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Monday, January 07, 2008

Livre: La bataille de Fallouja, ou la défaite américaine en Irak

La bataille de Fallouja, ou la défaite américaine en Irak

Auteur: Ahmed Mansour

Grand Reporter à Al Jazzera

Présentation : Ahmed Manai


Il est de plus en plus fréquent que des journalistes et des grands reporters arabes qui suivent des mouvements de résistance sur le terrain ou couvrent des guerres et des batailles pour leurs journaux ou leurs chaînes télévisées, couronnent leur travail de terrain par un livre. C’est le cas récemment de Ahmed Mansour, une vedette de la chaîne Al Jazeera, qui s’est révélé à cette occasion, davantage un écrivain et un conteur de talent, au style fluide et attachant, qu’un simple journaliste en mission de reportage (1). Ahmed Mansour avait couvert les deux batailles meurtrières de Fallouja, en avril et novembre 2004, et vient d’en tirer un pavé de 448 pages (en arabe), avec un titre prémonitoire sur le sort de l’aventure étasunienne en Irak:

« La bataille de Fallouja, ou la défaite américaine en Irak » !

Les millions de téléspectateurs arabes et arabophones qui ont suivi les reportages quotidiens de Ahmed Mansour à la télévision Al Jazeera, au cours des deux batailles de Fallouja, se souviendront longtemps de cet homme et se demanderont toujours, qui, du courage physique, du verbe et de la verve ou du professionnalisme l’emportait chez cet homme. Il faut croire qu’il y a chez lui tout cela à la fois, avec, pour ceux qui connaissent sa grande émission hebdomadaire Bila-Houdoud (Sans Frontières), une culture encyclopédique, une aisance et une maîtrise des sujets débattus et même un brin de perfectionnisme dans la manière dont il dirige les débats. On ne compte pas ses prestigieux invités, notamment le Général Mark Kimmit, porte parole des forces d’occupation en Irak, qui en ont fait les frais. Ce même Général, qui ne s’est pas gêné de s’étaler sur « les allégations mensongères et le parti pris » du reporter d’Al Jazeera, et exigé même sa sortie et celle de son équipe de Fallouja, pour ordonner un cesse-le- feu, sera en effet l’invité de Ahmed Mansour dans son émission Bila Houdoud du 26 avril 2006, soit deux ans après la première bataille de Fallouja. Le face à face, souhaité par le Général et ses services de propagande et destiné à rehausser le prestige des forces d’occupation et celui de leur porte-parole, tourna au net avantage du journaliste.

Avant de passer au studio le général Kimmit tint à rendre hommage à son adversaire dans ces termes « Je voudrais vous dire quelque chose avant de commencer l’entretien. Je suis toujours en désaccord avec vous et je l’étais toujours avec tous les reportages que vous faisiez lors de la bataille de Fallouja, mais je vous prie de me permettre de vous exprimer mon profond respect et ma considération pour votre personne et pour votre courage, surtout lors de votre présence à Fallouja ».

« La bataille de Fallouja » est avant tout le récit empoignant de la tragédie, vécue à chaque instant des semaines qu’ont duré les deux batailles de Fallouja, par une population civile, soumise aux horreurs qui lui furent infligées par la plus puissante armée du monde mais si dédaigneuse et méprisante des simples lois de la guerre.

C’est aussi le récit, non moins saisissant, du courage, du mépris de la mort et de la bravoure de quelques centaines de résistants, légèrement armés, qui ont arrêté net l’avancée des divisions blindées américaines lors de la première bataille et leur ont interdit l’accès et l’occupation de leur ville.
La deuxième bataille de Fallouja, au mois de novembre 2004, ne fut en fait qu’une revanche des vaincus de la première et où tout leur semblait permis.

Les chapitres du livre relatant les faits d’armes de ces deux batailles et la volonté de l’occupant d’écraser la ville, mériteraient de s’intituler « Delenda Fallouja », pour reprendre le leitmotiv de Caton le censeur (234 av.J.C.) à propos de Carthage, ou aussi, « il faut brûler Fallouja », tant les militaires américains en « brûlaient » de désir. N’avaient-ils pas d’ailleurs bombardé la ville au phosphore blanc, prétendant que cela leur servait surtout à éclairer le champ de bataille, alors que dans un magazine militaire interne, ils parlent de "shake and bake missions": « secouer et rôtir »!

