Interview de Abdelfattah Mourou
(publiée le 12 juin 1991 par Jeune Afrique)
" Moi, je dialogue "
Propos recueillis par Sophie Boukhari.
Jeune Afrique : Comment analysez-vous les événements d’Algérie ?
Abdelfattah Mourou : On ne peut pas imaginer une démocratie qui prendrait en compte toutes les sensibilités politiques sauf les islamistes. Ce qui s’est passé en Algérie ces jours-ci démontre qu’on ne peut marginaliser un parti populaire. Cette crise est survenue parce que la loi électorale promulguée il y a quelques mois a tenté de le faire.
J.A. : Cela légitime-t-il le recours à la force ?
A.M. : le recours à la force doit toujours être évité, surtout par les islamistes.
J.A. : Islamisme et démocratie sont-ils compatibles ?
A.M. : Les manifestations en Algérie n’ont pas pour but de mettre fin au processus démocratique. Les islamistes veulent simplement les mêmes droits que tous les autres partis.
J.A. : Mais ils n’ont pas hésité à mettre la démocratie en péril…
A.M. : Tout dépendra de l’armée. Si elle reste à l’écart, la plupart des partis voudront changer le code électoral.
J.A. : et en attendant ?
A.M. : S’il prend en compte l’existence des islamistes, un gouvernement de coalition est une solution. Il faut composer avec les islamistes et les non-islamistes. Il ne s’agit pas de mettre fin à la dictature d’un parti par la dictature d’un autre parti, fût-il islamiste.
J.A. :Le président Ben Ali triomphe aujourd’hui…
A.M. : Le président Ben Ali prend en compte la réalité tunisienne avant tout. Il sera forcément influencé par ce qui se passe en Algérie. La tension ne peut durer entre les islamistes tunisiens et le gouvernement. Il faut parvenir à une solution politique.
J.A. : De quel type ?
A.M. : il faudrait dialoguer. Hormis ceux qui ont essayé de recourir à la violence en Tunisie, il existe d’autres islamistes qui sont pour le jeu démocratique.
J.A. : Rached Ghannouchi, président d’Ennahda, en fait-il partie ?
A.M. : Non. Rached Ghannouchi a toujours refusé de dialoguer : il a choisi le recours à la violence. Mais il y a d’autres islamistes qui veulent dialoguer avec le gouvernement en place. Moi par exemple.
J.A. : Les événements d’Algérie vont vous rendre la tâche plus difficile…
A.M. : Tout dépend de leur aboutissement. Un gouvernement de coalition en Algérie faciliterait la tâche à tous ceux qui prônent le dialogue en Tunisie.
(Source: Archives de l’ITRI)
d’aprés Jeune Afrique N° 1589- Du 12 au 18 juin 1991, Eclairages/ L’événement, P.8)
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