Au nom des grands principes de l’Islam
Entretien avec Abdelfattah Mourou
Entretien conduit par Jean-Paul Chagnollaud
Confluences Méditerranée, N°3, Printemps 1992
Cet entretien avec Abdelfattah Mourou, avocat et ancien numéro deux du mouvement islamiste tunisien Ennahda, a été réalisé il y a deux ans, au moment où ce mouvement espérait encore obtenir sa légalisation comme parti politique. Inédit à ce jour, il demeure un document utile à la compréhension du projet politique porté par les islamistes de ce pays car il exprime des positions de fond qui restent à ce jour inchangées. Il faut rappeler cependant que Abdelfattah Mourou a, depuis, quitté le mouvement Ennahda en raison des choix radicaux prônés par d’autres dirigeants.
— Je voudrais commencer par vous demander votre sentiment sur une remarque d’un spécialiste des mouvements islamistes, François Burgat :” "L’Occident dont l’expansion triomphante a pourtant semé, il y a plus d’un siècle, les germes de cette résurgence islamique, refuse encore de reconnaître l’enfant naturel issu de son aventure coloniale.” " Est-ce que vous vous reconnaissez dans ce raccourci qui fait de vous l’enfant naturel issu de l’aventure coloniale de l’Occident ?
Nous sommes un enfant naturel de la renaissance islamique, plutôt qu’un écho de ce qui s’est passé dans nos pays au 19ème siècle, avec l’arrivée des colonisateurs. Parce que si l’on comprend bien cet auteur, l’islamisme serait issu d’un petit accident dans notre histoire, alors qu’il s’agit d’un mouvement de renaissance qui a maintenant un siècle et demi d’âge dans nos pays arabes ; il s’achemine aujourd’hui vers une restructuration de la société en retournant à l’Islam lui-même, tout en intégrant les acquis de l’humanité, parmi lesquels ceux de l’Occident dont les grands principes n’ont jamais été rejetés par l’Islam ; même s’ils ont été délaissés dans nos sociétés en raison d’accidents de l’histoire qui sont survenus chez nous dans les siècles de décadence. Maintenant, nous voilà en renaissance pour mettre en application ces principes.
— En Occident, on associe souvent l’islamisme à une forme de totalitarisme – à la fois en raison de la nature de son idéologie et des pratiques politiques qu’il a générées dans plusieurs pays comme l’Iran, par exemple. Qu’ en pensez-vous ?
L’islamisme n’est pas un système totalitaire. En 1969, lorsque notre mouvement (1) a vu le jour, il s’intéressait seulement à la morale, aux prières quotidiennes et à la pratique religieuse, mais après 1980, il a connu une certaine inflexion en s’intéressant aussi aux problèmes sociaux et politiques. Sur ces plans, nous avons toujours dit que nous ne rejetions pas l’Occident qui a aussi de bons côtés notamment en termes de libertés, de droits de l’homme ou de droits civiques qui ont été mieux affirmés que chez nous. Nous ne sommes pas un courant de pensée qui refuse de tendre la main à l’Occident ; nous essayons de composer avec l’Occident.
—Dans quelles mesures la république islamique d’Iran a-t-elle été une référence pour vous ?
Elle ne l’a jamais été. Deux de nos dirigeants (1) se sont déplacés en Iran pour voir ce qui s’y passe. Pour la première fois, c’est une révolution islamique qui essaie d’appliquer et de vivre l’Islam et non pas une révolution gauchiste ; ils sont allés là-bas pour essayer de comprendre. C’est tout.
— Quelles ont été leurs appréciations ?
C’est à eux qu’il faut le demander. Mais dans notre mouvement, nous pensons que nous avons notre voie, et que les Iraniens ont la leur; ils sont libres de choisir ce qu’ils veulent chez eux, mais pour nous la renaissance et la révolution ne doivent pas être importées ; pour nous, il est exclu de vouloir reproduire un système social, économique et politique quel qu’il soit… d’Iran, d’Arabie Saoudite, ou du Maroc. Parce que nous, les Tunisiens, nous avons notre spécificité. En tant que mouvement islamique, nous ne sommes pas une association religieuse mais bien un mouvement politique qui vient sur la scène politique avec son programme, par lequel nous essayons d’analyser les maux de la Tunisie et de proposer des solutions adéquates. Jamais la révolution iranienne ne pourra nous donner, à nous les Tunisiens, des solutions toutes faites pour les problèmes du transport ou de l’habitat à Tunis…
— Quand je parlais de référence je ne pensais pas à des problèmes ponctuels ici ou là, mais aux valeurs fondamentales susceptibles de fonder une action politique.
