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Friday, March 07, 2008

RÉFUGIÉS

UN TSUNAMI DE MISÈRE ENVAHIT L’IRAK

C’est un véritable raz de marée de misère et de violence qui recouvre l’Irak mais ce n’est pas celui auquel les Américains sont habitués car sa nature est sociale et économique : il chasse les hommes de leur travail, les balaie de leurs foyers, les arrache à leurs biens matériels, et les sépare de leurs familles et de leurs communautés. Les victimes de ce tsunami sont qualifiés de « réfugiés » si elles atterrissent hors des frontières de l’Irak ou Personnes Déplacées à l’Intérieur (PDI) si leur aire d’atterrissage est au sein des frontières de l’Irak. Peu importe, parce que de toutes manières, les deux catégories se retrouvent sans rien, ni domicile fixe, ni moyens de subsistance suffisants, ni aide gouvernementale.

« L’Irak, tel que vous et moi l’avons connu,

n’existe plus »

Au cours des quatre dernières années, la guerre en Irak a crée trois vagues de réfugiés et PDI.

La première a commencé avec la création de l’Autorité Provisoire de la Coalition ayant à sa tête, L. Paul Bremer III qui s’activa immédiatement à démanteler l’appareil d’Etat irakien par des purges de fonctionnaires baasistes, la fermeture des entreprises industrielles d’Etat, jetant ainsi dans la rue des dizaines de milliers d’ouvriers, le démantèlement de l’armée de Saddam Hussein laissant sur le trottoir des centaines de milliers de militaires. Leur nombre se démultiplia puisque la perte de leur pouvoir d’achat eut un effet avalanche à travers toute l’économie. Sans emploi ou avec un emploi moins bien rémunéré, ils s’exilèrent vers les pays voisins. Le chaos s’installant après la guerre, les enlèvements devinrent l’industrie principale du pays, ciblant les familles prospères qui pouvaient payer les rançons. Cela ne fit qu’accélérer le rythme des départs, particulièrement de ceux dont la carrière était brisée. On vit donc un flot de personnel qualifié, techniciens, managers, etc .. partir ailleurs à la recherche de sécurité professionnelle et personnelle.

C’est ce que le décrit un blogger AnaRki13 « Ce ne fut pas vraiment une migration mais plutôt un exode forcé. Scientifiques, ingénieurs, médecins, architectes, écrivains, poètes, entre autres, tout le monde est en train de partir…… sunnites, chiites, chrétiens, tout le monde part ou est parti…Je dis toujours « l’Irak, tel que vous et moi l’avons connu avant n’existe plus. Ce qu’il en reste, je n’en veux pas ». Les plus grands docteurs et professeurs d’université ne sont déjà plus là parce que beaucoup d’entre eux….ont été assassinés ou tués et le reste a reçu le message ou ont obtenu des emplois à l’Ouest où ils ont été chaleureusement accueillis. Les autres millions d’Irakiens, de pauvres Irakiens, sont partis sans aucun plan et sans beaucoup d’espoir ».

En 2004, les Américains ont engendré une deuxième vague de réfugiés quand ils ont commencé à attaquer, de tout leur poids militaire, et envahir les places fortes des insurgés comme ils le firent à Falluja en novembre 2004. Evacuation ou pas, les habitants fuirent en masse les lieux des combats. Le processus a été résumé par Global Policy Forum et 35 ONG internationales : « ….beaucoup se sont enfuis dans la campagne où les conditions de vie sont extrêmement difficiles. Finalement, la Croix Rouge, les agences des Nations Unies ont pu établir des camps. Falluja, comptant 300 000 habitants, plus de 216 000 personnes déplacées durent chercher un abri dans des camps surpeuplés, au cours de mois d’hiver, sans vivres, eau, soins médicaux fournis de manière adéquate. 100 000 personnes fuirent Al Qaim, ville de 150 000 habitants, selon les chiffres du Croissant Rouge Irakien, qui s’ajoutèrent aux 70% de la population de Ramadi de 400 000 habitants qui fuirent devant l’avancée des troupes américaines. Ces évènements marquent le début du déplacement massif de la population ».

Si une grande partie de ces déplacés rentrèrent chez eux après les combats, une minorité importante ne suivit pas parce que maisons, moyens d’existence étaient détruits ou bien qu’elle craignait la persistance de la violence. Comme pour la première vague, les professionnels quittèrent l’Irak parce qu’ils en avaient les moyens.

Nettoyage ethnique, conséquence des attaques US

Au début de 2005, la troisième vague commença, pour se poursuivre l’année suivante, avec le nettoyage ethnique et la guerre civile qui a poussé un flot énorme d’Irakiens hors de chez eux. Les incidents qui l’ont précipité, selon Ali Allawi, alors ministre des finances, furent déclenchés par les réfugiés de la deuxième vague refoulés de Falluja, au cours de l’hiver 2004. « Les réfugiés en provenance de Falluja convergèrent sur les quartiers ouest sunnites de Bagdad, Amaryia, Ghazaliya qui étaient sous le contrôle des insurgés. Ces derniers, aidés souvent par des parents de réfugiés, se retournèrent contre les résidents chiites du voisinage. Des centaines de familles chiites furent chassés et leurs maisons furent accaparées par les réfugiés. Le ressentiment des arabes sunnites de la « collaboration » chiite avec les forces d’occupation s’était accumulé, exacerbé par l’apparente indifférence des chiites face à l’assaut de Falluja ».

