Nouvelle publication sur Tunis Tribune |
La politique étrangère Tunisienne version Qatarieby César |
Professeur
émérite en relations internationales à l’université de Kassel en
Allemagne, Werner Ruf, 70 ans. Auteur de nombreuses publications
concernant les systèmes politiques et les relations internationales du
Maghreb, le système des Nations unies, l’Islam politique, la politique
de sécurité, la politique méditerranéenne de l’UE et l’économie
politique de la violence. Werner Ruf n’est pas étranger à la Tunisie, il
est l’auteur du livre : « La crise de Bizerte : la tentative Bourguibiste pour résoudre les problèmes des frontières tunisiennes. »
Il va jusqu'à voir dans la bataille de Bizerte un prétexte pris pour
obtenir de la France les avantages territoriaux que la Tunisie réclamait
en vain dans le sud Tunisien. Cf. Werner K. Ruf, “The Bizerta crisis: a Bourguibiste attemp to resolve Tunisian's border problems,” The Middle East Journal, Spring 1971, 201-211.
La thèse ne manque pas d'arguments bien qu'elle soit récusée par les autorités de Tunis, Cf. Yaroslav BILINSKI,
Tunisia and France, 1956-1970, Relations between the ex-protectorate
and the metropolis, University of Delaware, décembre 1971. multigr,
Bibliogr, pp. 105-109
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Werner
Ruf, nous livre son analyse sur, la diplomatie tunisienne du
gouvernement islamiste de Hamadi Jebali de celle de Bourguiba et de
l’ex-président déchu Ben Ali.
Tunis Tribune : La politique étrangère de Bourguiba, c’est quoi ?
Werner Ruf :
Il faut distinguer deux phases : La première qui dura de 1956 à 1961,
la deuxième de 1962 jusqu’au putsch de Ben Ali. Au moment de la
signature du protocole de l’indépendance le 20 mars 1962 la Tunisie
n’était nullement indépendante : La France voulait se réserver la
politique étrangère de la Tunisie, les troupes françaises restaient
stationnées sur le territoire tunisien. En poursuivant sa stratégie « Bouguibiste
» Habib Bourguiba mettait constamment la France devant des faits
accomplis, par exemple en nommant des ambassadeurs à l’étranger. Cette
stratégie réussissait notamment pendant la Quatrième République
Française quand Bourguiba réussit à mobiliser une partie de la classe
politique française pour ses buts en mettant la France devant les
contradictions de sa propre politique et en exerçant une pression morale
qui misait sur les contradictions entre les actes et les paroles du
gouvernement français. Ainsi la crise qui suivit le bombardement de
Sakiet Sidi Youssef par l’aviation française était habilement utilisée
pour parvenir – avec le soutien massif des Etats-Unis – à l’évacuation
du territoire tunisien par l’armée française, sauf la base de Bizerte.
La crise de Bizerte – et plus tard la nationalisation des terres de
colonisation – mettait en relief les limites du Bourguibisme: Les
affrontements sanglants à Bizerte, provoqués par le gouvernement
tunisien, avaient pour but l’occupation des puits de pétrole d’Edjeleh
avant l’indépendance de l’Algérie. Donc l’argumentation morale
concentrée sur les combats à Bizerte ne touchait pas le fonds du
problème. En plus, la Cinquième République présidentielle de Charles de
Gaulle s’avérait résistante à l’argumentation moralisante Bourguibiste.
La deuxième phase était celle d’un Etat « normal
» qui avait réussi à conquérir ses attributs de souveraineté. Elle
excellait par deux faits : La politique bourguibienne restait
fondamentalement pro-occidentale en essayant tirer profit économiquement
de cette fidélité et de jouir du prestige que le petit pays avait
acquis durant la première phase, une politique qui se manifesta par
exemple dans l’élection de Mongi Slim à la présidence de l’assemblée
générale de l’ONU.
Comment évaluez-vous la diplomatie tunisienne sous l’ère de Ben Ali ?
Ben
Ali continua grosso modo la politique pro-occidentale de Bourguiba. Il
ouvrit grandement le pays aux investissements économiques étrangers et
se faisait présenter comme l’élève docile du néo-libéralisme – bien plus
que Bourguiba ne l’aurait probablement fait. Mais surtout: La politique
étrangère fut sujette aux pouvoir personnel de Ben Ali et à son
caractère vaniteux: Les ouvertures économiques étaient accompagnées
d’une corruption à grande échelle érigée en système et de la chasse aux
prix de toute sorte pour faire rayonner des compétences du président qui
n’existaient nullement. Cette dimension de la politique étrangère
tournait même au ridicule quand Ben Ali réussit à s’acheter un prix des
droits de l’homme.
Quelle est votre analyse de la diplomatie tunisienne de l’après Ben Ali ?
Il
y a des indices clairs que la politique étrangère sous l’égide du parti
islamiste Ennahda s’oriente davantage sur le Conseil de Coopération du
Golfe sous le leadership de l’Arabie Saoudite et du Qatar. Tout en
continuant la politique néo-libérale de l’ancien régime vers l’Union
Européenne le nouveau gouvernement tunisien ouvre la porte grandement
aux investissements des pays du Golfe, notamment le Qatar, Mais aussi
politiquement il semble suivre inconditionnellement les buts des pays du
Golfe comme le démontre l’attitude du nouveau gouvernement face au
conflit syrien et à l’extradition de Baghdadi Mahmoudi.