Il faut bien se rendre compte qu’en Iran c’est le chiisme, tandis qu’en Tunisie c’est le sunnisme. La grande différence réside dans le fait qu’il y a un clergé chez les chiites mais pas chez les sunnites. Le gros problème qui se pose à l’Iran, maintenant, c’est que les affaires politiques sont gérées par les membres du clergé. Nous, nous ne sommes pas des hommes de religion.
—Il n’y a pas forcément de lien entre la structure d’un mouvement et le contenu d’une idéologie ; on peut imaginer une autre structure qui ait, en fait, le même type de référence idéologique. Autrement dit, le totalitarisme peut être sécrété par un clergé traditionnel comme il peut l’être par bien d’autres “ "clergés” " qui peuvent être inventés.
Notre programme politique ne s’immisce pas dans la vie personnelle des gens ; nous ne sommes pas là pour imposer à qui que ce soit un mode de vie sur le plan personnel ; c’est pour cela que j’ai dit que nous ne sommes ni une association religieuse ni un parti religieux; nous sommes un parti politique qui s’intéresse à la morale des individus mais notre objectif n’est pas d’imposer aux gens un mode de vie qu’ils n’acceptent pas.
—Mais si vous êtes au pouvoir, vous allez produire des règles de droit impératives qui seront forcément imprégnées de vos choix idéologiques et politiques ; vous allez donc forcément intervenir dans la vie privée des gens. Si vous modifiez tel ou tel aspect du code du statut personnel, cela touche la vie des gens, non ?
Oui, mais cela ne vient pas du fait que nous sommes islamistes. Si nous touchons à la vie des gens, c’est parce que la majorité du peuple aura choisi de nous confier le pouvoir; c’est le peuple qui légifère et c’est lui qui a le droit de toucher à la vie des gens dans le respect des nonnes inscrites dans la constitution. Avant que nous ne soyons au gouvernement, je crains qu’on nous fasse un procès d’intention. On n’a jamais cessé de nous accuser d’être totalitaires alors que nous ne le sommes pas ; on nous dit : “ "vous êtes maintenant démocrates, vous êtes pour la démocratie, mais lorsque vous serez au pouvoir vous deviendrez des dictateurs” ". Ce n’est pas vrai…
— Sauf que les exemples d’islamisme au pouvoir ont produit des régimes politiques qui ont piétiné les libertés individuelles… Les déclarations de Khomeiny à Neauphle-le-Château paraissaient relativement ouvertes mais quand il est arrivé au pouvoir, il a créé un système totalitaire.
Vous savez bien qu’il y a d’autres pouvoirs islamistes qui ne sont pas totalitaires. L’Arabie Saoudite, est un pays qui est gouverné par des gens qui se réclament de l’Islam , pourquoi ne pas en parler ? Il y a aussi la Mauritanie , qui est aussi une république islamique, pourquoi ne pas en parler ? Mais vous ne trouvez, en tant qu’exemple, que l’Iran. Alors que je vous ai dit qu’il y a une très grande différence entre nous et les Iraniens ; pour eux, le dirigeant est choisi par Dieu et c’est par définition la dictature puisque ce n’est pas le peuple qui choisit son dirigeant, alors que pour nous, les sunnites, c’est le peuple qui le choisit. Voilà pourquoi jamais une dictature ne pourra être mise en place dans un pays sunnite, au nom de l’Islam. C’est une déformation de l’Islam qui veut faire que les dirigeants dans un pays musulman soient des dictateurs. Pourquoi refuser aux musulmans d’être gouvernés par des musulmans dans un système qui respecte leur morale, leurs principes idéologiques et leurs bases culturelles ? Pourquoi interdire à ce pays, où l’Islam a gouverné pendant douze siècles, d’avoir des relations avec un mouvement qui se réclame de l’islam ?
—Vous vous référez très fréquemment à la démocratie. or j’ai le sentiment que la conception classique de la démocratie est tout de même assez éloignée de la conception islamique. Ce qui est à la base de la démocratie occidentale, c’est la notion de souveraineté populaire alors que dans la conception islamique, le fondement du système est d’une autre nature : il renvoie à Dieu.
