Tunisie, des associations islamistes comblent l’absence d’Etat
En desserrant l’étau qui étouffait la société civile tunisienne, le
printemps arabe qui a provoqué le renversement du régime de Ben Ali a
permis l’émergence d’un réseau associatif au service de la cause
d'Ennahdha: 9969 associations recensées en 2010 et 14729 début 2013.
Depuis quelques temps, le parti politique tunisien "Hizb Ettahrir"
qui se situe dans la tradition politique panislamiste, s’interroge : «
que font les associations étrangères dans notre pays ? ». Ces militants
islamistes "new look" estiment que les ONG venues d'ailleurs jouent un
rôle dangereux sur le territoire tunisien.
Au nom d’Allah
Pourtant, grâce à son réseau important d’associations caritatives, cette formation est l’une des plus actives dans le pays, surtout en milieu rural et dans les quartiers urbains défavorisés. Sur le terrain, elle se trouve de plus en plus en compétition avec des organisations tenues par ses rivaux islamistes dont Ennahda et des groupements salafistes. « Cela n’a pas d’importance, tous agissent au nom d’Allah et n’est-il pas le même pour tous ? Avec la perte d’autorité et de moyens de l’Etat, ces associations ont permis à de très nombreuses familles de survivre » affirme Jalloul, épicier à Douar Hicher. Situé dans la banlieue ouest de Tunis, ce quartier démuni s’était fait connaître lors de violents affrontements opposant extrémistes religieux et forces de l’ordre. Depuis près d’un an, le calme y est revenu sans pour autant que l’Etat y exerce un réel contrôle.
A Hay Ettadhamen, le quartier populaire le plus important de la capitale, des graffitis faisant les louanges de Dieu ont envahi les murs. Des groupes de personnes se réunissent dans des locaux souvent désaffectés pour réfléchir aux moyens de défendre le pays, la religion et ses valeurs. S’ils critiquent le gouvernement et taxent Ennahda de laxisme, ils conviennent volontiers de leur appartenance à des associations qui dépendent directement de la mouvance islamiste et de ses financements pour de nombreuses activités. « Nous sommes des bénévoles loyaux au Tout-Puissant, qui connaissons les chômeurs et les familles dans le besoin; notre association Assoua, intervient pour faciliter les démarches, aider à louer un local ou trouver des subventions » explique Abdelwaheb, l’un des leaders qui assure avoir, en moins de 6 mois, permis l’installation d’une trentaine d’ateliers d’artisanat et d’échoppes dans les environs.
Le boom des associations islamiques
Partout en Tunisie le scénario se répète. Rencontres après la prière, œuvres de charité pour la mosquée, réunion entre voisins ou au café, « tout est prétexte à s’immiscer dans la vie des quartiers et des familles. Les associations couvrent des activités comme celles des taxis collectifs clandestins, distribuent des dons et aident à la mise en place de projets dont ceux des écoles coraniques privées » témoigne un instituteur d’El Mourouj, dans la banlieue sud de la capitale. Il précise que ces nouveaux bienfaiteurs sont d’anciens activistes reconvertis des Ligues de protection de la révolution (LPR), des milices controversées dans le pays, pratiquant le prosélytisme et contrevenant aux lois. Ce phénomène, n’est pas négligeable et risque d’avoir une certaine incidence sur le résultat des prochaines élections.
Mais il n’est pas nouveau. Les associations humanitaires islamistes, travaillent sur le même canevas et selon le même mode opératoire que les « choobas », cellules locales du Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD), ancien parti de Ben Ali. Avec au total 9969 associations en 2010 et 14729 début 2013, la révolution tunisienne a clairement permis l’émergence d’une société civile. Mais celle-ci a aussi été largement noyautée par les intérêts partisans. Beaucoup de citoyens, surtout des femmes, ont bénéficié de largesses d’Ennahda avant les élections de 2011. « J’ai pu installer mon atelier de couture et on m’a encouragée à me spécialiser dans les vêtements islamiques » raconte Nedra d’El Ouardia tandis que sa voisine a reçu gracieusement un stock de faux bijoux qu’elle revend. « Dans tous les cas, ces femmes deviennent des chevilles ouvrières pour la constitution de réseaux locaux ».
