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Monday, October 18, 2010

Chrétiens d’orient

Le singulier destin des chrétiens arabes (1/2)

par René Naba - le lundi 18 octobre 2010

Chrétiens d’orient part 1/2 :

I -Une communauté en survie

Un synode sur le Moyen-Orient se tient du 10 au 24 octobre au Vatican, alors que les chrétiens arabes, généralement considérés comme une communauté en survie, opèrent, pour la première fois dans l’histoire, une mutation stratégique majeure privilégiant leur enracinement local et leur environnement régional sur leur traditionnelle allégeance occidentale, notamment au Liban, avec l’alliance sans précédent opérée, au grand désespoir des occidentaux, entre le Hezbollah libanais, l’organisation politico-militaire chiite libanaise, et le général Michel Aoun, ancien commandant en chef de l’armée et chef de la principale formation politique chrétienne.

Situés à l’épicentre du conflit entre Islam et Occident, perçus tantôt comme passerelle entre deux mondes tantôt comme les supplétifs d’une cinquième colonne d’une nouvelle croisade contre l’islam, au gré des exacerbations des conflits entre les deux rives de la Méditerranée, ils assument, souvent avec bonheur, sans la moindre acculturation, une fonction d’intermédiation culturelle rare au monde.

Singulier est le destin de ces chrétiens originels, de ces chrétiens des origines de la chrétienté, dits « chrétiens d’orient », ballottés entre Orient et Occident, tiraillés entre leur appartenance socio-culturelle arabe et la communion religieuse qui les lie à l’Occident, entre leur communauté de destin avec leurs compatriotes de confession musulmane et leur communauté de croyance avec les occidentaux, dans une zone où ce même Occident a souvent fait fi des impératifs de survie de ses coreligionnaires, au bénéfice exclusif de ses intérêts stratégiques, contre les intérêts à long terme de la présence chrétienne en terre arabe.

Au point de faire peser une suspicion permanente sur les chrétiens d’Orient en général, les chrétiens arabes en particulier, au point que plane le risque de leur anéantissement tant du fait de leurs divisions que de l’aventurisme de certaines de leurs factions dirigeantes, que des discriminations dont ils sont l’objet. Au point d’assumer nolens volens une fonction exutoire à tous les débordements occidentaux et aux frustrations de leur environnement arabo musulman.

Environ 13 millions de chrétiens, soit la population du Benelux, vivent aujourd’hui au Proche-Orient, en Turquie et en Iran et autant dans les pays de la diaspora en Amérique du nord, en Amérique latine, en Australie et en Europe occidentale. En l’absence de statistiques précises, il est difficile d’évaluer correctement la part de la population chrétienne dans chacun des pays du Moyen-Orient. Selon les estimations les plus généralement admises, le Liban compterait environ 30% de chrétiens, la Syrie 10%, la Jordanie 2%, l’Irak 3%, la Palestine 2%, l’Egypte 8%, Israël enfin 10% essentiellement des Arabes israéliens, un borborygme qui désigne les Palestiniens porteurs de la nationalité israélienne.

Les chrétiens dans le monde arabe appartiennent à une douzaine d’Églises différentes, résultats de nombreux conflits et schismes depuis que le Christianisme est devenu religion d’État dans l’empire romain sous Constantin, en 313. Quatre Églises différentes ont prospéré autour de quatre évêchés : Rome (Église catholique romaine ou latine), Constantinople (Eglise grecque orthodoxe), Antioche (Eglise grec catholique melchite, Eglise syrienne et jacobite) et Alexandrie (Église copte). (1)

Héritière des premières communautés chrétiennes (Jérusalem, Antioche, Alexandrie, Constantinople), la chrétienté d’orient est dirigée par onze patriarches et chefs d’Eglises catholiques (coptes, maronites, grecs catholiques, arméniens catholiques, syriens catholiques, chaldéens), une communauté riche d’une histoire prestigieuse, d’un patrimoine ancestral, d’une expertise irremplaçable.

La judaïsation rampante de la Palestine, l’implosion de l’Irak du fait américain, auparavant la guerre inte- factionnelle du Liban, l’instrumentalisation de l’Islam à des fins politiques contre le courant nationaliste à l’apogée de la guerre froide soviéto-américaine (1950-1990), la montée en puissance des islamistes en Egypte, les manifestations contre les caricatures de Mahomet (publiées dans des pays « chrétiens »), l’isolement iranien depuis la crise nucléaire ont aggravé la marginalisation de ces minorités au point que cette présence bimillénaire risque d’être balayée par le vent de l’histoire, victime de la radicalisation des crispations transméditerranéennes.

