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Friday, March 14, 2008



Le cadeau de Peres à Sarkozy : "Déraciné ?"

A propos de l’oliveraie offerte hier à Sarkozy par le président d’Israël, un article en forme de témoignage, de Meron Rapaport et Oron Meiri sur un commerce juteux : celui des oliviers palestiniens déracinés et "achetés" pour être replantés en israël ou dans des colonies.

"DERACINÉ"

par Meron Rapaport et Oron Meiri

Mercredi, le 13 novembre, la ligne de séparation en face du Kibbutz Magal. Amos, un contremaître de l’entreprise "Les Frères Ben Rahamim", montre la marchandise à ses clients : Une oliveraie sur la colline près du village de Zeita. De beaux vieux arbres, du moins pour quelqu’un qui n’est pas expert en la matière. Il ne nous reste pas beaucoup de temps pour examiner la marchandise. "Ce matin il y a eu une fusillade par ici. Les tirs sont venus de cette fenêtre là-bas," dit Amos en indiquant une maison tout au bout du village.

Les clients, deux journalistes du journal "Yedioth Aharonot" et un photographe de presse, jettent un dernier regard sur les arbres. Ils nous plaisent et semblent être en bonne santé. On ne voit point de feuilles sèches. Un arbre de cette taille et de cet âge – on nous dit qu’il a plus de cent ans – pourrait se vendre pour 3000 à 5000 Shekel dans une pépinière israélienne. Nous disons à Amos que nous prenons 100 arbres. "Pas de problème", dit-il, "nous en avons autant que vous voulez." Nous demandons : "Quand pouvons-nous les prendre ?" Il répond : "Quand vous voulez. Dites-nous quand, et nous vous apporterons les arbres."

L’affaire semble en ordre, mais nous devons prouver que nous sommes aussi calés que lui. "Le chef a dit 1000 Shekel par arbre. C’est un prix exorbitant," disons-nous. Amos est vexé : "1000 Shekel, c’est bon marché. Il vous a déjà accordé une réduction. Je pourrais vendre un tel arbre pour 3000 Shekel. 1000 Shekel pour un tel arbre, c’est un cadeau !"

Trois jours plus tard nous rencontrons Ahmad Al Rafiq au même endroit, en face de la même colline. C’est un paysan du village de Zeita. Apparemment les arbres qu’Amos nous a offerts si généreusement sont les siens. Mais au fond il n’y a plus d’arbres et plus de colline. Il y a deux jours, les bouteurs ont passé par ici. D’une centaine d’arbres il en reste dix. "J’ai demandé aux responsables d’attendre et de me laisser déterrer les arbres moi-même. Mais il n’y avait rien à faire. Ils ne m’ont même pas permis de m’approcher. Ils ont dit : "Ta gueule, ou nous allons chercher les soldats !" Ils ont tout d’abord coupé les branches et les ont chargées sur un camion. Ensuite ils ont déterré les arbres nus et les ont chargés à leur tour.." Nous demandons quel âge avaient ses arbres. "Je ne sais pas," dit Al Rafiq, "j’ai 73 ans, et les arbres étaient déjà là quand je suis né. C’est mon grand-père qui les a plantés."

Derrière le déracinement des oliviers de Zeita se cache une vaste opération de pillage. Un reportage de "7 Days" (le supplément de fin de semaine de "Yedioth Aharonot") divulgue qu’à l’occasion des travaux le long de la ligne de séparation des milliers d’oliviers ont récemment été déracinés. Amos nous raconte que dans la région que nous venons de visiter 5000 arbres ont été déracinés. Et il ne s’agit que des deux ou trois premiers kilomètres d’une ligne qui aura une longueur de cent kilomètres. On estime que ces derniers mois, 20.000 oliviers ont été déracinés. Quelques-uns ont été détruits, d’autres transférés et replantés par les propriétaires palestiniens. Une grande part a été vendue à des pépinières en Israël.

Si seulement 1000 arbres ont été vendus – et l’empressement des Frères Ben Rahamim à nous vendre 100 arbres sur le champ, indique que se sont beaucoup plus – il s’agit d’un profit d’un million de Shekel. Les propriétaires palestiniens ne reçoivent pas un centime. Rien.

L’Administration Civile qui devrait se préoccuper du bien-être des Palestiniens, appuie ce pillage. "Vous pouvez prendre autant d’arbres que vous voulez, dites-moi seulement d’où et combien," nous dit Samir Mu’adi, le responsable de l’agriculture à l’Administration Civile au quartier général à Bet El.

