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Friday, March 21, 2008

IRAK: Une errance sans refuge ni espoir



Une errance sans refuge ni espoir
Conflit. Des exilés irakiens à Paris évoquent la fuite de leur pays livré à la violence.
DJAMEL SOUAFA
QUOTIDIEN : vendredi 21 mars 2008
«J’étais soldat à Kirkouk, raconte Hassan, un déserteur de 25 ans. Quand ma femme a disparu dans un bombardement, j’ai préféré partir pour ne pas mourir moi aussi pour rien. Mais en Irak, il faut payer pour quitter l’armée, alors j’ai dû m’enfuir.» Comme lui, ils sont nombreux aux abords de la gare de l’Est, à Paris. Cinq ans après le début de l’intervention américaine en Irak, de nombreux réfugiés irakiens tentent de vivre ici clandestinement en attendant de poursuivre leur exil. Résidant dans un square, ils restent entre déplacés de même nationalité, entre deux voyages forcés. Ils témoignent de la violence qui persiste dans leur pays et qui les a poussés à fuir. Hassan est fataliste : «Les gens meurent tous les jours, ils sont obligés de partir.»
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 120 Irakiens disparaissent quotidiennement du fait des violences de tout ordre que connaît le pays depuis l’invasion, soit environ 85 000 depuis le début des opérations d’après une estimation de l’association Iraq Body Count. Une violence qui se traduit aussi par une criminalité endémique, dont Hassan a entendu parler par les quelques contacts qu’il a gardés avec sa famille, laissée derrière lui. «Je ne regrette pas Saddam Hussein, mais c’est devenu pire depuis l’arrivée des Américains.» Un chaos qui transcende, dit-il, les clivages communautaires. «Arabes ou Kurdes, nous avons les mêmes problèmes.»
Dépit. Ali, un ancien photographe, fait le même constat. «Avec la guerre, il n’y avait plus pour moi de journaux avec qui travailler. Et les autres emplois étaient fermés avec l’arrivée des compagnies étrangères.» Ali est parti pour l’Europe, par dépit. Comme Hassan, il insiste sur le fait qu’il n’avait «pas le choix». Pas question de revenir, aujourd’hui, pour retrouver l’insécurité, la misère ou les privations de droits, qui accompagnent la guerre civile. «Le pays s’enfonce. Tout est de plus en plus pourri. L’Irak, c’est fini.»
Ce sont, au total, plus de 4,5 millions d’Irakiens qui ont été contraints de quitter leur domicile. Parmi eux, plus de 2,2 millions ont fui leur pays, la plupart pour les Etats voisins. Pour le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) au Moyen-Orient, c’est le plus grand exode dans la région depuis celui des Palestiniens en 1948.
Certains vont plus loin, jusqu’en Europe, où ils espèrent bénéficier d’une meilleure protection. Leurs demandes d’asile, les plus nombreuses au sein de l’Union, sont toutefois très peu honorées, et beaucoup évitent de signaler leur présence sur le territoire européen.
Pour Hassan, la prochaine étape, c’est le Royaume-Uni. Ou ailleurs. «J’aurais envie de rester. Mais c’est impossible d’obtenir un passeport ici.» Ali, lui, ne se fait pas d’illusions. En France depuis quelques mois, il raconte être resté trente-quatre jours en prison en raison de sa situation irrégulière. «Je connais des gens qui sont ici depuis cinq ans sans avoir de papiers, alors je sais que pour moi cela ne va pas s’arranger tout de suite.»
Précaire. Comme Hassan et Ali, ils sont plusieurs centaines à vivre de manière extrêmement précaire en France. D’après Jean-Pierre Alaux, président du Groupe d’information et de soutien aux immigrés (Gisti), la condition de ces exilés est même une «catastrophe». Mais elle reste difficile à évaluer : «Ils parlent très peu de leur état. La plupart, issus de la petite bourgeoisie, en ont honte. Ceux qui ont eu les moyens de voyager jusqu’en Europe n’ont pas l’habitude de la vie dans la rue et de devoir recourir à la mendicité.»
Arrivés en majorité dans l’Union européenne via la Grèce, ils sont ensuite ballottés d’un pays à l’autre. La doctrine communautaire pousse les Etats membres à se défausser de ce dossier sur les pays d’entrée des exilés, dont la politique de reconnaissance du statut de réfugié politique est en général plus restrictive. «Les policiers italiens leur parlent, par exemple, du camp de Sangatte, d’où ils pourraient rejoindre l’Angleterre, alors qu’ils savent pertinemment qu’il a fermé en 2002. J’ai vu des exilés qui ont ainsi fait le tour de l’Europe, dans des conditions moyenâgeuses, sans trouver où s’installer.» Sans trouver non plus la paix, cinq ans après.


http://www.liberation.fr/actualite/monde/316899.FR.php
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