QUEL AVENIR POUR L’IRAK ?
LE DOCTEUR OMAR KOUBEISI DEVANT LE PARLEMENT EUROPEEN
Le BRussels Tribunal a organisé les 18, 19 et 20 mars, en coopération avec Vrede, 11.11.11, INTAL, the Beursschouwburg, European Parliament, Belgian Parliament et Les Halles de Schaerbeek, une conférence intitulée : Quel avenir pour l’Irak ? Cette conférence, tenue au sein du Parlement Européen, a réuni de nombreuses personnalités politiques, des experts et des activistes anti-guerre, ainsi que des témoins irakiens du désastre que vit leur pays.
Nous avons choisi de traduire pour nos lecteurs français, l’intervention du Docteur Omar Al Koubeisi, cardiologue de renommée internationale, qui a vécu l’invasion de Bagdad puis partagé les souffrances de son peuple jusqu’à ce jour du 5 mars 2005 où, menacé de mort comme nombre de ses confrères, il a été contraint de quitter son pays.
A.M.
Au Nom de Dieu, Le Clément, Le Tout Clément
LE DOCTEUR OMAR KOUBEISI DEVANT LE PARLEMENT EUROPEEN
Le BRussels Tribunal a organisé les 18, 19 et 20 mars, en coopération avec Vrede, 11.11.11, INTAL, the Beursschouwburg, European Parliament, Belgian Parliament et Les Halles de Schaerbeek, une conférence intitulée : Quel avenir pour l’Irak ? Cette conférence, tenue au sein du Parlement Européen, a réuni de nombreuses personnalités politiques, des experts et des activistes anti-guerre, ainsi que des témoins irakiens du désastre que vit leur pays.
Nous avons choisi de traduire pour nos lecteurs français, l’intervention du Docteur Omar Al Koubeisi, cardiologue de renommée internationale, qui a vécu l’invasion de Bagdad puis partagé les souffrances de son peuple jusqu’à ce jour du 5 mars 2005 où, menacé de mort comme nombre de ses confrères, il a été contraint de quitter son pays.
A.M.
Au Nom de Dieu, Le Clément, Le Tout Clément
Madame la Présidente, Honorables Députés, Mesdames et Messieurs !
Permettez-moi de vous remercier ainsi que tous ceux qui m’ont offert l’opportunité de vous rencontrer aujourd’hui pour vous informer de la triste réalité que vit notre peuple éprouvé. En fait, il s’agit d’une situation tragique et insupportable que tous les hommes libres de par le monde et tous les humanistes soucieux du devenir de l’humanité, de l’amélioration des conditions de vie matérielle et morale, se doivent de connaître pour y mettre fin. Dans le cas de l’Irak, il s’agit pour son peuple de disposer de ses ressources et de ses richesses naturelles pour améliorer ses conditions de vie : la santé, la nourriture et l’éducation.
Mesdames et Messieurs,
Je viens de ce pays de la Mésopotamie, connu à travers l’histoire pour être le pays de la terre noire, synonyme d’immense richesse, de grande densité de population et de l’excellence de ses conditions de vie. J’appartiens à un peuple qui croule sous le poids de l’histoire et des civilisations qu’il a données à l’humanité depuis le Code Hammourabi, code juridique le plus complet de l’antiquité…au premier alphabet.
L’Irak a attiré depuis des millénaires de nombreuses populations et diverses ethnies, si bien que son peuple se présente comme une véritable mosaïque. Toutes les composantes qui se sont rassemblées sur cette terre y ont vécu en paix malgré leur diversité religieuse, confessionnelle et de couleur.
L’Irak a connu aussi de nombreuses invasions, sa richesse et sa position stratégique ayant souvent attiré les envahisseurs de tous horizons. Il en est sorti toujours victorieux et uni, regardant toujours dans la même direction.
Mesdames et Messieurs,
L’homme qui vous parle est médecin de son état, un cardiologue qui a travaillé pendant près de quarante ans dans sa spécialité au sein de l’administration irakienne et qui a connu divers régimes politiques sans jamais se reconnaître dans aucun d’entre eux.