Financements douteux
Si les associations islamistes trouvent leurs plus grands soutiens dans les milieux défavorisés, elles sont également présentent à une échelle régionale et se substituent souvent à l’Etat par leur action. Les plus dynamiques sont incontestablement celles soutenues par le Qatar. Qatar Charity, ONG, interdite par Ben Ali en raison de sa vocation sociale et religieuse, a pignon sur rue depuis 2012. Via son bureau à Tunis, « Tunisia Charity » et l’association tunisienne de coopération et de communication sociale, elle consacre pas moins de 7,5 millions d’euros, jusqu’en 2015, au financement de projets de développement qui vont de l’aménagement territorial au soutien de coopératives agricoles. Elle cible plus particulièrement le gouvernorat de Zaghouan.
Selon Hichem Ben Youssef , directeur du département des programmes et des projets de Qatar Charity, le financement provient des 2,5 % reversés par la communauté musulmane à travers le monde au titre de la zaket, aumône obligatoire et l’un des cinq piliers de l’islam. Cependant certains experts financiers estiment que les dons viennent également d’ONG islamiques opaques basées en Grande Bretagne ou en Arabie Saoudite telles que Human apeal, Wamy et Islamic relief. D’autres attirent l’attention sur les présidents de ces institutions ; Tunisia Charity est dirigée par Abdelmonem Daimi, frère de Imed Daimi, Secrétaire général du Congrès pour la République, parti du président Marzouki et élu à l’assemblée nationale constituante. De son côté, l’association tunisienne de coopération et de communication sociale est dirigée par Mohamed Néjib Karoui, fils de Hamed El Karoui, ancien premier ministre mais aussi ami intime et médecin personnel de l’ancien chef du gouvernement, Hamadi Jébali. Les deux organismes affichent à leur programme diverses actions humanitaires classiques comme des distributions de denrées alimentaires ou des vêtements durant ramadan ou à la rentrée scolaire. Mais des observateurs s’interrogent sur la subvention de 35 000 euros octroyée à Tunisia Charity, entre 2012 et 2013, par Sihem Badi, membre du CPR, alors ministre de la femme et de la famille. De sérieux doutes planent aussi sur l’origine des fonds qui ont permis à l’association tunisienne de coopération et de communication sociale d’ouvrir près de 10 bureaux régionaux.
Piège à pauvres
Mis bout à bout, tous ces éléments offrent une lecture troublante de l’action des islamistes. D’autant que, comme l’a plusieurs fois affirmé, l’un des leaders d’Ennahda, Abdelfattah Mourou, ils travaillent sur la durée à changer la société. Aucune action n’est à négliger, même celles qui semblent absurdes comme ces jeunes femmes, payées à 15 euros la journée qui étaient chargées de sillonner les quartiers en endossant un hijab afin de familiariser les populations à ce vêtement étranger aux traditions tunisiennes. L’objectif est évident mais l’origine des fonds l’est moins, d’autant que les financements destinés aux associations ne sont pas soumis à un réel contrôle et que rien ne permet d’établir leur lien direct avec un parti.
Il est vrai que ces associations sont, dans leur majorité, épinglées par la Cour des Comptes pour défaut de présentation de leurs états financiers annuels. Mais les procédures que pourrait intenter l’Etat sont tellement longues qu’aucune association n’a vraiment à s’inquiéter. Pourtant la période est sensible ; crise économique, sociale et politique et période électorale… Tous ces éléments devraient pousser l’Assemblée nationale constituante à statuer sur le financement des associations pour plus de transparence et de bonne gouvernance. Mais de toute évidence, les élus vont éviter d’ouvrir cette boîte de Pandore qui pourrait gêner des partis majoritaires dans l’hémicycle. Un riverain du quartier d’El Ouardia, à Tunis, résume : « délinquance, salafisme, islamistes, associations de bienfaisance, filière de contrebande, tout est imbriqué. Ils ont ensemble tissé une toile pour piéger les populations pauvres. Chacun y trouve son compte, les salafistes diffusent leur islam et ceux d’Ennahda grossissent leur électorat ».
