Lettre ouverte au président et aux
membres de l’Assemblée Nationale Constituante
Appel pour rétablir
les relations diplomatiques avec la Syrie et l’envoi d’une délégation sur place
Monsieur Le
Président, Mesdames et Messieurs les membres de l’ANC
Je vous écris au sujet de la position de la Tunisie
vis-à-vis de la Syrie et de la crise que
connaît ce pays frère depuis bientôt dix
neuf mois, position qui s’est illustrée par une déviation complète par
rapport aux traditions de la diplomatie tunisienne, connue pour sa modération,
son indépendance et son respect des principes et valeurs qui fondent les
relations internationales.
Je me permets de vous rappeler brièvement ces positions au
cours des dix derniers mois :
La Tunisie a devancé tous les pays arabes pour renvoyer
l’ambassadeur syrien, à l’époque absent de Tunisie, et à rappeler son
ambassadeur et l’ensemble du personnel de son ambassade à Damas et à rompre les
relations diplomatiques avec la Syrie. Cela s’était fait dans la hâte et d’une
manière intempestive qui a surpris l’ambassadeur tunisien lui-même, et a porté
un grave préjudice aux deux mille cinq cents membres de la communauté tunisienne, coupés brusquement de
l’administration de leur pays.
Il est important de rappeler que toutes ces mesures prises
singulièrement, par les autorités tunisiennes, dans une précipitation
indescriptible et irréfléchie, et comme si nos intérêts supérieurs, concernant
le devenir de notre propre nation, étaient mis dans un péril grave et imminent
par le régime Assad, n’ont pas eu d’équivalent même chez les pays engagés
directement dans la destruction de la
République arabe syrienne. En effet, ces régimes et pays étrangers à la Syrie,
qui se sont autoproclamés libérateurs et « amis de la Syrie », se
sont engagés dans des opérations de propagande et de désinformation
manifestes, l’entrainement, le
financement et l’armement des bandes armées responsables de destructions
d’infrastructures civiles, et le terrorisme, au nom de la guerre totale qui n’a d’autre effet évident,
que de détruire la Syrie arabe qui
constituait pourtant, sous ce même régime que l’on dit honni, le refuge des
résistants palestiniens, des réfugiés libanais et des Irakiens, et le dernier
bastion du « front du refus » contre Israël ! Or, ces même pays ne s’étaient tout
simplement contentés que de retirer leurs ambassadeurs respectifs de Syrie et
de renvoyer les ambassadeurs syriens chez eux, sans toutefois, rompre les
relations diplomatiques ave la Syrie.
La Tunisie s’est voulue le fer de lance de la défiance
contre la Syrie, et elle a donc devancé les autres pays arabes en votant la
suspension de la Syrie de la Ligue Arabe, alors que celle-ci fût l’un des sept
pays fondateurs de cette même organisation en 1945. Malheureusement, et alors
que le temps aurait dû émousser l’animosité de nos dirigeants, la Tunisie a
confirmé et persisté dans son hostilité à la Syrie en votant sa mise au ban de
l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) lors de sa dernière réunion à
la Mecque. De là à penser que si l’occasion se présentait pour exclure ce pays de la « Conférence
des non alignés » dont elle fut membre fondateur et même de l’ONU, je ne
serai pas étonné que la Tunisie s’y engagerait tête baissée, démontrant ainsi
l’alignement aveugle et inconditionnel de
nos dirigeants sur les thèses et les plans diaboliques des ennemis de la
République syrienne, au nom d’un pseudo soutien à des mouvements hétéroclites
d’opposants suscités, instrumentalisés, voire embrigadés et financés dans les
pays traditionnellement soutiens d’Israël, et leurs alliés arabes ou régionaux,
de circonstance, qui se sont montrés amorphes, neutres et non concernés par les
attaques contre la nation arabe, comme ce fut le cas durant la guerre
israélienne contre le Liban, en 2006, ou le martyr de Gaza, en 2008, voire, à
Allah ne plaise, de connivence coupable avec les ennemis de la nation arabe et
soutiens d’Israël…
Mesdames et Messieurs
les membres de l’ANC,
Vous n’êtes pas sans savoir que le Président provisoire a
reçu une délégation de ce qu’on appelle le CNS, plus connu sous le nom du
Conseil d’Istanbul , tant est grande sa dépendance des services secrets turcs
et vous n’ignorez pas non plus que la Tunisie a hébergé une conférence
internationale ayant réuni tous les pays ennemis de la Syrie et engagés dans un
plan de destruction de ce pays. Mais dans tout cela, le plus désolant,
peut-être que vous ne le savez pas, est
que le communiqué final de cette conférence a été rédigé, au ministère
des affaires étrangères britannique, la veille de sa tenue…
De même que vous n’ignorez pas ou que vous n’ayez pas
remarqué que jamais un représentant de la Tunisie ne s’est absenté d’une
conférence ou d’une réunion à Istanbul,
Paris, Doha ou Le Caire, organisées par cette cohorte de guerre, ni aux
réunions organisées par la Ligue arabe, pour une fois unanime et toutes
consacrées à la Syrie, comme si les arabes avaient résolu tous leurs autres
problèmes, et dépassé leurs propres contradictions et conflits, dont certains
menacent pourtant leur sécurité et leurs économies : en témoigne la
récente attaque israélienne contre le Soudan et son démembrement, ou le drame
quotidien au Yémen, à Bahreïn, en Libye et en Irak, sans oublier l’éternel
problème palestinien, dont une partie des clefs se trouve précisément entre les
mains des « alliés » occidentaux des pays arabes engagés au service
de la défense des intérêts économiques et stratégiques de ces alliés contre
nature !
