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Saturday, April 04, 2009




Le monde musulman face à Obama
Tarek Ramadan

Dans un récent article, je mettais en évidence le rôle crucial de l’ Union Européenne à l’heure de l’arrivée au pouvoir de Barak Obama aux Etats-Unis. Les pays européens ont effectivement une responsabilité fondamentale quant à l’influence qu’ils peuvent jouer afin de rendre la politique internationale véritablement multipolaire. Si l’on se tourne du côté des pays arabes et asiatiques majoritairement musulmans, on s’aperçoit que la même euphorie règne, une « Obamania » très répandue, qui laisse presque penser que le nouveau « messie américain » est arrivé et qu’il va sans doute régler la majorité des problèmes auxquels font face les différents pays. Outre la naïveté du propos et de l’attente (qui oublie que la politique Etats-Unis est bien autre chose que le symbole d’un homme et de sa couleur de peau), il convient, ici aussi, de reconsidérer les perspectives et d’établir clairement les responsabilités et la nature des espérances.

Dans un récent colloque qui se déroulait à Qatar au sujet des relations entre les Etats-Unis et « le monde islamique », nous étions une centaine de participants à débattre de la complexité, des avantages et des ambigüités de ces relations. Madeleine Albright, Barham Salih (vice premier ministre d’Irak), David Petraeus (ancien commandant des troupes US en Irak) et Anwar Ibrahim (ancien vice premier ministre et chef de l’opposition en Malaisie) ont participé à un important panel durant ces rencontres. On a pu entendre Anwar Ibrahim affirmer avec détermination qu’il fallait cesser cette litanie et ces attentes à propos de Barak Obama et que les sociétés majoritairement musulmanes étaient responsables de mettre de l’ordre dans leurs affaires. Le propos étaient effectivement bienvenu et il importe ici de répéter avec clarté que les sociétés majoritairement musulmanes - des politiques intérieures jusqu’aux conflits locaux (de la Palestine, à l’Irak, à l’Afghanistan ou aux menaces qui pèsent sur l’Iran) – sont les premières responsables de leur destin et qu’il faut cesser, pour les gouvernements comme pour la plupart des peuples, d’endosser en permanence le statut de « victimes ». Les peuples palestiniens, afghans ou irakiens sont bien sûr des victimes de leurs agresseurs mais ils sont aussi les victimes directes ou « collatérales » de la lâcheté et de l’hypocrisie des Etats et des gouvernements des sociétés majoritairement musulmanes.

Au-delà de la crise économique mondiale que nous traversons, ces dernières paraissent bloquées, politiquement, intellectuellement et culturellement. Dictatures, absences de débats pluralistes, déficit de renouveau et créativité sur le plan artistique et culturel (deux ou trois pays font exception), etc. : le tableau est bien sombre. Un grand mouvement de démocratisation réel et profond est nécessaire si l’on veut voir changer l’ordre des choses et assister au réveil d’un nouveau « monde musulman ». Ce mouvement de démocratisation exige d’abord une lutte généralisée contre la corruption qui sévit transversalement dans toutes les sociétés majoritairement musulmanes d’Est en Ouest. Rien ne pourra être espéré, ni réalisé, sans un minimum de transparence qui mette un terme aux passe-droits, au clientélisme, aux commissions illégales, au trafic d’influences, au non respect des institutions, etc. Le monde musulman aujourd’hui est un univers traversé par la corruption la plus tenace : les sempiternels discours sur la référence et l’éthique islamiques sont accompagnés des pratiques les plus hypocrites.

Il importe donc de voir se réveiller les sociétés civiles du monde musulman. Les peuples, et les intellectuels, ne peuvent pas rester ainsi passifs et rendre à leur tour seuls responsables de leur situation les Etats et les dictatures. Que celles-ci existent et que les peuples en soient victimes, cela ne fait pas l’ombre d’un doute mais cela ne peut justifier l’entretien d’une pensée victimaire qui justifierait l’inaction. La mise sur pied de cercles de débats populaires et les actions concertées de citoyens et d’organisations peuvent faire évoluer les choses. Le cas échéant des mouvements non violents de résistance de la société civile sont des moyens qui, par leur caractère de masse, peuvent ébranler les dictateurs en place : on ne voit rien de tout cela aujourd’hui. A travers le monde, de l’Amérique du Sud à l’Afrique et à l’Asie, le joug des dictatures a été secoué à l’exception notoire des pays arabes où les dirigeants sont encore « démocratiquement » élus à vie depuis des décennies.

L’exigence de l’Etat de droit et des élections libres et transparentes sont les troisième et quatrième conditions du processus qui doit être enclenché dans ces sociétés. Les modèles des systèmes politiques dépendent des histoires respectives, de la culture et de la psychologie collective mais les principes sont inaliénables : la régulation par le droit et le suffrage universel sont les seuls moyens pour permettre aux sociétés de sortir de leur impasse politique. Il faut dire et répéter que ces principes ne s’opposent en rien à la référence islamique : ceux qui affirment cela instrumentalisent la religion pour justifier, d’une façon ou d’une autre, la monopolisation du pouvoir ou de son opposition. La critique de ces postures, opposées en apparence mais objectivement alliées de fait, doit être radicale.

