannouchi ?
FMK : Depuis 1991.
Ennahdha n’a pas essayé de vous courtiser après le 14 janvier ?
FMK : Non jamais.
Ne serait-il pas parce que vous n’avez pas réussi à réintégrer les rangs d’Ennahdha que vous vous êtes rangé à l’ANPP par dépit ?
FMK : J’ai démissionné d’Ennahdha en 1994 et mes analyses politiques actuelles n’ont rien à voir avec celles d’Ennahdha et de ses orientations politiques.
Noureddine Bhiri a lui aussi démissionné mais il est revenu aux premiers rangs.
FMK : C’est son affaire et il est libre. Ma démission a été une rupture intellectuelle avant d’être une rupture avec les structures et j’estime qu’Ennahdha a échoué à l’instar de tous les mouvements islamistes.
Mais il y a au moins le modèle turc qui a réussi.
FMK : Le problème est que le modèle tunisien est demeuré très compliqué, il croit toujours à l’Etat islamique. Certains appellent toujours à l’application de la Charia comme l’a fait récemment Habib Ellouze dans un meeting public à Chebba .
Vous pensez que le courant islamique va l’emporter à l’élection de la constituante ?
FMK : Je pense qu’il aura une forte présence mais il se peut qu’il y ait une surprise et que les jeunes renversent la table. L’indécision des tunisiens et leur abstention à s’inscrire sur les listes électorales est quelque chose qu’il faut prendre en compte. D’autre part les partis politiques sont de peu d’efficience sur le terrain malgré leur nombre pléthorique, les jeunes, longtemps à la marge de la vie politique durant l’ère Ben Ali, ont peu de confiance dans la classe politique et puis il y a encore et surtout les préoccupations de la vie courante tels que le chômage et la pauvreté qui pèsent lourdement sur la vie politique.
Un parti qui ne prend pas en charge les soucis et les problèmes des jeunes a peu de chance de pouvoir réussir à moyen terme. Ennahdha va sûrement tirer profit des années de répression de Ben Ali…Le CROR n’a pas été exemplaire et d’une grande valeur pédagogique pour les jeunes avec les polémiques et les démissions qui ont émaillé sa courte existence.
Auriez-vous des craintes ?
FMK : Non, au contraire, je suis très optimiste en ce qui concerne l’avenir du pays. Que de plus beau que de voir notre pays se transformer en pays de liberté et de dignité pour ses citoyens. Je nourris l’espoir que la Tunisie devienne un Etat démocratique…C’est mon ambition personnelle et mon vœu le plus cher.
Etes-vous pour ou contre la réhabilitation des Rcédistes et leur réintégration dans la vie politique nationale ?
FMK : Je suis pour la réconciliation avec les gens honnêtes, après tout ce sont des tunisiens et la Tunisie leur appartient, mais aussi pour demander des comptes à ceux qui ont fauté.
Qui va déterminer l’honnêteté des uns et des autres ?
FMK : La justice bien sûr, elle est seule à pouvoir demander des comptes et juger s’il le faut. On ne peut mettre dans le même panier tous ceux qui ont appelé Ben Ali à se représenter en 2014. A ma connaissance, de nombreuses personnes ont été surpris es de découvrir leurs noms sur les journaux. ..Le portrait de Ben Ali accroché à l’étal d’un vendeur ambulant était obligatoire, devront-nous le juger pour cela…Quand Ben Ali nomme quelqu’un comme ministre, celui-ci ne peut dire non, et je pense qu’il faut arrêter les surenchères parce que tout le monde connaît tout le monde.
Vous parlez de quelqu’un de précis ?
FMK : Tout à fait, je pense à Kamal Omrane qui a été nommé ministre par Ben Ali au cours des derniers jours de son règne, dans le but manifeste de montrer qu’il s’entourait de gens honnêtes et aux mains propres. Pouvait-il refuser ? Non bien sûr. Je connais cet homme depuis l’époque où nous rendions visite à Cheikh Mohamed Salah Enneifer, du temps de Bourguiba. Kamel Omrane est mon ami, il est cofondateur de l’ANPP et je témoigne de sa rectitude et de sa militance.
Des rumeurs ont circulé vers la fin du régime de Ben Ali, que Sakhr Matri concoctait un projet de parti islamiste ayant Kamel Omrane pour porte drapeau ?
FMK : Je déments catégoriquement. Kamel Omrane m’a assuré qu’il n’avait rencontré Sakhr Materi qu’une seule fois lors de sa nomination à la tête de Radio Ezzeitouna. Il jure, d’autre part qu’il n’a jamais adhéré au Rcd…il est donc bien inutile de juger les gens sur des allégations infondées.
Donc en définitive, oui pour la réconciliation mais après avoir rendu compte ?
FMK : Le tunisien n'acceptera jamais une justice revancharde et excessive. Je suis pour demander des comptes à ceux qui ont vraiment pourri la situation, corrompu les gens et pillé le pays mais non pour installer des tribunaux d’exception pour juger les consciences. Il faut tourner la page…
Avez-vous le sentiment que le fonctionnement des ambassades et missions diplomatiques à l’étranger s’est amélioré ?
FMK : Franchement pas du tout. Les missions étrangères tunisiennes fonctionnent toujours au rythme de l’ancien régime. Leur rapport aux citoyens s’apparente à un rapport de poste de police, toujours les mêmes queues longues au soleil ou sous la pluie. Il faut se réveiller et améliorer les services rendus aux tunisiens par une modernisation des procédures administratives. Nous sommes prêts à apporter notre contribution pour faire évoluer les rapports avec la communauté tunisienne à l’étranger. Malheureusement, les séquelles de l’ancien régime sont toujours là et il nous faut vraiment changer les procédures et améliorer les services.
Est-ce que Iskender Rekik (président du Bureau politique de l’ANPP) ne risque-t-il pas de prendre ombrage de cet interview ?
FMK : Pourquoi cette question ? A l’ANPP le président du bureau politique n’a pas le monopole des relations avec la presse et ne décide pas de ce que déclarent ses collègues.
Pourquoi vous n’étiez pas dans la délégation de votre parti reçue par le premier ministre par intérim ?
FMK : C’est le décès de mon père qui m’a empêché d’en faire partie. L’essentiel est que cette entrevue ait eu lieu et qu’elle s’est passée très bien. Monsieur Essebsi a exprimé à cette occasion toute son admiration pour l’efficience de notre parti et nous-mêmes avions réédité nos dispositions à travailler avec l’ensemble des composantes de la société civile et avec le gouvernement provisoire, qui représente l’Etat, dans le cadre du respect mutuel et pour réussir cette phase de transition et les élections du 23 octobre.
Mais j’étais par contre au sein de la délégation qui s’est rendue à Benghazi et a été reçue par le président du CNT Mustafa Abdeljelil et son adjoint Abdelhafid Ghouka. Nous avons été reçus par nos frères libyens de façon grandiose. Je suis heureux de la fin du régime de Kadhafi, ce que j’ai exprimé dans la conférence de presse tenue à Benghazi et je suis parfaitement confiant que le peuple libyen, dont j’ai découvert à cette occasion la sympathie et l’affection qu’il porte à la Tunisie et à son peuple, saura donner un sens et un contenu nouveaux à nos relations bilatérales.
Traduit de l’arabe par Ahmed Manai
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