Le livre, « La bataille de Fallouja » est aussi l’histoire de la destruction systématique d’un pays, de sa société, de son Etat national, de son histoire, de son patrimoine culturel qui se trouve être aussi celui de l’humanité, mais aussi de son industrie et des moyens matériels de sa reconstruction. On a beaucoup parlé et écrit sur le pillage du pétrole et du patrimoine culturel de l’Irak, tant cela avait commencé dès les premières heures de l’occupation et sous l’œil des caméras de télévision. Mais que savons-nous de la destruction méthodique et planifiée du tissu industriel de l’Irak, du démantèlement de ses usines et du pillage de ses équipements modernes, achetés à grands frais au cours des années qui ont précédé la guerre, stockés dans des magasins s’étalant sur des milliers d’hectares et destinés à moderniser l’industrie et l’armée irakiennes ?

Dès les premières heures de l’occupation, des équipes spécialisées, munies de moyens sophistiqués, s’en sont occupées. A l’aide de tronçonneuses géantes, elles ont réduit en amas de ferraille ce qui allait équiper l’Irak de demain. Tout passait : des avions, aux équipements informatiques, aux pièces de rechange de l’industrie pétrolière, aux laboratoires dans tous les domaines de la recherche scientifique, vendu à 1 dollar $ la tonne, par des sergents de l’armée américaine à des clients inconnus et transportés hors du pays par une noria incessante de camions géants !

Ce livre est aussi le récit de la descente aux enfers de l’administration de la superpuissance américaine, imbue de son droit naturel à imposer sa loi au monde et à défier cette loi simple de la nature qui veut qu’un peuple agressé, si faible soit-il, trouvera toujours dans les profondeurs de son être, de son histoire et de sa volonté de survivre, les moyens de résister à un occupant, quelque soit la puissance de feu de son armée et la capacité de corruption de sa monnaie.

Merci à Ahmed Mansour d’avoir écrit ce livre pour rappeler aux hommes, si souvent distraits ou oublieux, qu’en ce début de siècle, une armée américaine est venue mettre « A mort l’Irak (1) » au prétexte fallacieux de libérer son peuple !

Informations sur le livre : La bataille de Fallouja, ou la défaite américaine en Irak (en arabe) 448 pages, Editions: Dar Al Kitab Al Arabi, Beyrouth: Liban ;

Le livre est actuellement en traduction en anglais et en français.

Notes

1)” A mort l’Irak” : titre du livre de Denis Gorteau, Evelynédition, Montigny, août 2006.


Du même auteur, dix huit livres en arabe, dont :

En Afghanistan, sous le feu
Une femme d’Afghanistan
L’infiltration israélienne dans le monde arabe
A Sarajevo, sous le feu
Le récit de la chute de Bagdad

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Extraits (page 80 et 81)

Le paparazzo, le Coran et l’Américain

Pour aller à Samarra, je m’étais fait accompagner du jeune Souheib Samarraï, un confrère originaire de cette ville, qui travaillait au siège d’Al- Jazeera, à Bagdad. Au bout de deux jours passés ensemble, nous avons sympathisé et il m’a raconté son histoire, que je relaterai ici brièvement.

Souheib s’était transformé, comme nombre de jeunes irakiens de son âge, en une sorte de « paparazzo » amateur, mais sans la notoriété, ni les avantages matériels liés à cette activité en Europe. En Irak, les paparazzi, à l’instar de Souheib ne disposent que d’un matériel très rudimentaire : tout au plus, une petite caméra vidéo ou un banal appareil photographique. Ils parcourent les rues de Bagdad, ou bien ils vont de ville en ville, à l’affût du scoop: des photos des forces d’occupation en position périlleuse ou d’une action armée miraculeuse coïncidant avec leur passage dans les parages. Puis ils courent proposer leurs photos aux rédactions des chaînes télévisées ou des agences de presse, qui pullulent, en Irak, mais qui ne disposent pas de suffisamment de personnel pour couvrir tous les événements survenant dans le pays.