Au nom d’Allah
Pourtant, grâce à son réseau important d’associations caritatives, cette formation est l’une des plus actives dans le pays, surtout en milieu rural et dans les quartiers urbains défavorisés. Sur le terrain, elle se trouve de plus en plus en compétition avec des organisations tenues par ses rivaux islamistes dont Ennahda et des groupements salafistes. « Cela n’a pas d’importance, tous agissent au nom d’Allah et n’est-il pas le même pour tous ? Avec la perte d’autorité et de moyens de l’Etat, ces associations ont permis à de très nombreuses familles de survivre » affirme Jalloul, épicier à Douar Hicher. Situé dans la banlieue ouest de Tunis, ce quartier démuni s’était fait connaître lors de violents affrontements opposant extrémistes religieux et forces de l’ordre. Depuis près d’un an, le calme y est revenu sans pour autant que l’Etat y exerce un réel contrôle.
A Hay Ettadhamen, le quartier populaire le plus important de la capitale, des graffitis faisant les louanges de Dieu ont envahi les murs. Des groupes de personnes se réunissent dans des locaux souvent désaffectés pour réfléchir aux moyens de défendre le pays, la religion et ses valeurs. S’ils critiquent le gouvernement et taxent Ennahda de laxisme, ils conviennent volontiers de leur appartenance à des associations qui dépendent directement de la mouvance islamiste et de ses financements pour de nombreuses activités. « Nous sommes des bénévoles loyaux au Tout-Puissant, qui connaissons les chômeurs et les familles dans le besoin; notre association Assoua, intervient pour faciliter les démarches, aider à louer un local ou trouver des subventions » explique Abdelwaheb, l’un des leaders qui assure avoir, en moins de 6 mois, permis l’installation d’une trentaine d’ateliers d’artisanat et d’échoppes dans les environs.
Le boom des associations islamiques
Partout en Tunisie le scénario se répète. Rencontres après la prière, œuvres de charité pour la mosquée, réunion entre voisins ou au café, « tout est prétexte à s’immiscer dans la vie des quartiers et des familles. Les associations couvrent des activités comme celles des taxis collectifs clandestins, distribuent des dons et aident à la mise en place de projets dont ceux des écoles coraniques privées » témoigne un instituteur d’El Mourouj, dans la banlieue sud de la capitale. Il précise que ces nouveaux bienfaiteurs sont d’anciens activistes reconvertis des Ligues de protection de la révolution (LPR), des milices controversées dans le pays, pratiquant le prosélytisme et contrevenant aux lois. Ce phénomène, n’est pas négligeable et risque d’avoir une certaine incidence sur le résultat des prochaines élections.
Mais il n’est pas nouveau. Les associations humanitaires islamistes, travaillent sur le même canevas et selon le même mode opératoire que les « choobas », cellules locales du Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD), ancien parti de Ben Ali. Avec au total 9969 associations en 2010 et 14729 début 2013, la révolution tunisienne a clairement permis l’émergence d’une société civile. Mais celle-ci a aussi été largement noyautée par les intérêts partisans. Beaucoup de citoyens, surtout des femmes, ont bénéficié de largesses d’Ennahda avant les élections de 2011. « J’ai pu installer mon atelier de couture et on m’a encouragée à me spécialiser dans les vêtements islamiques » raconte Nedra d’El Ouardia tandis que sa voisine a reçu gracieusement un stock de faux bijoux qu’elle revend. « Dans tous les cas, ces femmes deviennent des chevilles ouvrières pour la constitution de réseaux locaux ».