Au Liban, 40 % des chrétiens auraient quitté le pays depuis le début de la guerre, en 1975, mais la diaspora déployée en Amérique du Nord (Etats-Unis, canada), en Amérique latine, en Australie et en Afrique, est active et garde des liens puissants avec la mère patrie.

En Irak, la population chrétienne présente en Mésopotamie depuis deux mille ans, a diminué d’un tiers depuis le conflit Iran Irak et les deux guerres contre Saddam Hussein (1991 et 2003). Elle n’est plus que de 650 000, soit moins de 3 % de la population. Des églises ont été attaquées à Bagdad, Kirkouk, Mossoul. Les chrétiens continuent de se réfugier au Kurdistan irakien, en Jordanie, en Syrie, au Liban et, pour les plus aisés, en Amérique du Nord.

En Egypte, les coptes pâtissent aussi de la progression des Frères musulmans. Aux discriminations dans l’accès aux emplois publics s’ajoute la radicalisation religieuse. La Haute Egypte est, depuis longtemps, le théâtre d’agressions antichrétiennes, forçant à l’exode les coptes d’Egypte.

En Palestine, l’exode se poursuit aussi en Palestine dans les territoires occupés de Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza. Les chrétiens palestiniens ne seraient plus qu’entre 50 000 et 80 000. À Bethléem, la cité de la nativité du Christ, les chrétiens ne représentent plus que 30% de la population, après avoir été plus de 80% pendant des siècles. Et le maire chrétien de Bethléem a été élu grâce au soutien du Hamas, soucieux de maintenir une diversité au sein de la population palestinienne. En 1948, Jérusalem comptait environ un cinquième de chrétiens. Ils ne sont plus aujourd’hui que 2%.

Aux dernières élections, la majorité s’est portée sur les listes du Fatah, mais des chrétiens ont aussi voté pour le mouvement islamiste victorieux du Hamas. Les chrétiens jouent un rôle dans la direction de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, et six sièges sur 88 leur sont réservés au Conseil législatif. Mais ils s’inquiètent de l’islamisation de la société, des restrictions à la circulation induite par le mur d’apartheid israélien.

A l’exode se superpose une nouvelle donne, la concurrence sur leur propre terrain des prédicateurs américains,

· des Evangélistes Pentecôtistes aux Témoins de Jéhovah -, à la faveur de la précarité économique et sociale générée par les guerres du Moyen orient. Le phénomène est particulièrement sensible au Liban, en Palestine, en Jordanie et en Irak. Il se déploie progressivement au Maghreb, notamment en Algérie et au Maroc, où la chrétienté s’est souvent confondue avec la présence coloniale sans le moindre enracinement historique local, qui fait apparaître un chrétien arabe comme une « incongruité ».

II – L‘appel du Vatican pour une coopération islamo chrétienne face à la « menace islamiste »

Dans un document préparatoire au synode sur le Moyen-Orient (2), le haut clergé de l’Eglise d’Orient estime que le conflit israélo-palestinien constitue le « principal foyer » d’instabilité de la région et que « l’occupation israélienne des territoires palestiniens et de territoires libanais et syrien » est la « cause » de « l’hostilité entre les Palestiniens et le monde arabe d’un côté, et l’État d’Israël de l’autre ».

Fruit d’un conseil pré synodal composé de sept patriarches des six Églises orientales catholiques, du patriarche latin de Jérusalem, de responsables de la curie romaine et des présidents des Conférences épiscopales turque et iranienne, le texte déplore la confusion faite entre religion et politique à propos de la stratégie occidentale en direction de la zone.

Il souligne l’importance de bien distinguer politique et religion : « Les options politiques des États occidentaux sont mises sur le compte de la foi chrétienne. Il est important d’expliquer le sens de la laïcité et de rappeler qu’il n’existe pas une Ligue des États chrétiens semblable à l’Organisation de la conférence islamique (OCI). »

Il estime les chrétiens au nombre des « principales victimes » de la guerre en Irak, ce dont « la politique internationale ne tient aucunement compte ».

Constatant « la montée de l’islam politique, à partir des années 1970 », il invite les chrétiens à « faire tomber les barrières de la peur, de la méfiance et de la haine, par le biais (de leur) amitié avec les juifs et les musulmans, les Israéliens et les Palestiniens ».