Souheib a eu la chance, comme nombre de ses camarades, de vendre quelques photos à la chaîne Al Jazeera, à Bagdad et il s’était montré si entreprenant que des confrères lui ont proposé de travailler pour eux à la pièce. Alors, muni de sa petite caméra, il traînait dans les rues de Bagdad à longueur de journée. Puis il choisit, par la suite, de parcourir la route Bagdad- Samarra- Mossoul, devenue la « route des embuscades », à la recherche d’une opération militaire ou d’un accrochage des troupes américaines avec la résistance, susceptible d’être filmé, pour en vendre le produit à Al Jazzera. Les prix varient, généralement (selon la qualité du film, mais surtout selon l’importance de l’événement). C’était un chasseur à qui il arrivait parfois de ramener du gibier, mais surtout, de rentrer bredouille à la maison...

Un jour, il tomba nez-à-nez avec la fin d’une embuscade tendue par des éléments de la résistance irakienne aux troupes américaines. Ces dernières finissaient de ramasser leurs morts et leurs blessés au moment où Souheib arrivait sur les lieux : il se mit le plus naturellement du monde à filmer la scène. Il était tout heureux de pouvoir enfin vendre quelque chose de consistant à Al Jazeera, et il pensait peut-être au montant qu’il pourrait en escompter. Mais, à peine à l’œuvre, les soldats américains l’aperçurent et l’appréhendèrent, l’accusant de connivence avec la résistance. Sinon, comment pouvait-il être là au moment opportun, s’il n’avait pas été mis au courant de l’opération ? Quand il les informa qu’il travaillait pour la chaîne Al Jazzera, ils se convainquirent que cette chaîne télévisée était, elle aussi, de mèche avec la résistance, qu’elle était au courant à l’avance de ses opérations et qu’elle envoyait ses caméramans les filmer. De nombreux responsables militaires américains, tels que le Général Ricardo Sanchez et son chef, John Abizaïd, avaient déclaré plusieurs fois que les caméramans d’Al Jazzera étaient toujours présents sur les lieux des embuscades et que la chaîne savait à l’avance où et quand elles se produiraient. En réalité, c’était tout simplement le fait du hasard, comme dans le cas de Souheib, ou, le plus souvent, c’étaient les hommes de la résistance qui filmaient leurs actions et les passaient gratuitement à Al Jazzeera et à d’autres chaînes.

Le cas de Souheib, ainsi que de nombreux autres, du même genre, ont été utilisés à fond dans la propagande contre Al Jazeera.

Après son arrestation, Souheib fut conduit à la prison tristement célèbre d’Abu Ghraïb. Il fut soumis à de nombreux interrogatoires, mais aucune charge n’a été retenue contre lui. Il demeura néanmoins en prison, comme des milliers d’autres irakiens détenus sans le moindre chef d’accusation.

Du fond de sa cellule, Souheib psalmodiait tous les soirs le Coran à haute voix. Il avait une voix suave et généreuse, qui faisait le bonheur de ses codétenus et de ses voisins des autres cellules. Un matin, un haut responsable américain, chargé des interrogatoires, lui rend visite et lui dit : « Je t’ai entendu chanter quelque chose ; tu as une belle voix et je voudrais t’écouter chanter ». Souheib lui répondit que ce n’était pas des chansons, mais des versets du Saint Coran ! ». L’Américain garda le silence un instant puis lui demanda : « Alors, c’est ça, le Coran » ? « Oui ! », lui répondit Souheib. « Peux-tu m’en réciter quelques passages ? », lui demanda l’officier américain.

Souheib lui répondit que oui, et se mit à psalmodier quelques versets. Au bout d’un certain moment, l’américain, qui ne comprenait pas l’arabe et se faisait aider par l’interprète, était tellement ému qu’il se mit à sangloter. Souheib s’arrêta alors de psalmodier, mais l’Américain lui fit signe de continuer. Quand il s’arrêta enfin, au bout d’un certain moment, l’Américain cessa de pleurer, puis lui demanda pourquoi il était là. Souheib lui raconta son histoire. L’Américain lui dit alors qu’il allait tout faire afin de le sortir de là, quoique cela lui paraisse difficile et demande beaucoup de temps. Il lui demanda si, en attendant, il pouvait venir chaque jour l’écouter psalmodier quelques versets du Coran à son intention ?

Souheib raconte que cet Américain revint, à plusieurs reprises, auprès de lui et qu’à chaque fois, c’était la même scène : Souheib psalmodiait le Coran et l’Américain sanglotait, après quoi il s’en allait...

Un jour, il est venu me dire : « ça y est tu vas être libéré : j’ai réussi à régler ton dossier ! ». C’était au bout de soixante-dix-sept jours d’incarcération, à Abou Ghraïb…

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