Je ne crois pas non plus que vous ignoriez les déclarations
multiples du Président provisoire appelant au départ du Président Bachar Assad.
Son délire virtuel l’ayant conduit même, non pas suggérer, mais à oser proposer
de son piédestal de Président, que le Président Bachar Assad fut reçu en réfugié politique en Russie, pays pourtant
souverain et qui ne dépend pas de la Tunisie à ma connaissance. Pire, et au
mépris des valeurs morales et des règles diplomatiques élémentaires, il l’a
menacé du même sort que feu Moammar
Khadafi ; peut-être projette-t-il de trouver dans cette fin l’occasion de rééditer
« sa prouesse » lors de l’annonce de l’assassinat du leader libyen.
Récemment encore, ce même président provisoire a eu assez de
culot pour demander le renvoi du Président Bachar Assad, devant la Cour pénale
Internationale, alors qu’il ne s’est guère gêné de se retrouver aux côtés du
Président soudanais, le général Al
Bachir, réclamé par cette même cour depuis des années pour « les
crimes » qui lui sont imputés au Darfour.
Je reconnais cependant que le président provisoire avait
tout à fait raison de condamner le boycott imposé à Cuba depuis des
décennies et j’aurai souhaité qu’il
condamne par la même occasion le boycott imposé à la Syrie et auquel participe
la Tunisie en violation flagrante du droit international.
Mesdames et Messieurs
les membres de l’ANC,
Les relations entre les pays sont fondées sur des principes,
des valeurs et des usages consacrés par la communauté internationale depuis des
siècles et avant même que l’humanité ne crée
les organismes et ne s’invente les modalités et les procédures pour les
gérer. Ainsi, parmi ces principes intangibles, il y a le respect mutuel entre
les Etats, la non ingérence dans les affaires intérieures des pays tiers et au
cas où une situation exceptionnelle viendrait à l’imposer, de le faire dans le
but de rapprocher les antagonistes et d’aplanir les différents pour éviter les
conflits armés et garantir la paix sociale et la sécurité des personnes.
Et c’est justement sur la base de ce principe et en
conformité avec sa Charte que la Ligue arabe a envoyé sa mission d’observation
en Syrie au début de cette année et l’a chargé d’enquêter sur la bonne
application de son plan pour résoudre la crise syrienne.
La mission était composée de plus de Cent soixante membres
venant de quinze pays arabes dont la majorité était hostile au régime syrien.
Il y avait quatre observateurs officiels tunisiens relevant des ministères de
la Défense, des Affaires étrangères et du Ministre de l’intérieur.
Force est de constater que malgré tout, le rapport
préliminaire était favorable à l’Etat syrien puisqu’il concluait à :
1.- L’absence de forces et d’engins militaires dans les
villes et leurs environs.
2.- La libération de milliers de détenus en relation avec
les derniers événements
3.- La présence en Syrie de nombreux médias et
correspondants de la presse arabe et internationale.
4.-Le constat le plus important était que les forces de
l’ordre ne tiraient que pour répondre aux tirs des manifestants et pour se
défendre en légitime défense. Ce constat qui a contredit les préjugés des
« va-t-en guerre » a contrarié certains pays, les a poussé à ignorer
le rapport sollicité et à éluder les faits objectifs, en portant l’affaire
devant un Conseil de sécurité, qu’ils pensaient moins regardant et donc plus
malléable.
J’ai eu l’honneur de participer à cette mission parmi les
quinze membres représentant les sociétés civiles arabes, et je témoigne que la
Ligue arabe avait la possibilité de participer sérieusement à la solution de la
crise syrienne si elle avait tenu compte des recommandations de ses propres
observateurs et permis de continuer leur mission. Mais hélas, le « Comité
spécial pour la Syrie » a préféré passer outre, et porter l’affaire devant
le Conseil de sécurité dans le seul but de faire voter une résolution
autorisant une intervention militaire étrangère, qui aurait mis ce pays à feu
et à sang et détruit irrémédiablement pour des décennies, les infrastructures
civiles et militaires et l’équilibre social sensible de ce pays de haute
civilisation arabe, à l’instar de l’Irak et la Libye.
