Elle avait à peine 17 ans quand en 2005, fuyant la misère, l'invivable
dans son pays, Rizana Nafeek a débarqué en Arabie saoudite pour chercher
du travail. Elle venait de Sri Lanka comme tant d'autres migrants issus
de l'Asie du sud, persuadée qu'elle avait laissé loin derrière elle
l'enfer et qu'elle allait trouver à Riyad l'eldorado dont elle rêvait.
La loi saoudienne interdisant l'emploi d'étrangers de moins de 18 ans,
avant de quitter son pays Rizana Nafeek a dû recourir aux services d'une
agence de recrutement pour falsifier la date de naissance figurant sur
son passeport. D'un simple trait de plume appuyé vraisemblablement par
un pot-de-vin, de 17 ans elle s'est fait propulser à 20. Si bien que
dès son arrivée à Ryadh le 4 mai 2005, la jeune sri-lankaise réussit à
se faire embaucher comme employée de maison. Une Cosette, dirait-on, de
la vie réelle, jetée au royaume des sables et du pétrole. Mais plus
démunie encore que sa cadette hugolienne, parce que chez des Thénardier
vivant dans l'opulence, les 3 ans gagnés par Rizana sur le papier
demandent à être payés quotidiennement en corvées supplémentaires.
Bref, les problèmes qui l’avaient ménagée à son passage des frontières
et les misères que cette fugitive de l'enfer sri-lankais a cru un
moment avoir laissées loin de l'Arabie ne tarderont pas à survenir, plus
aigus et tragiques, dans sa vie nouvelle.
Deux semaines à peine après son embauche, alors que ses employés lui ont
confié la garde de leur bébé de 4 mois, simple accident dû à la
négligence ou meurtre
irresponsable -personne n'en saura la
vérité, le bébé meurt dans ses bras. Et comme la domestique a été
houspillée quelque temps plus tôt, peut-être même battue par sa
patronne, elle a beau crier et clamer que le petit s'est étouffé à cause
du biberon, qu'elle n'était pour rien dans cette tragédie, ses
employeurs, ayant l'intime conviction qu'il s'agissait d'un acte de
vengeance, l'ont poursuivie pour homicide volontaire. Arrêtée, le jour
même Rizana Nafeek passe aux aveux.
Dans un pays où les droits de l'homme les plus élémentaires sont
bafoués, on peut aisément deviner par quels moyens l'instruction peut
avancer si rapidement et, surtout, efficacement. Et l'on ne s'étonne pas
que la justice soit à l'image de l'instruction, tout aussi expéditive.
D'autant que l'accusée dans cette affaire n'a bénéficié (ni au cours des
interrogatoires ni pendant le jugement) de l'assistance d'aucun avocat,
ni interprète compétent pour traduire du tamoul à l'arabe, ou vice
versa, ses récits des faits et l'acte d'accusation. Au cours du procès,
s'étant rétractée et ayant soutenu que ses aveux lui avaient été
extorquées sous la torture, elle a dû se démener comme elle pouvait pour
plaider prodo domo, et vainement, son innocence. Condamnée dès 2005 à
la peine de mort, la Cour suprême de Riyad a rejeté en 2010 l'appel. Et
bien que l'Arabie soit signataire de la Convention relative aux droits
de l'enfant, qu'en vertu de cette convention ce pays n'a pas le droit
d'appliquer la peine de mort à des personnes de moins de 18 ans au
moment des faits qui leur sont reprochés, la justice saoudienne a rejeté
toutes les requêtes, faites par l'accusée ou l'ambassade de son pays et
appuyées par un bulletin de naissance authentique, en vue de respecter
la loi internationale évoquée précédemment.
Durant 8 ans, Rizana a attendu dans le couloir de la mort. Et ceux qui
ont entretenu l'espoir de pouvoir la sauver n'ont ménagé aucun effort
dans ce sens. Mais ni sa famille, ses compatriotes, les ONG
internationales, les militants abolitionnistes, Amnesty International ni
le président même du Sri Lanka écrivant au roi saoudien n'ont pu
infléchir à la voix de la clémence et de la raison les bourreaux de
cette damnée de toutes les misères.
Sur simple présomption de meurtre, Rizana vient d'être décapitée par l'épée ce mercredi 9 janvier 2013.
A. Amri
10.01.2013
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