Les Irakiens, ses nombreux confrères et ses innombrables étudiants témoignent qu’il a fait don de sa vie à la médecine et à ses patients et qu’il a toujours assumé son devoir de médecin dans les secteurs civil et militaire, dans la pratique et dans l’enseignement.
Mesdames et Messieurs,
J’ai étudié et entrepris de nombreux stages dans les hôpitaux européens, notamment en France, en Italie, en Grande Bretagne, en Irlande et en Belgique, en cardiologie et à diverses périodes de ma vie et notamment tout au long de la guerre et du boycott qui ont étranglé mon pays et ce, pour faire profiter les patients irakiens et aussi mes confrères du savoir faire acquis. L’Irak subissait à l’époque un boycott total sur tous les plans scientifique, technologique et économique et cela pendant treize ans.
J’ai été témoin direct de l’invasion de mon pays et de l’entrée des blindés américains à Bagdad les 9 et 10 avril 2003. Ils ont pilonné, incendié, détruit et laissé la ville en flammes. Ils ont fait de même du Centre de Cardiologie où je travaillais qu’ils avaient pilonné puis laissé en proie aux flammes, au vol et au pillage, sans jamais intervenir pour l’empêcher. Ils étaient là pour veiller au bon déroulement de leur opération de destruction.
Dans ce centre, nous faisions jusqu’à huit opérations à cœur ouvert. De nombreux médecins Britanniques, Suisses, Français, Italiens, Espagnols et Allemands venaient nous apporter leur assistance dans le cadre de leur engagement humanitaire.
Je me souviens très bien de l’appel téléphonique d’un confrère du sud de la France qui connaissait le centre pour y avoir travaillé des années auparavant, m’avertir du devoir de quitter l’hôpital rapidement. Il suivait les bombardements en direct à la télévision et voyait bien que l’hôpital était la cible de l’aviation américaine.
Je pleurais à chaudes larmes et j’implorais le commandant de l’Unité de blindés qui dirigeait les opérations aux abords du centre de cesser les opérations et de protéger l’hôpital et lui de rétorquer du haut de son char que je devais cesser de larmoyer parce qu’ils vont nous construire un nouvel hôpital plus grand que le premier, plus majestueux et plus moderne...
Mesdames et Messieurs,
Quand mes confrères et mes étudiants ont appris que j’allais vous rencontrer, trois cent cinquante d’entre eux, regroupés dans une union constituée récemment, m’ont chargé dans une lettre qu’ils m’ont fait parvenir deux jours avant mon départ, de vous faire part aussi fidèlement que possible de leurs soucis et de leur grande inquiétude sur la situation sanitaire catastrophique en Irak.
J’ai quitté l’Irak après avoir essayé longtemps avec mes confrères de continuer le travail avec le peu qui restait du Centre de Cardiologie. J’ai dû quitter le pays le 5 mars 2005 après avoir reçu une lettre de menace de liquidation physique au cas où moi et mes confrères n’aurions pas quitté le pays à cette date. Cette lettre, ainsi que les moindres détails de son ton, sont toujours gravés dans ma mémoire et me donnent des frissons comme au premier jour.
Mesdames et Messieurs,
Avant l’invasion de l’Irak et malgré les conditions dures du boycott, nous avions dix huit facultés de médecine, six de chirurgie dentaire et quatre de pharmacie, ainsi que des dizaines d’écoles et d’instituts de formation d’infirmières et de personnel paramédical.
La première faculté de médecine de Bagdad a été ouverte en 1927. Le doyen en était le Docteur Birham Sanderson, auteur de mémoires sur la période pendant laquelle il avait travaillé en Irak, intitulées « Dix mille et une nuits ».
Nous avions plus de trente neuf mille lits de d’hôpital dans les CHU, les hôpitaux régionaux, cantonaux et autres subdivisions administratives du pays. L’Irak avait aussi plus de trente quatre mille médecins dont un cinquième de spécialistes. Les Universités sortaient chaque année plus de mille médecins et nous disposions d’une production scientifique médicale couvrant plus de trente spécialités. Deux cent cinquante médecins spécialisés sortaient chaque année.
