Tobias Salander: Comment les mensonges mènent à la guerre.
Les mécanismes dénoncés par ce livre- à propos de la guerre des Balkans- se sont appliqués à toutes les guerres qui ont suivi : l’Afghanistan, l’Irak, et, sont en ce moment à l’œuvre en ce qui concerne l’Iran et le Darfour.(2) S. Cattori
La disponibilité d’informations nuancées, impartiales et objectives est une des conditions fondamentales du bon fonctionnement d’une démocratie portée par des citoyens libres et émancipés. Sans un certain niveau d’information, il est difficile de prendre des décisions favorables à l’intérêt général et à la coexistence pacifique entre les citoyens, les peuples, les groupes ethniques et les Etats.
80% de toutes les informations proviennent d’agences de relations publiques.
Or c’est de moins en moins possible, comme le montrent des enquêtes telles que celle commandée par l’Office fédéral de la communication (cf. Neue Zürcher Zeitung du 2 février 2007), car les journalistes dépendent de plus en plus d’agences de relations publiques soumises à des intérêts particuliers. Au milieu des années 1980 déjà, Barbara Bearns en Allemagne et René Grossenbacher en Suisse ont montré que près d’un tiers de toutes les informations diffusées par les médias n’étaient pas le fruit d’enquêtes de journalistes, mais provenaient d’agences de relations publiques. Et 80% de toutes les informations provenaient d’une seule et unique source: les bureaux de relations publiques futés. Jörg Becker et Mira Beham, dans leur enquête Operation Balkan: Werbung für Krieg und Tod (Opération Balkans, propagande en faveur de la guerre et de la mort) présentée ici, parlent d’une véritable «colonisation des médias par l’industrie des relations publiques». Ce phénomène apparaît clairement dans le concept d’«embedded journalism» («journalisme intégré, incorporé») de la guerre en Irak: «On se trouve dans le même lit, impudemment, au vu de tous.»
Relation de prostitution entre les journalistes et les relations publiques.
Aujourd’hui, le secteur des relations publiques se développe beaucoup plus vite que le journalisme. Au début des années 1990, il y avait aux Etats-Unis à peu près 120 000 journalistes mais déjà 160 000 spécialistes en relations publiques. En 2001, le reporter de télévision Thomas Leif a attiré l’attention sur le fait que les rapports entre journalisme et relations publiques relevaient de la prostitution, que ces dernières favorisent les tendances suivantes dans les informations médiatiques: «augmentation du nombre de sujets insignifiants, détails sans importance, dilution des informations, focalisation sur les personnes, manque de sérieux, occultation délibérée de sujets importants, mises en scène, divertissement permanent.» C’est là une constatation à laquelle tout consommateur de médias ne peut que souscrire.
Jörg Becker, professeur honoraire de sciences politiques à l’université de Magdeburg et professeur associé à l’université d’Innsbruck, et Mira Beham, journaliste et diplomate de l’OSCE, spécialiste viennoise des Balkans, ont le mérite d’avoir montré dans leur enquête minutieuse sur les guerres en ex-Yougoslavie comment les mécanismes énumérés ci-dessus se manifestent pendant les périodes de guerre.
Homogénéisation de l’opinion publique par les manipulations des relations publiques.
Selon les auteurs, les guerres des Balkans des années 1990 ont montré que «des gouvernements en guerre ont pu transformer leur propagande en messages crédibles en les passant à travers le filtre d’agences de relations publiques et leurs nombreuses voies de communication. Il en est résulté une forte homogénéisation de l’opinion publique aux USA et dans les pays occidentaux en général.» Différentes agences de relations publiques ont réussi à diffuser la propagande des Etats non serbes d’ex-Yougoslavie de telle sorte qu’une «lecture pratiquement identique des guerres des Balkans» s’est imposée à l’opinion publique selon laquelle tous les peuples des Balkans étaient pacifiques à l’exception des Serbes, qualifiés d’agressifs. C’est sur cette interprétation que se sont fondés le gouvernement américain, Amnesty International, Human Rights Watch, Freedom House, l’United States Institute of Peace,
Une loi unique au monde :
Le point de départ de l’enquête fascinante de Becker/Beham est une loi américaine unique au monde qui oblige les gouvernements étrangers, les organisations et les particuliers à déclarer leurs activités de relations publiques aux Etats-Unis:
Donner de soi une image positive et atteindre ses objectifs de guerre.
La consultation des documents par Becker/Beham au ministère américain de
Objectif de relations publiques antiserbes: «Assimilation les Serbes aux nazis»
D’après Becker/Beham, les agences de relations publiques qui ne travaillaient pas pour des clients serbes, avaient déclaré dans les documents de FARA les objectifs suivants:
– «Reconnaissance de l’indépendance de
– Perception de
– Présentation des Serbes comme des oppresseurs et des agresseurs,
– Assimilation des Serbes aux nazis,
– Formulation du programme politique des Albanais du Kosovo,
– Présentation des Croates, des Bosniaques musulmans et des Albanais du Kosovo exclusivement comme des victimes innocentes,
– Recrutement d’ONG, de scientifiques, de think tanks pour la réalisation de leurs objectifs,
– Intervention des Etats-Unis dans les Balkans,
– Présentation de la conquête par l’armée croate de
– Maintien des sanctions de l’ONU contre
– Décision favorable dans l’arbitrage concernant la ville bosniaque de Breko,
– Plainte pour génocide contre
– Résultats favorables des négociations de Rambouillet pour le camp albanais,
– Plainte contre Slobodan Milosevic devant le Tribunal pénal de
– Promotion des investissements américains dans les Etats succédant à
– Sécession du Monténégro.»
