
Ahmed Manai, ancien expert international auprès de l’ONU, militant en 
faveur d’une démocratisation de la Tunisie. En 1991, il a été arrêté et 
torturé durant plus de 15 jours consécutifs par les services spéciaux 
Tunisiens. Il a vécu dix huit ans en exil en France. Il est le président
 de l’Institut Tunisien des Relations Internationales et auteur du livre
 « Supplice Tunisien - Le jardin secret du général Ben Ali » aux 
éditions La Découverte. Grand connaisseur du parti islamiste Ennahda. Il
 a côtoyé les dirigeants de ce parti durant son exil avant de prendre 
ses distances définitivement aux années 90, depuis, il n’arrête pas de 
dénoncer leur projet politique caché.

Ahmed Manaï nous a confié son analyse et sa vision de la situation 
actuelle de la Tunisie deux ans après l’accès au pouvoir du parti 
Ennahda. Après l'assassinat de M. Brahmi, abattu jeudi près de Tunis, la
 nouvelle a secoué les Tunisiens en cette journée chômée marquant le 56e
 anniversaire de la République et des centaines de personnes ont afflué 
dans le centre de la capitale pour dénoncer l'assassinat qui intervient 
près de six mois après celui de Chokri Belaïd, une autre figure de la 
gauche tunisienne. Sa famille avait aussi accusé Ennahda, qui avait là 
aussi démenti toute implication. Le pouvoir avait imputé ce crime à un 
groupuscule islamiste radical.
Tunis Tribune : « Quelle est votre vision ou analyse de la 
situation politique dans laquelle se trouve le pays aujourd’hui et 
surtout avec ce nouvel assassinat ? »
Ahmed Manai : « Les islamistes ont échoué dans la 
gestion de la période transitoire sur tous les plans parce qu'ils ont 
raté la mutation nécessaire d'un parti d'opposition à un parti de 
gouvernement. Depuis 1956, date de l’indépendance de la Tunisie, et 
durant le règne de Bourguiba à Ben Ali (55 ans), le pays a connu un seul
 assassinat, celui de l’homme politique et l'un des principaux chefs de 
file du mouvement national tunisien, Salah Ben Youssef, assassiné le 12 
août 1961 à Francfort (Allemagne). Sous le règne d’Ennahda soit moins de
 deux ans (22 mois), le pays a connu trois assassinats (Lotfi Naghedh, 
Chokri Belaid et Mohamed Brahimi), ceci montre bien que les islamistes 
d’Ennahda n’ont pas foncièrement changé et qu’ils continuent toujours à 
véhiculer la violence et la peur ! Même si le discours a partiellement 
changé. » La preuve, le dernier dérapage du président de leur bloc 
parlementaire à l’ANC, Sahbi Atig, avec son appel sur l’avenue 
Bourguiba, lançant de graves menaces contre d’éventuelles actions contre
 sa supposée légitimité. « Toute personne qui piétine la légitimité en 
Tunisie, sera piétinée par cette légitimité et toute personne qui ose 
tuer la volonté du peuple en Tunisie ou en Égypte, la rue tunisienne 
sera autorisée à en faire ce qu’elle veut y compris de faire couler son 
sang (youstabahou) », a-t-il dit en substance.
Comment ose-t-en parler d’une légitimité périmée depuis au moins neuf mois ?