Ce sont ces cadres et ce personnel paramédical qui, avec une rare compétence et une abnégation sans limite, ont pris en charge les patients, les blessés et les handicapés d’une guerre longue et meurtrière aggravée par un boycott dévastateur sur tous les plans, y compris scientifique.
La Constitution irakienne de 1920 a inscrit le droit des Irakiens à l’éducation gratuite et ce, pour tous les niveaux de l’enseignement ainsi qu’aux soins et à la prévention pour toutes les pathologies.
Les services de soins ont couvert tout le pays, les zones rurales comme les zones urbaines et les villes. Le système d’enseignement, initié par les Britanniques, a permis de former des médecins dont nombre d’entre eux travaillent dans les hôpitaux et les centres de recherche des pays européens.
L’UNICEF, l’UNESCO, la Croix Rouge Internationale et d’autres organismes régionaux et internationaux ont évalué positivement les réalisations irakiennes dans les domaines de la vaccination, des soins préventifs, de la protection maternelle et infantile, de la médecine du travail, de la médecine scolaire, de la lutte contre les épidémies et de la santé publique ainsi que le contrôle des naissances. Cette politique de santé publique a permis la baisse de la mortalité infantile depuis 1980 et empêché le développement des épidémies et des maladies contagieuses tels que le choléra, la poliomyélite, le tétanos, la méningite et la coqueluche.
L’Irak a été le premier pays de la région à maîtriser l’extension du SIDA, de la consommation des stupéfiants, à étendre la construction des centres de protection maternelle et infantile, ainsi que des centres spécialisés de lutte contre le cancer, des maladies cardio-vasculaires, des centres de soins des maladies de l’appareil locomoteur, centres d’endocrinologie, de radiologie, neurologie, ophtalmologie, de lutte contre l’infertilité, l’incapacité motrice, toxicologie, homéopathie, acupuncture…etc.
Nous avons obtenu de grands succès dans le programme de distribution des rations alimentaires, des cliniques populaires et de l’assurance maladie. Le programme Pétrole contre la nourriture et les médicaments a permis d’alléger les souffrances de la population.
La politique d’importation des médicaments et des équipements de santé, tout au long des années soixante-dix, a permis de garantir un approvisionnement de qualité, sûr et diversifié, provenant des laboratoires internationaux les plus illustres. Nous avions développé aussi une industrie pharmaceutique locale qui répondait aux normes internationales en vigueur. D’autre part et pour éviter tout débordement et tout abus, l’importation a été centralisée au sein d’un organisme dépendant du ministère de la santé et sous les auspices d’un organisme scientifique compétent.
Mesdames et Messieurs,
J’en arrive maintenant au bilan de l’invasion et de l’occupation de l’Irak en 2003, sur les plans sanitaire et humanitaire au moment où nous commémorons le sixième anniversaire de ce tragique événement.
Pour vous éviter la perte de temps, je vais vous résumer en quelques chiffres la situation qui est la nôtre, sur la base des rapports et des études effectués par des organismes internationaux reconnus pour leur sérieux et leur objectivité dans les domaines de leur compétence.
Vous aurez en même temps des reportages sur CD, pour vous donner une idée des destructions de l’infrastructure du pays ainsi que de la violence, du terrorisme et des assassinats ciblés, notamment de médecins et des scientifiques, qu’endure notre peuple.
Il n’y a pas meilleur moyen de vous faire vivre les souffrances des femmes, réduites au veuvage par centaines de milliers, des orphelins par millions ainsi que les millions d’Irakiens contraints de quitter leur pays. Il n’y a pas meilleur moyen de vous faire partager le quotidien des Irakiens qui subissent la croissance vertigineuse de la criminalité, des maladies contagieuses, du trafic illégal des médicaments avariés, des bombardements sauvages des zones habitées, des massacres perpétrés chaque jour et dont vous connaissez quelques uns, notamment Haditha, Zengil et Mahmoudya.
