Omar
Ouhadj: "Aux syndicats, aux partis, à la gauche politique française d'être
mis le nez sur leur pourrissement"
A de rares exceptions, la gauche française
a toujours exprimé une ferveur coloniale aussi intense que la droite. Au
moment des massacres du 17 octobre 1961, cette gauche appliqua une nouvelle
fois son idéologie coloniale faisant du colonisé un sous-homme ne méritant pas la
solidarité du prolétariat blanc. Nous republions les extraits d'une d'interview
d’Omar Ouhadj dans laquelle il faisait une critique des positions de la gauche
coloniale française au moment du 17 octobre 1961.
Gageons que les héritiers de cette gauche,
qui commémoreront les massacres du 17 octobre 1961 cette
année, oublieront de rappeler les positions de leurs prédécesseurs.
Gageons aussi que, malgré leurs "larmes de crocodile" et leurs
indignations à retardement, ils continueront à mener la politique de leurs prédécesseurs complices
des massacres du 17 octobre 1961 lorsqu'il s'agira de dénoncer les crimes
racistes commis par des représentants de l'Etat, de lutter contre
l'islamophobie institutionnelle ou d'exprimer une solidarité conséquente avec
les peuples arabes de Palestine, du Liban ou d'Irak menant une lutte de
libération nationale.
Un mois après les massacres du 17 octobre
1961, Omar Ouhadj, cadre de l'Amicale générale des travailleurs algériens
(AGTA), branche syndicale de la fédération de France du FLN, expliquait à Jean
Cau :
« Nos manifestations ont eu un
objectif et un sens politique. Elles nous ont permis de mettre à nu, sur le
terrain, les possibilités des organisations qui nous prêchent, de dévoiler leur
"autorité", de leur infliger enfin une terrible leçon qui les a mises
en face de toutes les erreurs qu'elles ont engendrées et collectionnées depuis
sept ans. [...]
Nous avons évalué la solidarité des
travailleurs et du peuple français. Nous savons qu'elle n'existe pas en dehors
des communiqués, des tracts et des pétitions et des appels. Nous en prenons
acte. Aux syndicats, aux partis, à la gauche politique française d'être mis le
nez sur leur pourrissement. [...].
Voici leurs troupes : ces chauffeurs
de bus qui ne descendent pas de leur cabine lorsqu'on transforme leur autobus
en car de police ; les mêmes, qui signalent aux policiers, à Neuilly, par
des appels phare code, la présence d'Algériens dans leur autobus ; et des
ouvriers de chez Renault qui voient retirer, dans l'Ile Seguin, un cadavre
d'Algérien dela Seineet qui s'éloignent indifférents. Et il y a pire. Lorsque
dans les entreprises, usines, chantiers, la police vient et arrête les
Algériens - et cela se passe chaque jour - qui proteste ? Personne.
Lorsque, un matin, deux, trois ou cinq Algériens manquent à la chaîne, qui va
voir un chef de département ? Qui va lui demander : "Que se
passe-t-il, que sont devenus nos camarades ?". Qui va, délégué,
s'informer à leur domicile ? Personne !
Lorsque le mardi 17 octobre, des Algériens
poursuivis se réfugient à 20h, dans les escaliers et les couloirs d'un métro et
que la police les y traque et les y cerne et que se déroulent, sur les quais,
dans les escaliers, des scènes atroces, que se passe-t-il ? Les rames passent
et partent, chargés d'ouvriers et d'employés qui regardent la police
"trier" et accomplir sa besogne. Qui bouge ? Personne. Lorsque,
près des usines, des hôtels sont investis à n'importe quelle heure de la nuit
et du jour, et que des ouvriers voient cela - car ils le voient - que
font-ils ? Rien. Vous croyez que nous sommes étonnés ? Non. Cette
passivité, ce racisme latent, cette indifférence n'est que la concrétisation
politique de ce que nous vivons et subissons depuis des années. [...]
Tenez, des centaines de nos frères ont été
rapatriés vers leurs "douars d'origine", autrement dit :
expédiés dans des camps d'Algérie.
Nous avons informés partis et
organisations, du jour, de l'heure, du lieu du premier départ. Nous avons
attendu que le peuple des travailleurs français vienne à ce rendez-vous de la
colère et de la déportation.
Est-il venu, ce peuple? Devinez... ».
Jean Cau, « Un miroir pour les
Français », L'Express, 16 novembre 1961.
Youssef
Girard
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