Parler de l’Etat de droit, du suffrage universel et de la société civile c’est bien sûr exiger, comme une conséquence, deux autres conditions (les cinquième et sixième), le statut égalitaire des citoyens (quelles que soient leurs croyances) d’une part, et la participation pleine et entière des femmes au processus de démocratisation. Il est urgent que les sociétés musulmanes, les acteurs politiques et les intellectuel(le)s clarifient leur position sur ces questions et déterminent clairement le droit des « minorités » et mettent en branle un processus d’émancipation des femmes au cœur du mouvement de libération des sociétés musulmanes. Contrairement à ce qu’affirment les opposants à ce processus, il ne s’agit pas d’ « occidentalisation » mais d’une réconciliation nécessaire de la pensée musulmane avec ses propres principes d’égalité des individus et des droits inaliénables des femmes à la participation à la vie sociale. Face aux esprits les plus conservateurs ou dogmatiques, c’est donc au nom, et non pas contre la référence islamique, que l’on devrait être en droit d’attendre une réforme générale du statut des femmes dans les sociétés majoritairement islamiques.

La septième et dernière condition consiste à demander des comptes aux élus du peuple, des parlementaires aux premiers ministres et aux présidents (ou aux rois). Leurs gestions des affaires doivent être soumises à un contrôle indépendant et transparent qui seul garantit le bon fonctionnement des institutions et la bonne gouvernance. Nous en sommes bien loin aujourd’hui et l’arrivée ou non d’Obama au pouvoir ne changera rien. Le « monde islamique » le blâmera sans doute bientôt de rester trop « américain » et de suivre encore et toujours une politique des intérêts « prédateurs » de son pays. On ne pourra s’empêcher d’en vouloir aux sociétés majoritairement islamiques, et notamment les pays arabes, de rester semblables à elles-mêmes et de nous offrir, encore et toujours, le spectacle de la dictature, de la corruption et de la résignation.

Samedi 04 Avril 2009
Tariq Ramadan

http://www.tariqramadan.com/spip.php?article10596

Commentaire de Ahmed Manai

Merci cher ami pour votre article en vous priant d’accepter ces quelques remarques.

Le propos de Anwar Ibrahim, tenu à la conférence de Doha, me semble quelque peu contradictoire avec la position qu’il a exprimée récemment dans une conférence organisée par le « Centre d’Etudes sur l’islam et la démocratie » à Washington le 10 mars 2009, et sa signature d’une lettre ouverte au président américain, l’appelant « à poursuivre le projet de démocratisation des pays musulmans, notamment par l’exercice de pressions diplomatique et économique sur ses alliés, ne répondant pas aux normes fondamentales des droits de l’homme ».

Le second point concerne la démocratisation de nos sociétés arabes et musulmanes et de la nécessité de rompre, comme vous le dites si justement, « avec le spectacle de la dictature, de la corruption et de la résignation qu’elle nous offre en permanence ».
Il m’est difficile de parler du monde musulman, entité englobant le quart de l’humanité et composée de nombreux pays et territoires, de centaines de peuples, d’ethnies et de peuplades avec des histoires politiques respectives parfois très différentes et, encore moins d’esquisser les perspectives de sa démocratisation. Je préfère parler de mon pays, la Tunisie, que je connais relativement bien.
Je dois avouer, au terme de mon expérience tunisienne, que le despotisme n’est pas l’apanage du seul pouvoir et de ses alliés. Ses opposants, « islamistes », communistes ou nationalistes arabes, pour ne citer que les grands courants idéologiques ayant donné naissance à des structures partisanes, n’ont pas souvent la démocratie au cœur. Leurs maîtres à penser et leurs leaders n’ont pas réussi à opérer leur mutation culturelle et politique et à couper le cordon ombilical avec leurs idéologies respectives de référence.
L’appel permanent à la démocratie est souvent un slogan vide de sens, un cri de guerre contre le pouvoir en place, puisqu’ils ne l’exercent pas au sein de leurs partis ni même à l’intérieur de structures associatives plus petites, offrant à nos concitoyens résignés, le spectacle de structures despotiques miniaturisées.
Notre génération, heureusement en voie d’extinction, a favorisé l’activisme politique aux dépens de la réflexion critique et de la pensée politique et certains d’entre nous continuent à crier sur tous les plateaux de télévision « qu’il faut abattre tous ces régimes »- je ne sais comment, à moins de rééditer l’expérience « de la démocratie américaine en Irak » et sans réfléchir le moins du monde aux lendemains de la dictature, historiquement plus difficiles que la dictature elle-même. De nombreux peuples en ont fait l’expérience.

Un dernier point enfin.
Les mouvements islamistes ont été au centre des débats, de l’action, des tensions politiques et de la contestation armée dans la plupart des pays musulmans et même ailleurs. Certains d’entre eux, se voulant pourtant modérés et se réclamant de la démocratie, ont commis des fautes très graves qui ont nourri le despotisme dans leurs pays respectifs, desservi l’islam qu’ils prétendent servir et nui à leurs compatriotes.
Il est de leur devoir de s’amender et de se remettre en question.
C’est, me semble-t-il, le premier pas, pour un pays comme la Tunisie de rompre avec le despotisme et de s’engager dans un processus démocratique nécessairement long et difficile.
Le deuxième pas est que « l’opposition » dépasse ses clivages, se restructure, élabore un projet pour le pays et s’engage dans l’indispensable dialogue avec le pouvoir, parce que s’il est vrai qu’il ne peut être question d’une démocratie sans opposition, il ne peut en être non plus sans un pouvoir et un Etat. Et que l’on veuille ou non, si l’on projette d’engager le pays dans la voie des réformes démocratiques et non pas de la déstabilisation et de la révolte, le président de mon pays m’est plus proche que Barak Obama.

Ahmed Manai

http://rsistancedespeuples.blogspot.com/
http://www.tunisitri.net/

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