Déplorant la profonde division des chrétiens du Liban sur les plans politique et confessionnel », de même qu’en Egypte où « la montée de l’islam politique et le désengagement des chrétiens de la société civile rendent leur vie sujette à l’intolérance, à l’inégalité et à l’injustice », Le conseil pré synodal s’inquiète par conséquent de l’émigration des chrétiens de la région, affirmant que « ce serait une perte pour l’Église universelle si le christianisme devait disparaître ou s’affaiblir précisément là où il est né ». Il invite enfin chrétiens et musulmans à affronter « ensemble » la « menace » islamiste.

III – La contribution des Arabes chrétiens à la renaissance du monde arabe

Principaux éclaireurs d’avant-garde du monde arabe, La contribution des arabes chrétiens, particulièrement des Libanais, à la renaissance du Monde arabe est connue et reconnue que cela soit dans la formation de partis trans arabes en lutte pour l’indépendance des pays arabes (2), que dans le combat pour la libération de la Palestine, ou dans la renaissance culturelle du monde arabe.

La liste est longue de ces figures historiques de l’universitaire Edward Saïd, à Monseigneur Hilarion Capucci, Archevêque grec melkite catholique de Jérusalem, emprisonné pour son soutien à la cause palestinienne, à Georges Habbache, Chef du Front Populaire pour la Libération de la Palestine, auparavant chef du Mouvement Nationaliste arabe, tombeur du protectorat britannique d’Aden, au poète Kamal Nasser, porte parole de l’Organisation de Libération de la Palestine, assassiné à Beyrouth par les israéliens en 1973, à Michel Aflak, Fondateur du parti Baas, longtemps au pouvoir en Syrie et en Irak, à Farjallah Hélou, premier chef du parti communiste libanais, dissous dans l’acide par les services syriens, à Mgr Atallah Hanna, évêque grec orthodoxe de Jérusalem.

Sur la liste figure aussi, les intellectuels palestiniens Constantin Zreik et Emile Habibi, le député palestinien Azmi Bishara, ancien membre de la Knesseth israélienne, Boutros Boutros Ghali, ancien secrétaire général de l’ONU, voire Tareq Aziz, inamovible ministre des affaires étrangères de l’Irakien Saddam Hussein, le grand écrivain libanais Gibrane Khalil Gibrane, auteur de l’inoubliable livre « le prophète », la libanaise Feyrouz, chantre de la grandeur arabe, sa relève putative Julia Boutros, passionnera de la résistance libanaise au sud-Liban, de même que le chanteur Marcel Khalifé, ou encore les frères Taqla –Sélim et Béchara Taqla–, fondateurs, le 5 Août 1876, du plus prestigieux journal égyptien « Al-Ahram » (les Pyramides), qui demeure encore de nos jours l’un des pus grands titres de gloire du savoir faire journalistique libanais.

A toutes les étapes de l’histoire de la presse, dans tous les domaines de l’impression et de l’édition, qu’il s’agisse de la mise en activité de la première imprimerie arabe en terre d’Orient, du lancement des grands journaux contemporains ou encore de la mise en place d’une presse périphérique transfrontalière, la contribution des Libanais ne souffre aucune contestation.

De 1888 à 1929, soit en quarante ans, pas moins de 268 titres de journaux en langue arabe rédigés par des Libanais étaient recensés dans les deux Amériques, dont 79 aux Etats-Unis et 95 au Brésil, ainsi que 133 titres en Europe.

A son indépendance en 1943, alors que la presse du Golfe était encore à ses premiers balbutiements et que l’analphabétisme était le lot général d’une grande fraction de l’ensemble arabe, le Liban comptait déjà 132 publications dont 17 quotidiens et 15 revues hebdomadaires pour une population de 1,5 millions d’habitants et une superficie de 10.400 km2, record mondial absolu pour la densité démographique per capita. Une cohorte de plumes parmi les plus réputées du monde arabe Gébrane Tuéni (Al-Ahrar-les Libéraux/1924), Youssef Moukarzel (Ad-Dabbour- Le Bourdon/1923), Alexandre Riachi (Al Sahafi al Taeh, le journaliste errant/1922), Said Freyha (As-Sayyad-Le chasseur), ainsi que la triptyque prestigieuse, le duo francophone Georges Naccache et Michel Chiha (L’Orient-le Jour) et leur équivalent arabophone Ghassane Tuéni (An-Nahar) ont fait office de référence à toute une génération de journalistes.