Il y a une différence, mais si le pouvoir législatif incombe effectivement à Dieu – parce que chez les musulmans, c’est Dieu qui légifère – la souveraineté appartient bien au peuple.
— Mais qu’est qu’une souveraineté qui n’aurait pas le pouvoir législatif ?
Le pouvoir législatif se situe sur deux plans : il y a les grands principes généraux mis en place par le Coran qui ne peuvent pas être dépassés ; en quelque sorte l’équivalent des grands principes énoncés par la constitution dans un pays laïc, ceux qui ne peuvent être changés que par une majorité qualifiée. Dans ce cadre, le pouvoir de légiférer incombe au peuple et non au dictateur. Ce n’est pas le roi qui le fait, ce sont les assemblées des Oulémas et l’assemblée des représentants du peuple; et cela vous le trouvez déjà du temps du deuxième Califat.
— Si la souveraineté appartient au peuple, il doit pouvoir concevoir et adopter la constitution qu’il souhaite…
Il peut le faire, il l’a fait et il pourra toujours le faire. Ce sera une constitution qui mettra en oeuvre les grands principes de l’Islam, parce que nous parlons d’une société islamique et non pas d’une société laïque.
—On touche ici au coeur du problème car les grands principes de l’Islam dont vous parlez vont tout de même assez loin dans un certain nombre de domaines essentiels, ce qui signifie que le pouvoir de légiférer donné au peuple sera finalement assez résiduel. La notion de démocratie, au sens propre du terme, trouve là ses limites.
Mais vous en avez l’équivalent dans le système démocratique occidental. En France, vous ne pourriez passer d’un régime républicain à un régime monarchique que par un coup d’Etat. Ce n’est pas la constitution qui vous donne cette possibilité. Vous êtes limités, les représentants du peuple ne peuvent pas décider d’instaurer une monarchie.
— Sur la monarchie, d’accord, mais on peut changer tout le reste …
Moi je vous parle du régime islamique, tout le reste est à votre disposition.
— Oui, mais qu’est qui reste ? Toute la question est là … Par exemple, les grands principes de l’Islam fixent le statut de la femme comme ils déterminent les grandes règles du statut personnel.
Je n’ai pas de problème avec le code du statut personnel tunisien parce qu’il a été conçu d’après les normes du droit musulman.
— Sur le divorce et l’adoption aussi?
Oui
—Mais l’adoption est interdite par l’Islam !
L’adoption seulement. Mais elle n’est pas dans le code du statut personnel. Elle est à part. Mais pour ce qui concerne le mariage, le divorce ou l’héritage, ce sont les principes de l’Islam qui sont appliqués dans ce statut. C’est pour cela que nous avons toujours dit qu’il n’y a pas de problème entre le mouvement Ennhada et le statut personnel. Et si nous avons demandé, en 1986, la révision du code du statut personnel, ce n’était pas pour proposer un retour à la chariaa islamique. Il avait été promulgué en 1959 dans le but d’assurer la stabilité de la famille, et, après presque 30 ans d’application, nous estimions qu’il fallait le reprendre pour l’adapter à ses buts initiaux. Nous avons donc demandé que le code du statut du personnel soit revu pour mieux assurer la stabilité de la famille et non pas pour aller dans le sens de la polygamie ou dans celui de l’affaiblissement des droits de la femme par rapport à l’homme.
— En matière de droit pénal, il existe un ensemble de règles islamiques qui prônent des châtiments corporels. Quelle est votre position là-dessus? Est-ce que cela fait partie des grands principes de l’Islam ?
Non, cela ne fait pas partie des grands principes de l’Islam.
— Pourtant, en Arabie Saoudite, le châtiment corporel est une pratique courante. Vous citiez vous-même ce régime en exemple.
Oui, mais ni l’Arabie Saoudite, ni l’Iran n’ont été pour nous un exemple.
— C’est vous qui l’avez cité.
Oui, je l’ai cité pour dire qu’il n’y avait pas qu’un seul exemple contrairement à ce que vous affirmiez avec l’Iran ; moi j’ai dit qu’il y en avait d’autres. Mais nous ne sommes pas d’accord avec ces exemples là pour la simple raison que nous sommes des gens sages et non des fous ; pour retourner à l’Islam, il ne suffit pas de procéder à la révision de tel ou tel article du code pénal. Le retour à l’Islam n’est pas une affaire de code pénal mais bien une affaire de morale sociale. C’est un changement qui doit s’opérer dans les têtes des gens pour faire d’eux des citoyens du vingtième siècle.
