SUR LA COUVERTURE D’UN LIVRE
Trois visages souriants contre un mur ; le quatrième est un dessin signé Ernest Pignon-Ernest. Ils sont jeunes tous les quatre. Les trois enfants sont chaudement vêtus, le grand est en chemisette d’été ; il n’a pas froid et n’aura plus jamais froid. Ernest l’a saisi à l’été de sa vie un livre à la main, revenant de ses études, devant l’immeuble du quartier Champ de manoeuvre, l’ancienne rue Flaubert, à Alger.
C’est à cette adresse que Maurice Audin et Henri Alleg ont été arrêtés le 11 juin 1957 par des militaires portant l’uniforme français. L’un des prisonniers en est sorti vivant et a pu raconter cette histoire dans un livre, La Question. L’autre n’en est jamais revenu. Il demeurera éternellement jeune, comme l’image l’immortalise.
Ce 11 juin 1957, j’étais à Alger. Simple soldat, j’ai dû avec d’autres monter la garde non loin de la maison du drame ; je n’ai rien su et ne me souviens de rien. L’art réveille la mémoire et peut conduire au savoir. Cette photo, prise en 2003, que m’a donné Ernest, est à sa place sur la couverture du livre. Elle est doublement emblématique du contenu.
Il y a quelques années, la revue “Europe” avait publié un premier travail sur le déroulement des événements du 8 mai 1945 à Sétif et dans le Constantinois, tels qu’il m’avait été donné de les reconstituer à partir de témoignages recueillis auprès de la diaspora Berbère des Bouches-du-Rhône. La dédicace rendait hommage à un instituteur : Guy Monnerot et son épouse Janine, premières victimes d’une guerre qui se déclarait.
Aujourd’hui, notre image de couverture, empruntée au « Parcours Maurice Audin » d’Ernest Pignon-Ernest, achève la mise en regard de deux assassinats de jeunes enseignants français, l’un au tout début l’autre au plus aigu de la guerre d’Algérie. Guy Monnerot fut abattu sur la route de Biskra dans les Aurès, le 1er novembre 1954, par un groupe de rebelles alors qu’il rejoignait la petite école où il devait enseigner. Maurice Audin sera arrêté et torturé à mort par des parachutistes français le 11 juin 1957 non loin de la faculté d’Alger où il était assistant.
L’ORDRE DES PASSEURS DE SAVOIR
Hasard de mauvaises rencontres ? Non, ceux-là qui consacrent leur vie à la transmission des connaissances et des oeuvres d’art, sont continûment aux prises avec les forces du mal ; cette chevalerie laïque est la première visée. Et peu importe ici les motivations qui armèrent les tueurs, l’oeuvre essentielle de transmission du savoir, portée tout au long des siècles par une minorité d’aventuriers de l’esprit, ne pèse pas lourd lorsque s’allument les brasiers.
Certes, les brasiers aussi projettent leurs lumières, on peut aimer leurs étincelles. Chacun tisse son ouvrage aux lueurs de sa propre lanterne. Rhapsodie ne vaut pas mélodie ni rengaine. Rhapsodie, en Méditerranée, annonce la mémoire au travail de celui qui rassemble les morceaux épars de l’histoire pour éclairer les zones d’ombre et répondre aux vivants éveillés. Le sommeil de la raison engendre les monstres (Goya). La cour écoute-t-elle ? Oui, l’assemblée écoute et le conte peut commencer. Chacun dans l’assistance connaît déjà l’histoire, mais le narrateur enchaîne à sa façon et les noeuds de la trame surviennent où l’on ne les attendait pas. Ce n’est pas un brasier qui luit, à peine un ver luisant, et l’auditeur garde lui aussi sa petite lampe en veilleuse prête à briller du crépuscule à l’aube. Le jour venu il marchera un livre à la main.
Qui je suis, d’où je viens ? demande l’enfant d’immigrés en lisière du récit ; cette question vitale n’importe quel fils de France pourrait se la poser aussi. La scène est le vaste paysage méditerranéen où s’agitent les peuples, les rois, les papes, les califes et les guerriers. Pourtant le récit nous ramène constamment au présent, ne serait-ce que par le sort qu’il réserve aux arguments prétendument historiques que nous jettent à la face les partisans de l’exclusion de l’Autre.
« Essai métissé » peut s’entendre de plusieurs façons. L’auteur ne respecte guère les plates-bandes universitaires et saute d’une discipline à l’autre sans vergogne. Le métissage humain est au centre du débat ; et la question récurrente sur les yeux bleus et les cheveux blonds de certains Berbères trouve un semblant de réponse. On ne s’interdit pas de regarder ce qu’étaient ces races maudites des pays d’Oc ni de s’interroger sur l’éclosion de la lyrique des troubadours. Le rôle capital des Africains du Nord dans le miracle d’al-Andalous est souligné. Quant aux Sarrazins et leur chèvre d’or, c’est l’occasion de dévoiler le mystère ! Nous avons tenté un périple sans frontières aux temps où ni les Pyrénées ni le détroit de Gibraltar ne séparaient les hommes. Une chanson de geste aux franges des grands débats contemporains.
INVITATION :
La Maison de la Poésie et Jean-Marie Lamblard seraient heureux de vous recevoir mercredi 10 novembre, à 19 h.
Pour la présentation du livre :
Rhapsodie méditerranéenne
Les Nouvelles Éditions Loubatières ; Libre parcours.
En compagnie de :
Emmanuel Laurentin, animateur de “La fabrique de l’Histoire”, France Culture.
Avec le concours de Lyèce Boukhitine, réalisateur et scénariste ; Pierre Constant, metteur en scène et comédien ; Claude Guerre, directeur de la maison de la Poésie.
Le verre de l’amitié, préparé par Moïse Kemmache Restaurant des poètes, achèvera la rencontre.
Maison de la Poésie, passage Molière, 157, rue Saint-Martin, Paris 3e (À 100 mètres du Centre Pompidou. Métro Rambuteau , ou RER Les Halles / Entrée de parking rue Beaubourg.)
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