Dans les années 1960, au lendemain de la traumatisante défaite de la 3 me guerre israélo-arabe de juin 1967, alors que la presse arabe nationalisée sombrait dans le conformisme bureaucratique d’une couverture de l’actualité institutionnelle, les journaux de Beyrouth donnaient l’impulsion éditoriale à l’ensemble de la zone compensant ainsi par une fonction tribunicienne assumée au niveau de l’opinion internationale, la défaite historique du nationalisme arabe. Toutes les chapelles du nationalisme, du marxisme et du fondamentalisme religieux y avaient pignon sur rue et disposaient de journaux forts documentés sur les pays de la zone, à la plus grande satisfaction et au plus grand bénéfice de quelque cents cinq correspondants étrangers accrédités dans la capitale libanaise.

Abritant avant guerre, près de trois mille imprimeries et une centaine maison d’édition, Beyrouth a édité une littérature politique supérieure en quantité, et souvent en qualité, à la totalité des pays arabes, et, se jouant de la censure, courante dans ces pays, en a assuré la diffusion.

Premier diffuseur de la presse au niveau arabe, le Liban assurait à cette époque la circulation de 1.358 titres, toutes périodicités confondues (quotidien, hebdomadaire, mensuel, trimestriel, annuel) sur un total de 2.741 titres circulant dans le monde arabe, soit dix fois plus que l’Egypte, le plus grand pays arabe et dont la population s’élève à 60 millions d’habitants. Dans la tourmente de la guerre civile (1975-1990), la presse libanaise s’est maintenue, manifestant au cours des quatorze ans de conflit une formidable capacité d’adaptation, reflet d’un farouche instinct de survie. A Londres et à Paris qui ont abrité jusqu’à une trentaine de publications libanaises, les patrons de presse avaient aménagé une zone offshore pour l’édition et la commercialisation de la presse libanaise à vocation panarabe, déblayant ainsi le terrain au lancement des vecteurs trans-arabes modernes, puis ultérieurement aux chaînes satellitaires.

Admettre le rôle pionnier et innovateur des chrétiens Libanais dans le développement de la presse arabe et dans la diffusion d’une pensée pluraliste au niveau transcontinental, s’acquitter en quelque sorte de cette dette d’honneur, autorise en contrepoint une lecture critique du bilan. L’exercice pour difficile qu’il soit est néanmoins nécessaire. Il participe même d’un acte de salubrité publique.

Références

1 – Le synode spécial sur les Eglises d’Orient réunit, sous l’autorité du Pape Benoît XVI, neuf patriarches, 72 archevêques, 67 évêques, 10 chefs de congrégations ainsi que des experts civils, sous le thème « Les églises d’orient : témoignage et participation ». Tous les chrétiens dans le monde arabe ne sont pas Arabes ce qui justifie le terme de chrétiens d’Orient, car au delà des arabes chrétiens il existe des Arméniens (Liban Iran Syrie) et des Assyro Chaldéens, majoritaires parmi les chrétiens d’Irak. D’autres divisions sont apparues au quatrième siècle (créant l’église arménienne), au cinquième siècle (assyrienne en Mésopotamie et en Iran), au septième siècle (l’église maronite au Liban). Avec les croisades, et plus tard, l’affaiblissement de l’empire ottoman et la recherche de soutien en Europe, certaines églises ont reconnu la primauté de Rome et ont été appelées « Églises uniates ».

Elles ont gardé une grande autonomie et conservé leurs rites, leurs coutumes, comme la possibilité pour des hommes mariés d’être ordonnés prêtres, et leur langue liturgique (arabe, grec, araméen, syriaque). Plus tard, au XVII e siècle, les Assyriens en Mésopotamie et en Iran se sont scindés entre Chaldéens (rattachés à Rome) et Assyriens (non uniates).

2- Le Texte intégral du document pré synodal a été publié ans le quotidien libanais d’expression française « L’Orient Le Jour » en date du 20 janvier 2010.

René Naba

Ancien responsable du monde arabo-musulman au service diplomatique de l’Agence France Presse, ancien conseiller du Directeur Général de RMC/Moyen orient, chargé de l’information.

Rene Naba est l’auteur des ouvrages suivants :

"De notre envoyé spécial, un correspondant sur le théâtre du monde" Editions l’Harmattan Mai 2009

"La Libye, la révolution comme alibi" Editions du Cygne septembre 2008

« Liban : chroniques d’un pays en sursis » Editions du Cygne janvier 2008 , « Aux origines de la tragédie arabe » - Editions Bachari 2006. "Du bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire français"- Harmattan 2002.

« Rafic Hariri, un homme d’affaires, premier ministre » (Harmattan 2000). « Guerre des ondes, guerre de religion, la bataille hertzienne dans le ciel méditerranéen » (Harmattan 1998).

Blog : http://www.renenaba.com/?p=2867/

1 comment:

Anonymous said...

Thanks :)
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