Opération
«Le Roi»
Comment et pourquoi Alger a accueilli la famille El
Gueddafi
le 30.05.14 | 10h00 23
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Les
décideurs algériens, civls et militaires, hésitent un moment, puis
tranchent : Alger va accueillir les proches d’El Gueddafi en fuite. Voici
les détails de l’opération secrète baptisée «Le Roi».
Oran Illizi et Djanet
de notre envoyé
Dix véhicules tout-terrain blindés roulent à
tombeau ouvert depuis Tripoli, la capitale libyenne, direction plein Sud :
1500 km, via les villes libyennes de Gherbane et de Sebha, pour atteindre la
région du Ghatt près de la frontière algérienne. Le mois d’août 2011 tire à sa
fin et sur cette longue route désertique, la température avoisine les 48°C. Les
proches d’El Gueddafi fuient la Libye en proie à la guerre qui va faire tomber
le guide. C’est le colonel Mansour Al Dhou qui a choisi la route la plus longue
vers la frontière algérienne pour éviter tous les autres chemins aux mains des
«révolutionnaires».
Cet officier a été chargé par El Gueddafi en
personne de sécuriser le convoi qui doit mener ses proches en Algérie et le
colonel a, à son tour, ordonné à un capitaine des forces spéciales, Ali Al
Khoss, de mener l’opération. A une distance de 50 km, un second convoi de
véhicules chargés de gardes, de provisions en eau et en carburant suit les 4x4
blindés de la famille El Gueddafi. Cette garde, avec leur chef, le capitaine Al
Khoss, revient à Tripoli aux côtés du guide, quand les proches d’El Gueddafi
ont enfin atteint Tinalkoum, côté algérien.
Lettre top secret d’Alger
De l’autre côté de la frontière : Djanet,
dernière semaine d’août. Le colonel S. vient d’atterrir après avoir reçu une
instruction à Ouargla, où est il est détaché à l’antenne régionale du DRS, plus
précisément de la direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA). Sa
mission : se rendre sur les lieux par avion militaire avec huit éléments
et attendre de nouveaux ordres une fois à Djanet. Le colonel S. trouve sur
place un autre officier du DRS, venu d’Alger par vol militaire, pour lui
remettre une enveloppe scellée à n’ouvrir qu’à la réception d’un ordre codé. S.
comprend tout de suite qu’il s’agit d’une mission importante et top secret,
certainement en relation avec la guerre en Libye.
D’autant que le chef du secteur militaire d’Illizi
et le wali viennent, eux aussi, d’arriver à Djanet avec pour mission de
faciliter le travail des envoyés des services spéciaux. Pendant ce temps à
Alger, le DRS a déjà formé une cellule de suivi de l’opération, en coordination
avec certaines parties en Libye. Au soir du 28 août 2011, un bref appel d’Alger
ordonne d’ouvrir l’enveloppe scellée où se trouvent les détails de l’opération
«Le Roi». Le colonel S. est chargé, avec son équipe venue de Ouargla, d’assurer
la sécurité d’«invités de l’Algérie» qui arriveront le lendemain matin par
Tinalkoum et de les convoyer vers Alger.
Le lendemain matin, Safia El Gueddafi, l’épouse du
guide, sa fille Aïcha, en fin de grossesse, ses fils Mohamed et Hannibal, avec
leurs enfants et leurs épouses, entrent sur le territoire. Les proches d’El
Gueddafi restent une journée à Djanet dans une résidence officielle, tenus au
secret, alors que Aïcha accouche d’une petite fille, assistée par un médecin
civil. Le colonel S. se chargera de cette mission durant encore 24 mois, alors
que les Gueddafi habitent discrètement la résidence présidentielle de Bousfer à
Oran sous très haute surveillance, avant le départ d’Algérie d’une partie de la
famille en septembre 2013.
Négociations
C’est à partir de fin juillet 2011 que les
négociations entre Alger et El Gueddafi ont commencé pour héberger une partie
de sa famille. «Des dignitaires libyens ont demandé à la France d’ouvrir un
couloir aérien ou maritime pour évacuer des civils proches d’El Gueddafi (qui
voulait fuir vers un pays de l’Europe de l’Est) ou d’autres civils pour quitter
Tripoli, mais Paris a répondu que la seule manière de quitter Tripoli est de se
rendre aux révolutionnaires ou carrément rejoindre leurs rangs. Après le refus
français, il ne restait comme destination que le Niger ou chez nous», indique
un haut responsable algérien.
Les Libyens ont pris attache avec Alger dès la
notification française, mais les Algériens avaient des conditions fermes :
pas de transferts importants d’argent ou de bijoux et pas de présence d’hommes
armés, quel que soit leur grade. Et surtout que la famille évite de porter atteinte
à l’un des pays voisins et qu’elle s’interdise toute activité politique ou
publique (ce qui expliquera la colère des Algériens après les sorties de
Aïcha). Les contacts ont commencé par téléphone, entre l’entourage d’El
Gueddafi et Alger, puis via l’ambassade algérienne à Tripoli.
«Toufik», le spécialiste de la Libye
Faut-il ou pas accueillir les proches d’El
Gueddafi, dont le pays subit les attaques de l’OTAN qui soutient les
«révolutionnaires» ? Au sommet de l’Etat, où les hauts responsables civils
et militaires se réunissent autour de la question, les opposants à l’asile aux
Gueddafi sont, dans un premier temps, majoritaires. «Selon eux, l’Algérie en
ces temps de révoltes arabes, n’a pas besoin de provoquer les puissances
occidentales. Ce serait aussi une provocation au nouveau régime libyen qui
bientôt prendra le pouvoir», confie une source. Les pour considèrent, de leur
côté, que s’il faut refuser d’accueillir El Gueddafi ou d’autres responsables
libyens, y compris ses fils Seif El Islam et Khamis (patron de la 32e Brigade),
l’Algérie se doit par devoir humanitaire de donner asile aux autres membres de
la famille. «D’autant plus, avancent les mêmes responsables, que les nouvelles
autorités libyennes ont déjà provoqué l’Algérie plusieurs fois», rappelle un
haut gradé qui précise que «seul le cas d’une condamnation de l’un des proches
d’El Gueddafi par un tribunal crédible lui aurait interdit l’accès au
territoire national».
Finalement, le président Bouteflika tranche en
acceptant d’accueillir la famille : «Une décision où le patron du DRS a
pesé de tout son poids, révèle un général à la retraite. Mediène était, par le
passé, attaché militaire à Tripoli, mais avant, c’était lui qui gérait le
dossier des opposants à El Gueddafi. De plus, pour la coordination des
questions sécuritaires du Sahel, il était en contact avec le guide libyen. Les
grandes puissances n’ignoraient pas les contacts entre Alger et El Gueddafi, et
l’absence de réaction de leur part a été interprétée par les Algériens comme un
accord tacite.»
Aziz M.