« A leur tour, les chiites se cabrèrent devant les attaques quotidiennes sur des policiers et soldats, chiites pauvres pour la plupart. Les sunnites dans les quartiers à majorité chiite devinrent la cible, début 2005….. La mort d’un cheikh de la mouvance sadriste, Chiekh Haitham al Ansari, à Bagdad, quartier Shaab, conduisit à la formation du premier escadron de la mort chiite. Le cycle de massacres, d’assassinats, de bombes et d’expulsions se nourrissait l’un l’autre, et se développa en un nettoyage ethnique sur une grande échelle des environs et des villes ».

Le processus s’intensifia, en 2006, avec l’attaque contre la mosquée de Samara, mausolée révéré par les chiites, et culmina, en 2007, en raison de la présence militaire américaine renforcée dans les rues de Bagdad qui relâcha le contrôle des sunnites sur les quartiers mixtes ou proprement sunnites de la capitale. 25 quartiers environ sur les 200 quartiers mixtes devinrent ethniquement homogènes. Un processus similaire eut lieu dans les quartiers sud de la capitale. A mesure que les groupes minoritaires étaient rejetés des quartiers ou des villes, ils se joignaient au flot des personnes déplacées, s’installant souvent dans des maisons inoccupées dans des quartiers nouvellement purifiés dominés par leur propre communauté ou alors s’en allaient très loin, même hors d’Irak.

Le poids humain

Il est difficile d’établir avec certitude le nombre d’Irakiens qui a quitté l’Irak sans parler des personnes déplacées. Mais les chiffres connus dépassent, et de loin, le nombre de ceux qui avaient fui l’Irak sous le régime de Saddam Hussein.

Dès 2006, les chiffres officiels du Commissariat aux Réfugiés donnaient 1.7 million de réfugiés irakiens et un nombre équivalent de PDI. L’Organisation Internationale des Migrations estimait que le taux de personnes déplacées se situait en 2006 et 2007 à 60 000 personnes par mois. A la mi-2007, les Nations unies qualifiaient cette crise de «pire déplacement de population que l’Irak moderne ait jamais connu ». Tandis que la Syrie qui n’avait placé, à l’origine, aucune restriction à l’absorption des réfugiés en accueillait 1,25 million début 2007, 150 000 par la suite – soit 10% de sa population- la Jordanie, 500 000, l’Egypte, 70 000, les Etats du Golfe, 200 000, les Etats-Unis en acceptaient 463 entre le début de la guerre et mi 2007. L’arrivée de troupes US supplémentaires et les expulsions ethniques en masse ont généré un déplacement de population accru, soit 100 000 par mois au cours de la première moitié de 2007. Les personnes déplacées à l’intérieur sont, quant à elles, selon les Nations unies, estimées à 2,25 millions en septembre 2007 avec pour conséquence directe de peser sur les ressources des provinces où elles s’établissent. La ville de Najaf qui comptait 700 000 habitants dut abriter 400 000 chiites de plus et dans les trois autres provinces du sud, elles constituent plus de la moitié de la population.

L’exode de la Diaspora irakienne a sévèrement appauvri le capital humain du pays. Le Comité pour les Réfugiés et Immigrants des Etats-Unis estimait, en 2006, que 40% de la classe professionnelle avaient quitté l’Irak emportant avec elle des compétences irremplaçables. Le secteur du pétrole a souffert, selon le Wall Street Journal, un « exode pétrolier » avec le départ des deux-tiers de ses 100 principaux dirigeants, ainsi qu’un nombre considérable d’ouvriers ou employés qualifiés. Le Commissaire aux Réfugiés lançait un cri d’alarme en 2007 « que les compétences que requièrent les services de base se raréfient » signalant particulièrement la pénurie de docteurs, d’enseignants, de techniciens informatiques, d’artisans qualifiés comme des boulangers.

La dégradation de l’Irak sous l’occupation US, l’exode massif avec pour corollaire la destruction du capital humain ont fondé les deux prétentions de Bremer pour la « reconstruction de l’Irak » : elle serait le fait de sociétés privées et elle serait en grande partie réalisée par des entreprises et du personnel extérieurs, privant ainsi l’Irak de toute indépendance pour des décennies à venir.

Source : Michael Schwartz, War Without End : the Iraq Debacle in Context (Haymarket Books, June 2008)- Mother Jones, 11 février 2008

Paysans irakiens, du riz à l’opium

La culture du pavot destinée à la fabrication de l’héroïne s’étend rapidement en Irak, sur le modèle de l’Afghanistan, car les paysans n’obtiennent plus des cultures traditionnelles des revenus suffisants pour vivre.

Les premiers champs sont apparus dans la province de Diwaniyah, dans le sud de l’Irak, autour des villes de Ash Shamiyah, al Ghammas, Ash Shinafiyah, où, auparavant, les rizières, le long de l’Euphrate, faisaient la renommée de la région. A partir de là, ils se sont développés dans la province de Diyala.

Selon l’agence de presse irakienne, al Malaf, les paysans de ces régions se tournent vers cette production car ils ne reçoivent aucune aide du gouvernement pour compenser la cherté du fuel et des engrais. Ils ne peuvent de plus concurrencer les importations bon marché de fruits et de légumes. « La culture de l’opium est donc la solution à ces problèmes » même s’il semble que ce revirement agricole ne soit guère spontané. L’Irak n’a jamais été un gros consommateur de drogues et il n’existe pas encore de laboratoires de transformation. Cependant, il sera difficile aux autorités de stopper la culture et la contrebande de l’opium car une grande partie du pays est aux mains de groupes criminels.

Source : Patrick Cockburn, Opium, Iraq’s newest export, 23 mai 2007, 24 janvier 2008

Amitiés Franco-Irakiennes- N°83- 5 Mars 2008

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