Le
ministre des Affaires étrangères est devenu la risée de la toile et des
réseaux sociaux. Beaucoup de critique et d’ironie dû à ses sorties
chaotiques sur des sujets divers. Il est épinglé pour l’exemple à sa
méconnaissance des dossiers diplomatiques et la légèreté de ses
analyses. Quel est votre avis à ce sujet ? (Le ministre a récemment pris
Istanbul pour la capitale de la Turquie au lieu d’Ankara ou l’histoire
des 500 km des côtes tunisiennes)
Je
pense qu’il s’agit là d’un débat intérieur tunisien dans lequel je ne
voudrais pas m’immiscer. Encore est-il que le choix de ministres devrait
aussi dépendre de certaines compétences concernant son ressort – ne
serait-ce que pour affirmer son autorité à l’étranger autant que vers
son propre corps diplomatique.
Certains
néoconservateurs prétendent aujourd’hui que l’intervention américaine
en Irak a préparé le terrain pour les révolutions arabes. Qu’en
pensez-vous ?
En
effet, le président américain George W. Bush, fer de lance ces
néo-conservateurs, avait déclaré tout haut que sa politique vers le
Proche Orient visait à démocratiser la région (« Democratising the Middle East
»). Il faut savoir cependant qu’au moins dans la tradition américaine
le terme de démocratie est intimement lié à la notion d’économie de
marché. Ainsi démocratisation implique toujours le modèle économique
libéral et, surtout, l’ouverture des marchés. C’était d’ailleurs le but
principal de la guerre contre l’Iraq. Au-delà du contrôle des ressources
pétrolières c’est le contrôle des routes de transports du pétrole et du
gaz, c’est-à-dire des réseaux gigantesques de pipelines qui
déterminent les géostratégies actuelles: Là réside l’importance de
l’Afghanistan. Au-delà de ses ressources il s’agit de l’accès aux
richesses du bassin caspien dont les richesses pétrolières et gaziers
sont évacués jusqu’à présent presque exclusivement à travers le
territoire russe dans des pipelines gigantesques qui rejoignent
l’Europe. Et qui dit contrôle géostratégique veut dire aussi non
seulement sécuriser les ressource mais aussi contrôler les routes
d’accès et de transport des autres, en ce cas notamment de la Chine.
Derrière le concept de la « démocratisation du Moyen Orient
» se cache clairement un projet impérialiste de domination américaine,
aussi envers ses alliés. C’est justement ce qui explique la
participation massive des pays occidentaux dans la guerre de
l’Afghanistan: Seule la participation à la guerre leur permet de
participer aussi au partage du butin, c’est-à-dire à faire valoir leurs
intérêts dans les négociations sur le stat futur de la région.
Le bilan de cette politique à courte vue qui parle de démocratie et ne vise que des intérêts économiques est désastreux : Partout où il y a eu depuis 2001 une intervention militaire occidentale le résultat est la destruction des Etats qui sont devenus des « Etats en délitement »: L’Afghanistan, l’Iraq, la Libye que je compte dans cette catégorie et bientôt probablement la Syrie.
Quelle est actuellement la meilleure politique arabe à votre avis ?
Permettez-moi
de répondre par une contre-question : Y a-t-il, actuellement, une
politique arabe – ou plutôt une politique d’islamisation au profit des
pays arabes les plus réactionnaires ?
A votre avis, va-t-on vers la guerre en Syrie à court terme ?
A
mon avis nous sommes déjà en pleine guerre: A part l’Algérie, la Syrie
(et le Liban) sont les derniers régimes séculiers qui restent dans la
région. C’est un fait que depuis le printemps 2011 l’Arabie Saoudite et
le Qatar soutiennent des rebelles, qu’ils organisent la contrebande
d’armes et l’entrée de groupes armées généralement d’obédience islamiste
militante. D’après un journal conservateur (!) allemand il y a
actuellement au moins trois mille Afghans libyens en Syrie – sans parler
des combattants islamistes infiltrés à partir de l’Iraq et
probablement, avec l’aide de la CIA, à partir de la Turquie. C’est une
vraie guerre à laquelle participent pour le moins indirectement nombreux
pays de la région et, à travers la Turquie pour le moins, l’OTAN. Et
cette guerre est en train de provoquer une guerre civile non seulement
en Syrie mais aussi au Liban.
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Je
pense qu’il y a un mélange d’intérêts stratégiques occidentaux et
arabes à la fois: La chute de la dictature des Assad serait un
affaiblissement substantiel de l’Iran, mais aussi de la position de la
Russie dans le Proche Orient. L’Occident soutient les despotes du Golf
qui de leur côté instrumentalisent les Sunnites afin d’assurer leur
domination tout en islamisant les pays du Maroc jusqu’au Croissant
Fertile. Le but majeur de cette stratégie est de forger une alliance
régionale contre l’Iran sur la base d’un nouvel axe Riad – Tel Aviv. En
même temps cette nouvelle puissance qui se forme autour des pays du
Conseil de Coopération du Golfe est garante de l’approvisionnement en
pétrole de l’Occident. La chute du système de Téhéran couronnerait cette
étrange « démocratisation » sur fonds islamiste wahabite – et
assurerait un « ordre » régional qui permettrait de réduire la présence
militaire américaine en temps de crise économique et de nouveaux défis
dans l’Océan Pacifique.
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