Dans une pépinière dans la région de Sharon en Israël le propriétaire a admis qu’il connaissait l’histoire. Des douzaines d’oliviers sont étalés, les branches coupées ; il ne reste que le tronc. Les jeunes arbres coûtent 600 Shekel l’un ; les arbres qui ont entre 60 et 70 ans coûtent 1000 Shekel par pièce. Quelques arbres énormes sont rangés séparément : 5000 Shekel par arbre. Nous remarquons un arbre de taille exceptionnelle. "Cet arbre a 600 ans," nous dit le vendeur. "Il coûte 25.000 Shekel. Nous l’avons trouvé à Akraba. C’était le dernier en Cisjordanie. Il y avait encore environ dix. Nous avons vendu quelques-uns à des communautés locales et une paire à quelqu’un à Savyon" (quartier noble près de Tel Aviv). Le long de la "ligne de séparation" il y avait aussi quelques arbres anciens à un prix élevé. Abd el Jeli, dont les arbres d’environ 70 ans ont été déracinés, se souvient combien les entrepreneurs étaient enchantés de son arbre de 500 ans.

Le propriétaire de la pépinière nous explique le processus : Quand un arbre est déraciné au cours des travaux pour la clôture ou pour des routes de contournement, l’Administration Civile appelle le Keren Kayemet (Fonds National Juif), et celui-ci appelle les pépinières. Les propriétaires des pépinières arrivent et dès lors ce sont eux qui s’occupent de la question du déracinement. Pour un prix approprié ils sont disposés à transporter l’arbre et le replanter dans notre jardin privé. Notre interlocuteur nous assure que dans un an l’arbre aura des branches et portera des fruits.

Quelques faits et chiffres : Un olivier est une merveille de la nature. Ce n’est pas pour rien qu’il est devenu un symbole. Le professeur Shimon Lavi, un expert éminent dans ce domaine, nous raconte qu’il a déterminé l’âge d’un olivier à Ghétsémané, Jérusalem : Un arbre de 1700 ans qui porte encore des fruits. Des résidents arabes en Galilée racontent qu’il y a des arbres de 3000 ans. L’olivier est un arbre robuste et difficile à détruire. Si on le déterre avec précaution et lui octroie les soins appropriés, il y a une garantie de 95 % qu’il s’adapte à son nouveau milieu. Et même s’il n’est pas déterré et soigné correctement, il a tout de même 25 % de chance de survivre, nous explique le professeur.

Le rendement d’une oliveraie moderne en Israël est d’environ 1.5 tonnes de fruits par dunoum ; celui d’une oliveraie en Cisjordanie qui ne reçoit que de l’eau de pluie est de 200 à 300 kg de fruits par dunoum. Dans les Territoires Occupés ceci représente une source de revenu très importante. Les olives rapportent près de 60 % du rendement agricole, sans mentionner l’aspect émotionnel et symbolique de cet arbre. Ce secteur de l’agriculture a donc ainsi reçu le coup de grâce. Le rapport de la Banque Mondiale mentionne les éléments suivants quant à l’économie dans les Territoires Occupés, transmis par le Ministère Palestinien de l’Agriculture : Au cours des deux années de l’Intifada 160.000 oliviers ont été déterrés : par l’armée durant les opérations de "découverte" (déracinement par l’armée pour exposer/prévenir les cachettes des terroristes), pour les routes de contournement, durant les incursions des colons, et à présent pour la préparation de la "clôture de séparation".

Les premiers110 km de cette clôture passent par une région agricole. Des centaines de Palestiniens ont émis des recours contre la confiscation de leurs terres. Dans un village comme Zeita, la ligne de séparation fait disparaître la source de revenu des habitants. 450 dunoum ont été confisqués, 450 autres dunoum sont situés au-delà de la clôture et sont donc hors de leur portée. Mais la Cour Suprême d’Israël a rejeté tous les recours et a adopté le point de vue des forces de sécurité, à savoir que la clôture est indispensable à la sécurité. Les propriétaires en possession de documents qui justifient leurs revendications seront indemnisés.

Que se passe-t-il avec les arbres déterrés sur ces terres ? "Les arbres déterrés à cause des travaux pour la clôture doivent être transportés et replantés conformément aux demandes du propriétaire." C’est la réponse écrite du 3 novembre du Capitaine Gil Limon, conseiller juridique du Commandement Central, à l’avocat de l’organisation Kanoun, Azam Bshara, qui représente les propriétaires des terres aux environs de Qalqilya.

Il est vrai que beaucoup d’entrepreneurs qui participent à la construction de la clôture remettent les arbres aux propriétaires palestiniens. Durant les travaux à Falame et Jayous près de Qalqilya – et dans beaucoup d’autres endroits - les propriétaires ont pu reprendre possession de leurs arbres. Mais il y a eu trop d’incidents contraires. A Zeita, les villageiois ont voulu prendre leurs arbres déterrés, mais les gardes de sécurité ne leur ont pas permis de s’approcher. Les arbres ont été chargés sur des camions et ont disparu. Vers où ? Personne ne leur en a dit un seul mot.

La presse arabe en Israël a fait état d’un certains nombre d’Arabes israéliens qui étaient employés dans une pépinière dans le Nord du pays et qui ont été congédiés parce qu’ils ont refusé de déterrer des arbres le long de la ligne de séparation. "Ces arbres étaient réservés à des colonies ou à des pépinières en Israël," ont-ils expliqué à Faiz Abaz, le journaliste de "Yedioth Aharonot".

