Tunisie: le syndrome Beni Sadr
Les partis tunisiens dits modernistes et progressistes sont décidemment indécrottables. Comme jadis leurs confrères iraniens, ils se sont laissé convaincre d’une hypothétique normalisation, et donc récupération, des islamistes pour survireurs propres plans de prise du pouvoir. En Iran, on sait ce qu’il en a été. BeniSadr, représentant des courants modernistes, élu président, n’a pas tenu quelques mois avant d’être remplacé par son premier ministre, qui a été à son tour assassiné afin que tout le pouvoir revienne aux Mollahs.
EnTunisie, Rached Ghannouchi a commencé très tôt sa campagne de manipulation des défenseurs des droits de l’homme et des opposants progressistes. Dans les années 80, on entendait ainsi ces derniers répéter la chanson que leur a serinée le Cheikh : « Les islamistes tunisiens ne sont pas comme les autres islamistes, ils sont d’abord tunisiens, et donc nationalistes, et en cela ils sont uniques… il ne faut pas les comparer à d’autres, et bla bla bla ».
Sous Ben Ali, les islamistes ayant échoué dans leur démonstration de force avec le Dictateur se sont mis sous l’aile protectrice de la gauche et des démocrates sous l’appellation du Mouvement du 18 octobre. C’est ainsi qu’un Néjib Chabbi ,leader du Parti Démocratique Progressiste, est devenu (avec le conseil ou sur l’insistance des Américains) un des fervents défenseurs du droit des islamistes « à la liberté d’expression » (comme il est devenu d’ailleurs un fervent défenseur du libéralisme économique) ; jusqu’à il y a quelques semaines, Néjib Chabbi, alors qu’il était encore Ministre du développement régional, se défendait de son soutien aux islamistes par une pirouette : « La religion n’est pas une hérésie ! » – sous-entendu, il est permis d’en parler et d’en soutenir les représentants.
Hamma Hammami, patron du parti d’extrême-gauche le PCOT (Parti communiste ouvrier tunisien) aussi bien que Moncef Marzouki (chef du Congrès pour la République),ne sont pas les derniers à entretenir l’ambiguïté quant à une éventuelle alliance avec les islamistes. Ça, c’était du temps où Rached Ghannouchi proclamait qu’il n’était pas du tout, alors là, pas du tout intéressé par le pouvoir et qu’il le laisserait aux autres partis politiques ; que lui-même ne serait candidat à rien et que son modèle de régime n’était plus iranien ou soudanais, mais turc…
Aujourd’hui, les islamistes montrent leurs muscles et leurs gourdins. Ils s’attaquent aux artistes, aux femmes, et même aux imams qui ne sont pas de leur avis. Aujourd’hui, Rached Ghannouchi est candidat à tous les postes, y compris et surtout à celui de prophète à la place du prophète. Aujourd’hui, il freine de toutes ses forces l’adoption d’un Pacte républicain par le Haut comité pour la réalisation des objectifs de la révolution, Pacte dans lequel il est question de séparation de l’Etat et de la religion. Aujourd’hui, le porte-parole d’Ennahdha déclare dans une interview au journal Essabah du 22 avril 2011 :« Nous rejoignons l’organisation d’El Qaïda, le Hamas et les frères musulmans sur les grandes orientations ».
Vous avez bien lu, Ennahda est d’accord avec El Qaïda. C’est d’ailleurs dans cette même interview que le parti islamiste confirme implicitement la cour assidue qu’il a entreprise auprès des anciens RCDistes (dont le parti a été dissous après la Révolution) en déclarant qu’Ennahdha est ouvert à tous les Tunisiens sans exclusion.
Que faut-il de plus à tous les politicards de salons pour comprendre que, désormais, Ennahdha n’a plus besoin d’eux pour prendre le pouvoir et qu’il compte puiser dans le gisement des 3 millions d’ex-RCDistes pour y arriver ? Qu’est-ce qu’il leur faut pour comprendre ce qu’est un salafiste ? C’est peut-être cette myopie des partis politiques qui a poussé l’éminent et incontestable islamologue Mohamed Talbi à publier une interview (journal La Presse du 21avril 2011) au titre sans concession : « L’islam est laïcité »,véritable réquisitoire contre l’idéologie salafiste et contre l’hypocrisie du chef du parti Ennahdha.
Finalement, on peut se réjouir que le Cheikh Ghannouchi n’ait rien appris de ses erreurs du passé. Il n’est pas aussi rusé que Khomeiny pour attendre le bon moment pour se saisir du pouvoir. Son impatience et celle de ses adeptes ont le mérite de mobiliser la société civile et les vrais démocrates pour lui faire barrage… et nous éviter un scénario à l’iranienne.
Source : « Mediapart » Le 22-04-2011
Lien : http://blogs.mediapart.fr/blog/lotfi-mansour/220411/tunisie-le-syndrome-beni-sadr/
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