AM : « Il ne faut pas être naïf, les islamistes ont 
toujours eu une conception très spéciale de la démocratie, un moyen pour
 accéder au pouvoir afin de réaliser leur projet, plus globalement celui
 de la confrérie des Frères Musulmans et celui de Rached Ghannouchi.» Il
 n‘y a pas longtemps, j’ai entendu un de leurs disciples dire : « ça y 
est, c’est l’heure de la chahada qui approche, je me prépare pour mourir
 bientôt en martyr comme tous mes frères, bientôt on va être écarté du 
pouvoir par les gauchistes et notre seul salut c’est le jihad », a t-il 
ajouté ! En substance, Rached Ghannouchi est le premier responsable, 
c’est lui qui tient la mèche et les finances surtout, tout passe par 
lui. Je vous ai confié l’année dernière l’histoire des 200 millions de dollars offerts par l’émir du Qatar, Cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, un don effectué en deux tranches 2 fois 100 millions,
 une première par l’intermédiaire de Youssef Al Qaradaoui, et une 
deuxième directement de l’émir, C’était la confidence d’un ami 
journaliste de la chaîne Al Jazeera et qui en a démissionné depuis pour 
créer sa propre chaîne télé, lors de l’un de mes déplacements à Damas, 
dans ma mission d’observateur de la Ligue arabe en Syrie.
Qui est ce journaliste exactement ?
Il ne m’a pas autorisé à dévoiler son identité mais je vous ai donné 
assez d’éléments pour le reconnaître et j’ai totalement confiance en son
 témoignage. D’ailleurs, Walid Maalam, ministre des Affaires étrangères 
syrien, a confirmé l’info quelques temps après dans une interview au 
journal britannique « The Independent » Quand j’ai raconté ça au cheikh 
Abdelfatah Mourou lors d’une rencontre chez lui, il était très surpris 
que c’est moi qui le lui apprend vu sa proximité avec Ghannouchi et vu 
l‘énormité de la somme aussi ! ça représente environ 300 millions de 
dinars et c’est une sacrée pour un parti politique ! C’est avec ça qu’il
 tient le mouvement.
D’ailleurs, des informations m’ont été rapportées qu’à l’époque, le 
cheikh aurait reçu un chargement très spécial au port de Radès dans des 
véhicules tout-terrain (4X4), les anciens trafiquants pro-Trabelsi 
sévissaient toujours, avec la douane, ils étaient très faciles à acheter
 ! » Le cheikh fonctionne à l’ancienne, le magot est rangé certainement 
comme sauvegarder un bas de laine (le bas de laine ou la cachette dans 
un mur de la maison ou tout autre endroit) même si cela représente un 
danger puisqu’on pouvait très bien le détrousser à moins qu’il soit très
 bien protégé. Il tient le mouvement certes par son statut de fondateur 
mais aussi par cela ! La finance !
Les dons et contributions, qui arrivent au parti, sont toujours 
libellés à son nom, c’est lui qui reçoit et qui donne, en personne. 
J’avais constaté cela 20 ans plus tôt, alors que je commençais à 
découvrir ce mouvement et je l’avais raconté dans ces termes, dans une 
interview au mensuel Parisien Arabies, au mois de novembre 1992 : « 
Cependant, il (Rached Ghannouchi) conserve le pouvoir du seul fait que 
le mouvement ne peut, dans les circonstances actuelles, disposer des 
fonds accumulés durant des années: l'accord de Ghannouchi est en effet 
indispensable en tant que chef de la direction clandestine et unique 
Émir à l'heure actuelle, depuis qu'Ennahda ne compte plus d'Émir à 
l'intérieur du pays, contrairement à ce que prévoient les statuts de 
l'organisation ». Arabies : novembre 1992. Il paraît qu’à Tunis, il 
dispose d’un service de sécurité digne d’un chef d’état semblable ou 
plus à celui de l’ex-président Ben Ali. Depuis la chute de Morsi et des 
Frères Musulmans en Égypte, Ghannouchi a peur de la rue, il est engagé 
dans une fuite en avant permanente. Un des premiers fondateurs du 
Mouvement de la tendance islamique (MTI) lui a pourtant déconseillé 
d’engager le parti dans cette phase transitoire, il aurait du se 
contenter de deux ou trois portefeuilles ministériels mais le cheikh a 
la soif du pouvoir. Si ça se complique dans le pays, il fuira comme un 
voleur de là où il est venu. D’ailleurs, il a toujours sa propriété à la banlieue de Londres.
Entretien réalisé par Hannachi Issam
 
 
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