L’entreprise "Les Frères Ben Rahamim" est l’une des cinq entreprises chargées par le Ministère de Défense d’exécuter la première phase de la ligne de séparation. Le directeur, Shimon Ben Rahamim, n’était guère surpris quand nous avons dit que nous voulions acheter des oliviers. "Combien en voulez-vous ? De grands arbres ou de petits ?" nous demande-t-il. Nous répondons : "Cent grands arbres." Ben Rahamim dit : "Pas de problème. Parlez à notre contremaître Zion, examinez les arbres, et nous parlerons du prix. Environ 1000 Shekel par arbre. Zion va vous montrer tout ce que vous voulez voir. Vous prendrez ce qui vous plaît. Nous prenons les arbres que personne ne réclame et les transportons à l’endroit indiqué par le client."

L’olivier est une espèce protégée. Conforme à une loi turque qui est toujours en vigueur en Israël, une autorisation spéciale est nécessaire pour replanter un olivier qui a cent ans ou plus. Nous nous adressons au Fonds National Juif qui nous renvoie vers l’Administration Civile. Le responsable de l’agriculture, Samir Mu’adi, n’est pas dans son bureau. Il est en train de faire la cueillette des olives dans sa famille dans le Nord du pays. Quand nous présentons notre demande d’une autorisation pour transporter des arbres déterrés le long de la ligne de séparation, il nous assure que le processus est très simple. "Tu me donnes les détails de l’entreprise de transport, tu vas à la poste où tu paies environ 30 Shekel pour l’Administration Civile, et tu auras l’autorisation pour transporter des oliviers en Israël. Dis-moi où et combien, et j’arrangerai tout."

Alors je peux prendre autant que je veux ?

Pas de problème. Dis-moi seulement d’où.

Et si les Palestiniens ne sont pas d’accord. Ils ne vont pas me causer des difficultés ?

Evidemment ça ne leur plaira pas. Ce sont leurs arbres, et nous sommes en guerre. Les entrepreneurs devraient leur rendre leurs arbres comme convenu. Mais si tu me demandes si tu peux les prendre…Eh bien ! je pense que oui. Parle avec l’entrepreneur et dis-moi : Mu’adi, je voudrais transporter des arbres d’X à Y, et j’arrangerai l’autorisation, pour que tu puisses les transporter en Israël."

Le lendemain nous rencontrons Zion, le contremaître, près du poste de contrôle de Bak’a el Gharbiye. Zion nous envoie à Amos, et Amos nous montre les arbres. "Quel dommage que vous n’ayez pas été ici il y a quelques semaines" nous dit Amos. "Il y avait ici près de 5000 arbres et une foule immense. Nous avons vendu beaucoup d’arbres…." Amos ne se rappelle pas si ses ouvriers ont replanté des arbres pour les Palestiniens. Ils les ont mis de côte si personne n’en voulait. Les Palestiniens non plus ne se souviennt pas d’un replantage (pourtant, ils maintiennent qu’il s’agissait de 3500 arbres "seulement").

Nous feignons d’être préoccupés. "Et les Arabes ? Je ne veux pas affronter un Palestinien qui me dit que c’est son arbre et que je ne peux pas le prendre" expliquons-nous. Amos se fâche : "Je m’en moque. Quand ils me voient arriver, les balles leur montent dans la gorge. Ce matin ils ont lancé des pierres. J’ai tiré une ou deux fois, boum-boum ! Je suis allé les voir dans leur maison et je leur ai dit : ’Si vous recommencez, je vous achèverai tous’.."

Nous retournons chez Shimon Ben Rahamim. Nous lui disons que ses arbres nous plaisent et demandons à nous entendre sur une réduction de prix si nous prenons 100 arbres. Il est d’accord. Il nous les donnera pour 800 Shekel par arbre. "Si vous les prenez sans la T.V.A. je vous les laisse pour 650 Shekel par arbre." Le propriétaire qui a hérité les arbres de ses ancêtres et, pendant toute sa vie, s’est dévoué à leurs soins, ne reçoit pas un centime. Et le Trésor non plus !

Nous retournons chez Mu’adi. Il est dans son bureau au quartier général de l’Administration Civile à Bet El, après qu’il a fini de cueillir ses olives. Nous lui racontons que nous avons trouvé des arbres et conclu l’affaire. A présent il ne nous faut plus que son autorisation. "Envoyez-moi l’argent, et tout sera arrangé," il nous dit. Nous payons 34,50 Shekel à l’Administration Civile. Quelques instants après nous recevons l’autorisation par fax – une autorisation pour l’importation en Israël de cent oliviers protégés de Zeita. C’était tout simple, beaucoup trop simple !"

CAPJPO-EuroPalestine


publié le mercredi 12 mars 2008

Article imprimé à partir du site de
l'Association CAPJPO-EuroPalestine; : http://www.europalestine.com

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