L'islamisme arabe face au défi de la mue en parti de gouvernement
TUNIS, Tunisie - Le coup d'Etat en Egypte illustre un échec à adapter le dogme islamiste au pragmatisme nécessaire pour gouverner, un signal pour le parti Ennahda en Tunisie qui doit achever cette mue afin de répondre aux attentes du Printemps arabe, selon des analystes.
Les Frères musulmans égyptiens dont est issu le président déchu Mohamed Morsi, tout comme le parti islamiste tunisien Ennahda, ont accédé au pouvoir dans la foulée de révolutions en 2011 dont ils étaient largement absents et ne peuvent revendiquer la paternité des revendications.
"Les islamistes ont été surpris par les révolutions, ils n'ont jamais pensé qu'ils gouverneraient et se retrouveraient à devoir assumer un Etat dont l'héritage est la corruption, la dictature", relève Sami Brahmi, chercheur en civilisation arabe et islamique à Tunis.
"Si aucun parti politique (en Egypte ou en Tunisie) n'est vraiment prêt à gouverner, à créer les conditions d'une démocratie, les islamistes doivent redoubler d'efforts pour convaincre", poursuit ce spécialiste car "l'islam politique n'a pas vécu sa révolution intellectuelle (...) pour convaincre le monde (...) que l'islamisme a élaboré une approche intégrant les libertés fondamentales".
Dès lors, les opposants dits "modernistes" maintiennent encore bien souvent une logique d'opposition frontale aux islamistes, accusés de chercher à instaurer une dictature religieuse.
L'intransigeance du président Morsi "a facilité la tâche de ses adversaires", relève Ahmed Manaï, président de l'Institut tunisien des relations internationales.
Cependant, le travail des islamistes au gouvernement a aussi été considérablement compliqué par la méfiance des élites administratives, relève Michael Ayari, de l'International Crisis Group.
"Ils sont arrivés aux affaires dans des sociétés avec de vieux appareils d'Etat, une administration ancienne bien en place qui résiste à servir ces nouvelles personnes car ils se sentent menacés par ces gens qui (...) n'ont pas la même culture qu'eux", note-t-il.
Et lorsque les Frères musulmans et Ennahda ont voulu, de manière plus ou moins unilatérale, purger des cadres, cela a été perçu "comme la preuve de tentations hégémoniques", dit-il.
"Pour résumer, les islamistes ont la légitimité démocratique, mais pas la légitimité technocratique et la légitimité révolutionnaire", poursuit cet expert.
Mais si les Frères égyptiens se sont laissés tenter par le passage en force, déclenchant le mouvement populaire qui a mis fin à leur expérience au pouvoir, les islamistes tunisiens se montrent plus enclins au dialogue.
Parfois à contre-coeur et toujours après de longs débats, ils ont renoncé à inscrire l'islam comme fondement du droit dans la future Constitution, à punir pénalement l'atteinte au sacré ou encore ont accepté de reconnaître les droits de la Femme.
En prenant de telles décisions "ils se sont mis en opposition avec les prédicateurs de leur propre mouvement", constate M. Ayari.
Avec seulement une majorité relative à l'Assemblée nationale constituante, Ennahda a aussi dû s'allier avec deux partis laïcs et se plonger dans des négociations avec leurs adversaires les plus farouches pour réaliser leur mandat: l'adoption d'une Constitution consensuelle.
Si ce processus a pris de longs mois de retard et a été déstabilisé par une succession de crises politiques et sociales, la situation n'a jamais dégénéré en choc frontal comme en Egypte.
"La conséquence en est surtout une dépolitisation et parfois une résignation des Tunisiens (...) qui attendront sagement les prochaines élections pour décider de leur sort et celui de leurs gouvernants", prédit Ahmed Manaï.
Le président tunisien Moncef Marzouki, un laïc allié à Ennahda, a aussi souligné que jusqu'à présent le "scénario égyptien" a été évité car les forces en présence s'efforcent de "vivre ensemble par le dialogue" malgré des désaccords idéologiques profonds.
Mais il note aussi qu'au delà de l'opposition entre deux camps, la dimension économico-sociale des soulèvements en Egypte et en Tunisie doit revenir au premier plan, la misère étant un moteur de mécontentement indépendant des prises de positions idéologiques.
"Nous devons bien comprendre ce signal, faire attention, comprendre qu'il y a de grosses demandes sur le plan social et économique", a rappelé le chef d'Etat tunisien.
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