Tunisie- L’islam fait peur?
Par Inès Oueslati
La nature musulmane du Tunisien ne présentait aucun doute quant à
sa sincérité, à son authenticité et à son aspect inébranlable. C’était
sans compter l’arrivée de la révolution, une révolution sans leader qui a
mis à mal les valeurs d’une société pour les remplacer par celles
d’autres. L’islam de nos ancêtres n’est plus, celui de nos descendants
pourrait faire peur.
La révolution tunisienne, a certes offert un air de liberté dont on
avait perdu le goût, 23 ans durant, mais elle a aussi engendré une
dégradation désolante au niveau des valeurs morales.
Tolérance quant à la différence, modération au niveau de la pratique
religieuse, attachement aux cultes et ouverture d’esprit, des valeurs
qui faisaient la richesse culturelle et cultuelle du Tunisien. La «
renaissance » postrévolutionnaire a concrétisé, cependant, l’apogée
d’une certaine décadence morale poussant des Tunisiens à tuer leurs
compatriotes au nom de la religion, à s’attacher aux valeurs partisanes
aux dépens d’une patrie qui flétrit de jour en jour et à se détacher de
sa propre culture au profit d’un état d’esprit et d’une manière d’être
loin d’être les nôtres.
L’arrivée au pouvoir des islamistes a entrainé inévitablement un
islamisme politique qui a entrainé à son tour un islamisme culturel des
plus rebutants.
L’islam fait peur. La formulation hésite entre interrogation et
affirmation. Venant d’un regard extérieur et perçue en tant
qu’affirmation, cette idée serait considérée comme un préjugé à tendance
discriminatoire. Provenant d’une vision autocritique, même de nature
interrogative, l’idée et celui qui l’aurait formulée seront qualifiés du
triptyque stéréotypé : « francophone, maçonnique, mécréant ».
L’islam fait peur non pas pour ce qu’il représente, mais par ceux qui le
représentent. Un extrémisme cultuel qui, perçu par le prisme de la
tolérance pourrait être un signe bénéfique de diversité, mais qui se
transforme en une forme de terrorisme culturel, dès lors qu’il manifeste
une obligation de soumission d’autrui à des préceptes non partagés de
tous. Obliger une fillette à se voiler en fait partie, incarcérer une
personne qui s’oppose à la notion de religion en fait partie, pousser
vers la haine des shiites, des sunnites modérés, des athées, des
agnostiques en provoquant les amalgames en fait partie, inévitablement.
Pour beaucoup et pas uniquement pour les occidentaux, l’islam s’est
rattaché à une forme de terrorisme, voire à une expression extrémiste
pouvant engendrer meurtres, guerres civiles, attaques sanglantes… au nom
de la religion.
Pour beaucoup l’islam se rattache à ses nouveaux gourous et autres
cheiks prônant une pratique rigoureuse et diffusant des idées
saugrenues.
Pour beaucoup l’islam s’est rattaché aux nouveaux représentants de Dieu
sur la scène politique, ceux-là mêmes qui ont manipulé leurs électeurs,
qui ont instrumentalisé l’islam et ses valeurs et qui se sont servis
dans les caisses de l’Etat non pas pour faire du bien autour d’eux,
comme le préconise l’islam, mais pour se faire du bien.
Le contrat politique a été rompu par bon nombre de Tunisiens que
l’islamisme politique a manipulés. Le contrat social est en voie de
rupture, car la rigueur dans la pratique et les mœurs (refus de la
mixité dans le cadre familial élargi, refus de célébrer des fêtes
religieuses selon les rites tunisiens ancestraux…) se transforme en
rigidité, refroidit la ferveur des uns et accentue la frilosité des
autres.
Pas étonnant que la montée du Front National en France et de courants
d’extrême droite généralement, dans des pays européens s’opère alors que
le débat entre identité nationale et identité culturelle refait surface
et que face au refus de se mélanger aux autres, les autres manifestent
du refus à notre égard.
Une dualité qui a poussé bon nombre de Tunisiens à fuir la religion, ses
pratiques, ses dogmes et ses diktats. Beaucoup n’ont pas fait le
ramadan passé, beaucoup se disent déterminés à ne pas fêter l’Aïd El
Kébir à venir. Beaucoup ont perdu la foi et ne s’en cachent plus. Des
pages Facebook de « Tunisiens irréligieux » ou de Tunisiens
nouvellement convertis au christianisme l’attestent. Un épiphénomène
certes non représentatif, mais fort révélateur du malaise que
connaissent nos crédos, du besoin spirituel que la période de crise a
fait naître et que le désenchantement a anéanti et d’une dialectique
problématique entre assimilation et distanciation rendant difficile la
notion d’appartenance à la religion, quand il devient impossible de se
reconnaître dans ses porte-voix et dans les dogmes qu’ils diffusent.
"
Le terme islamophobie a été créé précisément pour permettre à ceux qui ne veulent pas voir de rester aveugles", écrivait Michèle Tribalat, démographe et spécialiste de l’islam, dans son livre
Assimilation : la fin du modèle français.
Le nouveau modèle social tunisien est en cours d’élaboration, mais une
élaboration laborieuse qui a gommé beaucoup de qualités inhérentes à
notre société tant sur le plan culturel que religieux, poussant la
société vers une polarisation, volontairement schématisée par certains,
par une forme de manichéisme effrayante. Une dichotomie qui n’attire
plus « les bons » vers « les mauvais », les moins pratiquants vers ceux
qui le sont davantage, mais qui pousse chacune des tendances vers
l’autre extrême et vers la perte des valeurs communes. Une tendance qui
pourrait être corrigée par la présence d’un modèle consensuel fédérateur
de cohésion pour que ne s’altère pas le modèle que nous lèguerons à nos
enfants et pour que cesse la victimisation au profit d’une remise en
question susceptible d’agir sur le long terme.
http://www.businessnews.com.tn/tunisie--lislam-fait-peur,523,41398,3