—Que mettez-vous sous ce terme “ "morale” "? Cela signifie-t-il que toute déviation morale devra être sanctionnée?
Non, mais les sanctions existent chez nous. Je suis avocat et je sais bien qu’il y a toujours des gens qui sont déférés à la justice, emprisonnés, châtiés, frappés dans les locaux de la sûreté nationale ou de la police ; mais cela ne fait pas de nous un pays musulman. Ce qui fera de nous un pays musulman, c’est que cette base culturelle, conforme à nos valeurs, soit mise en place dans les relations des gens entre eux. Notre pays va vers l’individualisme au point qu’il n’a pas connu depuis trente ans la constitution d’une seule association de bienfaisance. Dans ce pays, le citoyen ne connaît ni ses droits ni ses devoirs ; il demande mais il ne donne pas. Nous sommes un pays où les gens doivent apprendre à mettre des poubelles devant leur porte et à respecter autrui dans un arrêt de bus pour laisser la priorité à ceux qui sont arrivés avant.
— C’est cela les grands principes de l’Islam pour vous ?
Oui, c’est cela les grands principes de l’Islam.
—Sur les principes que vous venez d’évoquer, une bonne partie de l’opposition serait d’accord avec vous…
Nous l’avons toujours dit. Mais nous, nous sommes un mouvement populaire, alors que des partis, qui pourtant ne sont pas contre l’application de l’Islam, comme le MDS, ne sont que des gens isolés de la société; c’est cela la grande différence.
—Tout de même avec cette notion de morale sociale un régime politique peut aller vers le totalitarisme ; on a vu cela souvent dans l’histoire, non?
Mais il doit y avoir des institutions qui empêcheront qu’on en arrive à la dictature ; ces institutions seront mises en place dans notre société.
— Avant qu’on en arrive à la dictature … vous pensez donc que le risque existe.
On peut y arriver ; mais les grands dictateurs ont été des bienfaiteurs, au moins au début.
— Les islamistes aussi peuvent devenir des dictateurs.
Ils le peuvent ; ce sont des gens comme les autres. Mais on devra pallier cet inconvénient par les institutions que je viens d’évoquer. Le grand problème de notre histoire musulmane, c’est que ces grands principes dictés par le Coran et la tradition du Prophète n’ont pas été étayés par des institutions. Jamais, notre histoire n’a connu d’institution comme celle, par exemple, d’assemblée nationale.
— La notion de droits de l’homme figure-t-elle au rang des grands principes de l’Islam ?
Oui, bien sûr; il suffit de voir le Coran lui-même ou la tradition du Prophète pour comprendre que l’Islam s’est basé sur cette notion de droits et de dignité de l’homme. Son contenu peut être différent de la conception occidentale, mais elle a toujours existé chez nous.
— Pourquoi, alors, ne la voit-t-on pas mise en oeuvre dans des pays comme l’Arabie Saoudite, la Mauritanie , le Soudan ou l’Iran ?
Parce que ce sont des pays musulmans qui ont connu la décadence depuis six ou huit siècles et qui n’appliquent plus l’Islam.
—A vous entendre, il n’y a que vous qui êtes vraiment l’authentique musulman ; vous écartez l’Arabie Saoudite, l’Iran… Ce sont quand même des exemples essentiels.
C’est pour cela que nous voulons obtenir notre légalisation ; pour démontrer aux gens que nous sommes les authentiques musulmans, des gens qui peuvent être à la fois musulmans et capables de vivre dans le vingtième siècle.
— J’ai eu d’autres débats avec d’autres responsables islamistes, ailleurs dans d’autres pays, et chacun m’a affirmé qu’il était l’authentique musulman. Puis quand on passe du discours à la pratique du pouvoir, il y a un monde…
Mais vous revenez à cette grande erreur qui consiste à nous faire un procès d’intention. Moi, je vous dis : “ "Laissez moi la possibilité d’être dans l’action pour comprendre ce que je veux réaliser” ". Nous existons depuis une vingtaine d’années et nous n’avons toujours pas notre visa; nous demandons qu’on nous laisse un champ d’action libre pour comprendre ce que nous essayons de mettre en place.
—Si vous arriviez à participer à un gouvernement ou être majoritaire dans un gouvernement, quelles seraient les premières mesures que vous prendriez ?
