Histoire de deux femmes assassinées
vendredi 31 juillet 2009 - 06h:03
Walid El Hourican
Il importe de relever dans le cas de Neda qu’au lieu de s’intéresser à la personne qui l’a effectivement tuée, les médias ont accusé le régime iranien... Alors que dans le cas du meurtre de Marwa, les médias n’ont cessé de souligner le caractère individuel de l’assassin...
Neda et Marwa : l’une devient une icône, la mort de l’autre est passée sous silence.
Le 20 juin 2009, Neda Agha Soltan a été tuée pendant les manifestations qui se sont déroulées après les élections en Iran. Les manifestations ont occupé une grande place dans les journaux du monde entier tandis que les analystes et les commentateurs prévoyaient la chute du régime iranien et l’aube de la liberté pointant dans « l’axe du mal ».
Neda Soltani
La mort de Neda est devenue, pour des millions de personnes, le symbole de l’opposition iranienne, de l’injustice du régime iranien ainsi que du défi des protestataires. La mort de Neda a été placée dans un contexte. Elle a été retirée du domaine privé et déplacée dans le domaine public représentant une cause juste pour l’ensemble de la société.
Le 1er juillet, Marwa El Sherbini, chercheuse égyptienne vivant en Allemagne, a été tuée de 18 coups de poignard, dans un tribunal de la ville de Dresde, en présence de son fils de trois ans. Elle avait eu gain de cause contre un Allemand d’origine russe qui l’avait insultée parce qu’elle portait le voile. Quand son mari s’est précipité à son secours lors de l’attaque dans le tribunal, la police lui a tiré dessus. La mort de Marwa n’a été signalée dans les médias occidentaux que lorsque des manifestations éclatèrent en Égypte après son enterrement.
Les nouvelles ont porté sur les protestataires ; le meurtre a été présenté comme l’acte d’un « loup solitaire », lui enlevant donc son contexte et sa signification sociale.
Oublions les idées préconçues des médias qui choisissent leurs sujets en fonction de leur propre plan. Ce que montre la comparaison entre les deux meurtres, c’est que les sociétés européenne et occidentale n’ont pas compris la signification et l’importance du deuxième meurtre dans son contexte social, politique et historique.
Le « loup solitaire » qui a porté 18 coups de couteau à Marwa dans le tribunal est le produit de la société dans laquelle il vit. Le meurtre de Marwa devrait ouvrir, à tout le moins, un débat sur le racisme latent (qui ne l’est plus tellement) contre les musulmans, lequel s’est accru ces dernières décennies dans les sociétés européennes et particulièrement depuis le milieu des années 90.
On ne peut s’empêcher de rapporter le crime au débat sur l’interdiction du niqab, ou aux débats antérieurs sur le port du voile. Ces questions, ainsi que les autres qui concernent l’immigration musulmane en Europe, ont pris une grande place lors des débats publics dans plusieurs pays européens. Il serait également difficile de ne pas remarquer l’augmentation rapide des partis populistes de droite au pouvoir dans plusieurs pays européens depuis 10 ans ; ces partis ont fondé leur discours sur la peur de l’islam et le « problème de l’immigration ».
C’est en raison du déni dans lequel sont plongés les sociétés et le discours public européens que l’on n’a guère rendu compte de l’assassinat et que l’on ne s’est pas alarmé de cet acte.
Alors que l’Europe prêche la liberté d’expression et la nécessité d’accepter la différence, qu’elle lance des avertissements sur les dangers du racisme et du sectarisme dans le tiers-monde et qu’elle met en garde contre les discours de haine et l’antisémitisme, nous assistons à un crime inspiré par le racisme, les préjugés et la haine, discours qui acquiert aussi bien de la légitimité que du pouvoir en France, en Italie, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Autriche, au Danemark et dans d’autres démocraties du Vieux continent. Les crimes inspirés par le racisme sont constamment présentés comme des exceptions dans une société tolérante ; toutefois, leur multiplication met en doute leur caractère exceptionnel.
Le silence sur l’histoire de Marwa dans la grande presse et le fait que son meurtre n’ait pas lancé de débat sur les dangers immédiats de l’actuel racisme antimusulman en Europe montre la profondeur des problèmes et nous fait prévoir un sombre avenir pour les musulmans en Europe. On ne parle de musulmanes comme Neda que si leur histoire correspond à la narration dominante qui présente l’islam comme la principale menace pour la liberté, tandis qu’il n’est pas question de Musulmanes comme Marwa qui démasquent le racisme ambiant en Occident et contestent les stéréotypes existants.
Il importe de relever dans le cas de Neda qu’au lieu de s’intéresser à la personne qui l’a effectivement tuée, les médias ont accusé le régime iranien d’être responsable du contexte dans lequel le crime a été commis. C’est l’établissement où l’institution qui sont mis en accusation plutôt que l’acteur individuel. Alors que dans le cas du meurtre de Marwa, les médias n’ont cessé de souligner le caractère individuel de l’assassin, l’appelant « un loup solitaire » laissant entendre qu’il s’agit d’un proscrit social qui n’a pas de lien avec la société dans laquelle il vit. On a donné à l’assassin le nom de « Alex W. » et on a enlevé du tableau, l’institution, la société et l’établissement dans lesquels il vit.
Alors que le décès de Neda a fait l’objet d’une vaste gamme d’interprétations et de lectures dans le contexte iranien, la mort de Marwa a été privée de son contexte et a été présentée comme une tragédie personnelle mettant en scène un fou et sa victime. Entre-temps, l’Europe continue son glissement vers la droite à un rythme accéléré et les stéréotypes culturels, l’absence d’intégration (lisez : l’aliénation sociale et politique), la dyscommunication et une crise de financière en aggravation ne font qu’alimenter ce déplacement et appuyer le discours populiste et chauvin de plusieurs partis de droite, nouveaux ou ressuscités.
Dans les années 30, après la grande crise économique des années 20, un jeune parti populiste de droite a brusquement accédé au pouvoir en Allemagne et peu de personnes ont prévu ce qui allait s’ensuivre. Il n’y a pas de preuve réaliste permettant d’indiquer que l’Europe est une société plus tolérante qu’une autre ou de dire que les gens tirent nécessairement les leçons de leur histoire, ou même que certaines sociétés sont exemptes de comportements racistes. Tous les indices pointent vers la fin du mythe de tolérance européen d’après-guerre ; et les médias doivent encore relier les indices avant que l’histoire ne se répète.
Vous pouvez écrire à Walid El Hourican ici : walid@menassat.com.
12 juillet 2009 - Counterpunch -
Cet article peut être consulté ici : http://counterpunch.org/walid071020...
Traduction : Anne-Marie Goossens
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