Mediapart : Chantage d’Etat autour des fonds secrets libyens
Il est l’un des hommes clés de l’affaire Kadhafi/Sarkozy. Ecroué en Tunisie depuis neuf mois, l’ancien premier ministre
libyen Baghdadi Ali al-Mahmoudi, qui a reconnu avoir lui-même « supervisé » le financement occulte de Nicolas Sarkozy
par la Libye en 2007, se retrouve aujourd’hui au centre d’un
marchandage d’Etat. Menacé cette semaine d’une extradition rapide vers
la Libye par le ministre tunisien de la justice, l’ex-chef du
gouvernement libyen a fait l’objet de « pressions » pour livrer les secrets bancaires de l’ancien régime, selon l’un de ses avocats à Paris, Me
Marcel Ceccaldi.
Alors qu’avocats tunisiens et français s’étaient disputé il y a quelques semaines le leadership de la défense de
Baghdadi Ali al-Mahmoudi, ils sont désormais d’accord pour déjouer coûte que coûte le scénario d’une extradition précipitée.
Le chef des services secrets libyens, Salim El Hassi, accompagné
d’un leader islamiste tunisien, a rendu visite, le 5 mai, à Paris, à Me Marcel Ceccaldi pour lui proposer une « négociation globale », incluant également le sort d’autres dignitaires en fuite, parmi lesquels
Bachir Saleh, l’ancien directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi, et Sabri Shadi, ancien dirigeant de la compagnie aérienne Afriqiyah
Airways.
« Il
y a quinze jours, le chef actuel des services de renseignements
libyens, Salim El Hassi, est venu me rencontrer à Paris, avec son
directeur de cabinet et un membre du bureau politique d’Ennahda, Saïd
Ferjani. Ils sont descendus au Georges V et je les ai invités au
Fouquet’s », explique Me Ceccaldi, qui a conservé la note de restaurant et les cartes professionnelles de ses visiteurs. « Ils m’ont dit : “Ne faites pas d’actions sur le plan international”, confie Me Ceccaldi. Ils demandaient
que le premier ministre livre les clés des comptes libyens à l’étranger. »
Salim El Hassi, opposant historique à Kadhafi
ayant participé dans les années 1980 à une tentative de coup d'Etat
contre le dirigeant libyen, a été nommé en février dernier par le
Conseil national de transition (CNT) à la tête des services secrets du
pays. En déplacement à l’étranger, selon le CNT, il n’a pu être joint
par Mediapart. Saïd Ferjani
est de son côté un pilier du parti islamiste Ennahda, qui détient en
Tunisie les portefeuilles de premier ministre et ministre de la justice.
Contacté jeudi 24 mai par Mediapart, M. Ferjani a confirmé les
« discussions officieuses » révélées par l’avocat parisien. « C’est une discussion entre la partie libyenne et Me Ceccaldi.
J’ai essayé d’être une catalyse entre ces gens. Les Libyens voulaient
récupérer l’argent de M. Baghdadi, qui appartient à l’Etat libyen.
C’est tout à fait légitime. M. Ceccaldi a des informations sur ce
sujet. Les gens qui font partie de l’ancien régime sont assez dangereux
et ils ont de l’argent. Les Libyens veulent que ces gens-là cessent de
causer des problèmes. C’est un problème de sécurité », assure le responsable islamiste tunisien.
Confusion au sommet en Tunisie
MeCeccaldi
assure avoir indiqué à ses interlocuteurs que le déblocage des fonds
libyens ne dépendait pas du bon vouloir de l’ancien premier ministre
incarcéré, mais de celui des Etats occidentaux qui en sont à l’origine.
Il leur a, en revanche, demandé la libération de Baghdadi Ali
al-Mahmoudi, ainsi que la levée du mandat d’arrêt visant Bachir Saleh. Selon l’avocat, le représentant du parti Ennahda,
Saïd Ferjani, par ailleurs conseiller du ministère de la justice, a rendu visite dès son retour en Tunisie à l’ancien premier ministre
libyen en prison.
Baghdadi Ali
al-Mahmoudi, « Oui, je l’ai vu en détention, confirme M. Ferjani. M. Baghdadia
menacé plusieurs fois de se suicider. Il a aussi essayé de s’échapper
de la prison et ce n’est pas acceptable. Quant à son extradition, les
Tunisiens ont eu des garanties sur les droits de l’homme en Libye. Il
paraît que la situation n’est pas aussi mauvaise que certains le
craignent. »
De fait, quelques jours après la visite de M. Ferjani en prison,
le ministre de la justice tunisien, Noureddine Bhiri, lui aussi membre d’Ennahda, annonçait l’extradition imminente de l’ancien dirigeant
libyen. Il a ainsi fait savoir, le 22 mai, à l’agence Reuters, que « le gouvernement a décidé l’extradition de M. Mahmoudi et qu’il restait
juste quelques formalités à effectuer ».
Mais l’information a été contredite dès le lendemain par les porte-parole du président de la République tunisienne,
Moncef Marzouki, issu du parti Congrès pour la République. La présidence reconnaît avoir en effet donné son aval pour l’extradition, mais
elle assure qu’elle ne sera mise en œuvre que « sous réserve de certaines garanties ».
Une façon de temporiser et de calmer l’opposition à cette extradition,
dénoncée par plusieurs associations de défense des droits de l’homme
compte tenu de l’instabilité institutionnelle de la Libye.
« L’ancien premier ministre m’a dit : “Ils ne me veulent pas
en tant que personne physique mais pour les dossiers que j’ai”, explique de son côté Me Mabrouk Kourchid, avocat de l’ancien premier ministre libyen à Tunis. Il
y a une volonté internationale de l’incarcérer. Nous sommes très
inquiets. Nous craignons, comme des organisations des droits de l’homme
l’ont souligné, qu’une fois extradé, il soit torturé, tué ou exécuté.
Jusqu’à présent aucun pays n’a encore extradé d’agent de Kadhafi. »
Le 25 octobre dernier, l’ancien premier ministre avait publiquement déclaré devant la cour d’appel de Tunis :
«Oui,
en tant que premier ministre, j’ai moi-même supervisé le dossier du
financement de la campagne de Sarkozy depuis Tripoli, des fonds ont été
transférés en Suisse et Nicolas Sarkozy était reconnaissant pour cette
aide libyenne et n’a cessé de le répéter à certains intermédiaires », selon l’un des avocat présents,
Me Mehdi Bouaouaja.
Un autre avocat présent à l’audience, Me Slim Ben Othman, a précisé à Mediapart : « Baghdadi
Ali al-Mahmoudi a dit avoir remis à une délégation française envoyée
par Sarkozy de l’argent, beaucoup d’argent, des millions d’euros en
liasses de billets. Il a des documents comptables. On ne remet pas des
millions d’euros sans aucune signature. »
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