Vous savez, le changement dans un pays du tiers monde sera long à venir. Pour essayer de transformer ce qu’il y a dans les têtes des gens, ce ne sera pas une affaire de jours ou de mois et, surtout, je ne crois pas qu’on puisse le faire à partir du gouvernement. Nous sommes un parti qui veut obtenir sa légalisation mais qui ne veut pas tenir en mains les rênes du pouvoir car, je le répète, le changement ne peut pas venir d’en haut. Ce que nous essayons de faire, c’est d’être présent et actif sur le plan social comme sur celui des institutions civiles pour démontrer aux gens que nous nous intéressons à leurs problèmes concrets et que nous souhaitons transformer les choses à partir de la base et non pas à partir du gouvernement. Et vous avez vu que tous les gouvernements qui se sont succédés chez nous, n’ont pu rien faire en profondeur parce que, une fois encore, le changement ne vient pas d’en haut.
—Vous n’avez pas tout à fait répondu à ma question : quelles seraient les directions dans lesquelles vous entendriez légiférer ? je ne parle pas de gouverner ; qu’est ce que qui vous paraîtrait prioritaire ?
Sur le plan des libertés publiques : davantage de libertés et de respect des institutions ; sur le plan de l’éducation et de la culture, un peu plus d’attachement à notre culture islamique.
— Une question un peu provocatrice : comment peut-on faire un projet politique pour la fin du vingtième siècle en se référant à des principes anciens qui, au sens étymologique du terme, sont réactionnaires ?
Mais ces principes se renouvellent toujours ; ce sont les principes généraux qui ont vu naître le premier homme : liberté, amour d’autrui, aide sociale… Ils ont été mis en place par l’Islam et appliqués par les musulmans, mais lorsqu’ils ont perdu leurs bases culturelles islamiques, ils nous sont devenus étrangers.
Le colonialisme a apporté de grands principes humanitaires, mais ceux-là ont trouvé nos oreilles fermées parce qu’ils n’étaient pas fondés sur nos bases culturelles ; nos pays sous-développés ne peuvent jamais être inspirés par des principes importés d’Occident car ils ne correspondent pas à notre terreau culturel ; alors que si vous reliez ces grands principes humanitaires à ces bases culturelles, ce sera le grand changement.
— Le statut de la femme en Tunisie est probablement le plus avancé du monde arabe, en terme de libertés individuelles. Avez-vous l’intention d’accentuer ces espaces de libertés ou au contraire d’y apporter des restrictions ?
Je ne crois pas qu’il y ait un problème spécifique à la femme. Il y a un problème du citoyen tunisien.
— Il y a aussi une réalité du statut de la femme en Islam …
Le Coran dit que l’homme et la femme sont des égaux qui ont les mêmes droits et les mêmes devoirs ; je m’appuie sur les textes de l’Islam en prenant en considération les changements intervenus dans le comportement des gens.
D’une manière plus générale, c’est une question de dosage ; nos gouvernants actuels prennent en considération l’Islam dans la vie des gens, mais avec un dosage de 1 à 2 % pour les règles de l’Islam. Pour d’autres, l’Islam n’est pas seulement les grands principes généraux mais aussi les solutions apportées par les différentes écoles rituelles aux premier, deuxième et troisième siècles de l’Hégire qui doivent être appliquées après quinze siècles. Notre mouvement ne se sent pas lié par ces solutions ; nous ne voulons pas suivre ce qu’à pu dire un théologien il y a dix ou onze siècles. Pour nous, l’essentiel consiste dans la prise en compte et le respect des grands principes énoncés par le texte sacré, le Coran, mais avec d’autres applications ; nous ne demandons pas aux gens de revenir à un mode de vie traditionnel tel qu’il était vécu il y a dix ou douze siècles ; l’histoire ne fait pas marche arrière. Ce que nous demandons c’est un retour à des principes et non pas un retour à un mode de vie.
—Dans le monde musulman quelle est votre référence, puisque vous avez récusé tous les exemples que j’ai cités ?
Jusqu’à présent il n’y a pas de référence, peut être que ce sera la Tunisie. La Tunisie du vingt et unième siècle..
Note :1- Ayant quitté le mouvement Ennahda, A. Mourou ne peut plus s’exprimer, aujourd’hui, en son nom.
Entretien conduit par Jean-Paul Chagnollaud
Confluences Méditerranée, N°3, Printemps 1992
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