Il n’y a pas meilleur moyen de vous faire partager la peur des Irakiens, subissant les liquidations physiques sous le prétexte fallacieux de lutte contre le terrorisme, le déni aux irakiens de résister et de combattre l’occupant illégitime, alors que toutes les lois donnent au peuple occupé le droit de résister et de chasser l’occupant par tous les moyens mis à sa disposition.
Résumons-nous !
L’Irak a perdu 70% de ses médecins, contraints à l’exil.
Plus de 5500 de ses scientifiques ont été assassinés, emprisonnés ou contraints à l’exil. Plus de 70% de ses hôpitaux sont entièrement ou partiellement hors d’usage et le rendement de ceux qui fonctionnent est inférieur au minimum nécessaire. 90% des médicaments utilisés dans le pays sont le fait d’un trafic illicite par des gens sans rapport avec le domaine où les pharmacies n’ont aucun rôle et ne sont donc pas contrôlés.
Les hôpitaux sont souvent le lieu de prédilection des liquidations physiques pour des motifs ethniques ou confessionnels et de terrorisme des milices.
Le ministère de la Santé est dirigé selon des critères confessionnels qui déterminent l’identité du ministre et des directeurs généraux. Il est d’autre part dirigé par des partis et des milices confessionnelles, son budget est l’objet de tous les détournements et son administration est déficiente.
La Commission de l’Intégrité, organisme officiel, estime à 2 Millions de $ le montant des détournements dans ce ministère, notamment par le biais des faux contrats et des achats fictifs.
On n’envisage aucun rôle de contrôle sur ce ministère aux médecins députés au Parlement et il semble même que ces derniers jouent un rôle négatif et participent à la corruption.
Extension des maladies psychosomatiques, de l’usage des stupéfiants avec la reprise des cultures du pavot et de la production d’opium.
Manipulation des tableaux de médicaments
Extension des maladies contagieuses et recours officiel aux fausses statistiques sur le choléra, la rougeole, la coqueluche, les cas de Sida, de toxoplasmose et de parasitologie.
Extension des produits alimentaires avariés par une importation sauvage.
Extension des cas de cancer et des difformités physiques par suite des rayonnements des produits toxicologiques et cancéreux.
Les incendies d’arbres et de forêts entières et la contamination des rivières particulièrement dans le sud et le centre du pays, conséquence de l’utilisation par les forces d’occupation de l’uranium appauvri et du phosphore blanc ainsi que des bombes à fragmentation.
Empêchement de toute mesure de protection et de délimitation des zones polluées.
Dissémination des mines et des obus non éclatés provenant des guerres précédents, notamment dans la région de Bassora.
Absence de coopération avec les organismes humanitaires tels que la Croix-Rouge Internationale et la mauvaise gestion et la corruption au sein du Croissant Rouge Irakien.
Pénurie des médicaments et des équipements et des instruments suite à la part minime (4%) qui leur revient dans le budget du ministère de la santé.
Manque d’eau potable pour 70% de la population et absence de canalisations d’eaux usées, ainsi que de l’électricité.
Depuis l’occupation, l’Irak compte un des taux les plus élevés de mortalité infantile et de nouveau-nés.
Plus de 4 millions d’Irakiens vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Plus de 5 millions de déplacés et d’exilés, 1 million de veuves et un taux de chômage supérieur à 28% .
Plus de 400.000 prisonniers et détenus.
Le résultat : le constat très clair c’est que l’homme a été visé en Irak dans sa santé physique et mentale de même que dans son identité et ce, par l’intermédiaire de l’éducation et de l’enseignement qui lui sont dispensés. L’objectif est de détruire le potentiel humain du pays et de dilapider ses ressources matérielles pour parfaire la destruction du pays, le démantèlement de son unité et ce, par l’institution du professionnalisme à tous les nivaux de son administration, ce qui est en contradiction avec la compétence, l’honnêteté et le développement.
Traduit de l’arabe par Ahmed Manai
Source : http://iraqirabita.org/index.php?do=article&id=18621/
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