Financements douteux
Si les associations islamistes trouvent leurs plus grands soutiens dans les milieux défavorisés, elles sont également présentent à une échelle régionale et se substituent souvent à l’Etat par leur action. Les plus dynamiques sont incontestablement celles soutenues par le Qatar. Qatar Charity, ONG, interdite par Ben Ali en raison de sa vocation sociale et religieuse, a pignon sur rue depuis 2012. Via son bureau à Tunis, « Tunisia Charity » et l’association tunisienne de coopération et de communication sociale, elle consacre pas moins de 7,5 millions d’euros, jusqu’en 2015, au financement de projets de développement qui vont de l’aménagement territorial au soutien de coopératives agricoles. Elle cible plus particulièrement le gouvernorat de Zaghouan.
Selon Hichem Ben Youssef , directeur du département des programmes et des projets de Qatar Charity, le financement provient des 2,5 % reversés par la communauté musulmane à travers le monde au titre de la zaket, aumône obligatoire et l’un des cinq piliers de l’islam. Cependant certains experts financiers estiment que les dons viennent également d’ONG islamiques opaques basées en Grande Bretagne ou en Arabie Saoudite telles que Human apeal, Wamy et Islamic relief. D’autres attirent l’attention sur les présidents de ces institutions ; Tunisia Charity est dirigée par Abdelmonem Daimi, frère de Imed Daimi, Secrétaire général du Congrès pour la République, parti du président Marzouki et élu à l’assemblée nationale constituante. De son côté, l’association tunisienne de coopération et de communication sociale est dirigée par Mohamed Néjib Karoui, fils de Hamed El Karoui, ancien premier ministre mais aussi ami intime et médecin personnel de l’ancien chef du gouvernement, Hamadi Jébali. Les deux organismes affichent à leur programme diverses actions humanitaires classiques comme des distributions de denrées alimentaires ou des vêtements durant ramadan ou à la rentrée scolaire. Mais des observateurs s’interrogent sur la subvention de 35 000 euros octroyée à Tunisia Charity, entre 2012 et 2013, par Sihem Badi, membre du CPR, alors ministre de la femme et de la famille. De sérieux doutes planent aussi sur l’origine des fonds qui ont permis à l’association tunisienne de coopération et de communication sociale d’ouvrir près de 10 bureaux régionaux.
Piège à pauvres
Mis bout à bout, tous ces éléments offrent une lecture troublante de l’action des islamistes. D’autant que, comme l’a plusieurs fois affirmé, l’un des leaders d’Ennahda, Abdelfattah Mourou, ils travaillent sur la durée à changer la société. Aucune action n’est à négliger, même celles qui semblent absurdes comme ces jeunes femmes, payées à 15 euros la journée qui étaient chargées de sillonner les quartiers en endossant un hijab afin de familiariser les populations à ce vêtement étranger aux traditions tunisiennes. L’objectif est évident mais l’origine des fonds l’est moins, d’autant que les financements destinés aux associations ne sont pas soumis à un réel contrôle et que rien ne permet d’établir leur lien direct avec un parti.
Il est vrai que ces associations sont, dans leur majorité, épinglées par la Cour des Comptes pour défaut de présentation de leurs états financiers annuels. Mais les procédures que pourrait intenter l’Etat sont tellement longues qu’aucune association n’a vraiment à s’inquiéter. Pourtant la période est sensible ; crise économique, sociale et politique et période électorale… Tous ces éléments devraient pousser l’Assemblée nationale constituante à statuer sur le financement des associations pour plus de transparence et de bonne gouvernance. Mais de toute évidence, les élus vont éviter d’ouvrir cette boîte de Pandore qui pourrait gêner des partis majoritaires dans l’hémicycle. Un riverain du quartier d’El Ouardia, à Tunis, résume : « délinquance, salafisme, islamistes, associations de bienfaisance, filière de contrebande, tout est imbriqué. Ils ont ensemble tissé une toile pour piéger les populations pauvres. Chacun y trouve son compte, les salafistes diffusent leur islam et ceux d’Ennahda grossissent leur électorat ».
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