Cet espoir fut heureusement contrecarré et déçu par l’usage
de la Russie et de la Chine de leur droit de véto, conscients qu’elles mêmes
seraient la prochaine cible de ce jeu d’infiltrations exogènes.
Cette situation a conduit à la « mission spéciale Kofi
Anane » avec ses observateurs militaires, laquelle a été condamnée à
l’échec dès son démarrage du fait que les pays meneurs du jeu avaient refusé la
coopération avec l’envoyé spécial. Nous rappelons à ce propos la déclaration
d’Alain Juppé, ministre des affaires étrangers
Français du 15/05/2012, celle de l’Emir du Qatar qui a donné tout juste
3% de chances de réussite à cette mission, et celle du président provisoire
tunisien qui a estimé que cette mission avait moins de 3% de chance de
réussite…
En réalité, la période de la « mission Anane » a
été l’occasion rêvée pour introduire davantage d’armes, de groupes terroristes,
de combattants et d’équipements en Syrie, ce qui explique la flambée de
violence qui l’a accompagnée et qui a
conduit l’envoyé spécial de l’ONU à reconnaître son échec mais à ne
jamais en expliquer les véritables causes, conscient du poids politique de ses
commettants…
Nous avons actuellement, en spectacle, « la mission
Lakdar Ibrahimi », et les nombreuses tentatives et actions pour la faire
échouer, mais aussi, face à une situation internationale, régionale et locale
très différentes de ce qu’elles étaient il y a six mois.
Au plan international, nous constatons que la coalition de
guerre contre la Syrie a fini par abandonner toute idée d’intervention
militaire directe et les gesticulations auxquelles nous assistons servent tout
juste à faire croire qu’elle demeure maîtresse de la situation, dans la guerre et
la paix.
A l’inverse, la situation internationale de la Syrie s’est
beaucoup améliorée surtout, depuis le soutien qu’elle a obtenu lors de la
« Conférence des non alignés ».
Au plan régional, nombre de pays, hier encore très engagés
dans les scénarios guerriers semblent s’assagir et modérer leur aventurisme, à
l’exception du Qatar dont l’Emir réclame toujours une intervention armée arabe,
à défaut de celle de l’OTAN, suivi de la Tunisie dont le président provisoire
se dit toujours prêt à envoyer ses troupes, comme si la présence de mercenaires
tunisiens en Syrie, ne constituait pas en soi, une mine à retardement et une
menace réelle pour notre propre avenir, comme ce fut le cas dans d’autres pays,
après le retour d’Afghanistan, des « anciens d’Al-Qaïda »… !!!
Il convient de rappeler à ce niveau, que l’intervention
étrangère en Syrie est bien réelle et ce, depuis le début de la crise, mais
elle n’est pas le fait d’unités issues des armées régulières, mais plutôt à
travers des combattants et des bandes criminelles de mercenaires terroristes
étrangers, dont quelques centaines de tunisiens, qui représentent selon le
quotidien Allemand « Die Welt »,
citant des sources des services spéciaux 95% des effectifs de l’ASL. Ce qui
fait froid dans le dos, et augure d’un avenir des plus sombres pour la future
stabilité et la paix dans notre belle Tunisie !
Face à ce déploiement hystérique de forces étrangères en
Syrie, mais au plan local syrien, nous avons assisté récemment à la tenue à
Damas d’une conférence unitaire de vingt deux partis d’opposition et puis sur
le plan militaire, à une maîtrise quasi-totale du terrain par l’armée arabe
syrienne.
Mesdames et Messieurs
les membres de l’ANC,
Vous êtes en tant que membres de l’ANC , les tenants de la
légitimité en Tunisie et il est de votre devoir de contrôler et de demander des
comptes aux représentants du pouvoir exécutif que vous avez élus, et qui
agissent au nom du peuple tunisien.
J’ai pris acte de votre attitude honorable et courageuse
dans l’affaire de l’extradition de l’ancien premier ministre libyen, Monsieur
AL BAGHDADI Al Mahmoudi , et je vous invite à interpeller les représentants du
pouvoir exécutif que vous avez élus, sur la politique hostile et agressive
vis-à-vis de la Syrie et qui risque d’engager le pays dans des aventures
guerrières si l’on croit l’insistance du président provisoire à envoyer un
corps expéditionnaire tunisien en Syrie,
que ce pays n’a pas demandé et qu’il n’acceptera jamais.
Je vous invite aussi à envoyer une délégation représentative
de votre honorable Assemblée pour aller en Syrie afin de se rendre compte sur
place, de la situation réelle dans ce pays que les médias du mensonge n’ont
cessé de dénigrer depuis près de deux ans, et aussi, pour renouer avec la
communauté tunisienne coupée de son pays et de ses représentants.
Vive la Tunisie
libre, indépendante, souveraine et solidaire des causes de la Justice et du
respect des règles de « non ingérence » et de bon voisinage.
Ahmed Manai
Membre de la Mission des Observateurs de la Ligue arabe en
Syrie.
Tunis le 28 0ctobre 2012
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