Objectifs de relations publiques proserbes: «Amélioration générale de la mauvaise image»
Les agences de relations publiques ayant travaillé pour des clients serbes ont déclaré les objectifs suivants:
– «Amélioration générale de la mauvaise image des Serbes,
– Amélioration de l’image de
– recrutement d’ONG, de scientifiques et de think tanks pour réaliser leurs objectifs,
– Promotion des investissements américains en Serbie,
– Amélioration des relations avec les Etats-Unis après la destitution de Milosevic,
– Levée des sanctions de l’ONU.»
Possibilité de louer des armées privées: exemple du MPRI.
Becker/Beham montrent que le camp non serbe a beaucoup mieux réussi à vendre sa propagande. Dans les grandes agences de relations publiques dont ils ont acheté les services, The Washington Group, Jefferson Waterman International et Ruder Finn, on trouve souvent à l’étage de la direction des anciens fonctionnaires du gouvernement, surtout des anciens membres de
Guerre du Kosovo: 11 000 morts au lieu de 500 000.
Les guerres en ex-Yougoslavie furent sanglantes et beaucoup d’atrocités ont été commises de tous les côtés. Le nombre de morts a été établi exactement par l’ONU. Ainsi, la guerre du Kosovo n’a pas fait 500 000 morts parmi les Albanais du Kosovo, comme l’avait fait croire le ministère américain des Affaires étrangères juste avant l’attaque de l’OTAN, non pas 100 000, comme le ministre de
Bluff de Ruder Finn: la transformation miraculeuse de Tudjman.
Ironie du sort, c’est l’agence de relations publiques Ruder Finn qui s’est rendue coupable de banaliser l’Holocauste, parce que son cofondateur David Finn a toujours fait état de son origine juive et justifié ainsi les hautes exigences éthiques de Ruder Finn. Son représentant James Harff s’est vanté dans une interview d’avoir réussi à renverser l’histoire en présentent à l’opinion juive américaine un antisémite déclaré, le président Franjo Tudjman, comme un homme bon et, inversement, de diaboliser les Serbes, alors que ceux-ci, pendant
Ruder Finn utilise Auschwitz contre
James Harff, de Ruder Finn, a déclaré à ce propos, dans le style direct et arrogant propre à de nombreux stratèges en relations publiques: «L’entrée en jeu des organisations juives à côté des Bosniaques fut un extraordinaire coup de poker. Aussitôt nous avons pu, dans l’opinion publique, faire coïncider Serbes et nazis. […] Aussitôt il y eut un très net changement de langage dans la presse avec l’emploi de termes à très forte valeur affective, tels que purification ethnique, camps de concentration, etc., le tout évoquant l’Allemagne nazie, les chambres à gaz et Auschwitz. La charge émotionnelle était si forte que plus personne ne pouvait aller contre sous peine d’être accusé de révisionnisme. Nous avions tapé en plein dans le mille.»
Même les juifs n’ont pas pu aider
Face à une telle impertinence, le lecteur de l’analyse de Becker/Beham a le souffle coupé. En même temps, il doit se demander dans quelle mesure il a été victime de cette manipulation, s’il est tombé dans le panneau tendu par des spécialistes en relations publiques roués.
Même les représentants de la communauté juive comme le Prix Nobel Elie Wiesel n’ont pas été écoutés: «La persécution des Albanais, aussi terrible qu’elle soit, n’est pas un holocauste», a déclaré Wiesel en 1999 et le Jewish World Review a rappelé qu’en Allemagne nazie, il n’y avait pas eu d’armée secrète juive qui se battait pour un Etat juif en terre allemande, que les juifs n’avaient jamais tué ni policiers ni soldats allemands pour les inciter à répliquer violemment en s’attaquant à la population. Or c’est ce que l’UÇK kosovo-albanaise a fait. De plus, on sait que même pendant les bombardements de l’OTAN dans le nord de
Rendre plus transparents les mandats de relations publiques.
Becker/Beham ont réussi à sensibiliser le lecteur à une pratique courante dans les médias, au fait qu’à un moment donné, comme par hasard, des informations s’accumulent, occupent le terrain et canalisent l’opinion dans une direction précise.
Il serait souhaitable que d’autres Etats adoptent une loi comme
1) Becker, Jörg/ Beham Mira, Operation Balkan: Werbung für Krieg und Tod. Baden-Baden 2006. ISBN 3-8329-1900-7.
2) Lire aussi « Diffamation sur commande » http://www.horizons-et-debats.ch/0709/20070310_05.htm
Tobias Salander.
Horizons et débats, 10 mars 2007, N°9
http://www.horizons-et-debats.ch/0709/20070310_04.htm
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